Merci infiniment à mon très cher Julien pour l’édition de ce texte magnifique, dont l’édition originale est disponible sur Gallica ! Belle lecture à vous ! Ce recueil fera bientôt l’objet d’une nouvelle édition au sein de la Bibliothèque poétique des femmes, où ont déjà paru les Nouvelles poésies de Malvina Blanchecotte.

Les Militantes

Malvina Blanchecotte

Paris, Alphonse Lemerre, 1875

Sélection de poèmes

COMBATS

I.

Rayon qui m’a saisie et toute enveloppée !
Ô le rêve charmant dont je suis occupée !
Ô la douce chanson d’ineffable fraîcheur
Qui chante en ma pensée et qui m’a pris le cœur !

J’en puis souffrir un jour ! Il se peut que mon rêve 
Commencé calme et doux terriblement s’achève ;
Il se peut que mon cœur se faisant son bourreau
Trouve qu’il bat trop vite et craigne d’aimer trop ;

Il se peut qu’effrayée, en tous sens combattue, 
Je me livre en moi-même un combat qui me tue ;
Que je fuie et condamne et veuille anéantir 
La jeune vision si prompte à m’éblouir ;

Mais, jusqu’à ce réveil, je me laisse être heureuse !
Et, puisqu’en mon désert s’ouvre une route ombreuse, 
Puisqu’une aube céleste à mes regards a lui,
Je veux rêver longtemps mon rêve d’aujourd’hui !

XL.

Oh ! ces chers souvenirs, poussière du passé,
Comme ils ont conservé l’empreinte de nos âmes !
N’y touchez pas, tenez-vous loin : ce sont des flammes !
Rien de ce qui vécut ne peut être effacé.

Le cœur est immortel, la peine est immortelle,
Tout au plus obtient-on le silence et l’effort.
Qui parle de néant ? qui donc parle de mort ?
Cette paix de l’oubli, dites, où donc est-elle ?

Quand l’ange du trépas quelque part a passé,
Reprenant pour le ciel un enfant de la terre,
On marche doucement près du lit funéraire,
Autour de qui se tait tous les bruits ont cessé.

Cette peur de marcher, de respirer, de vivre,
Ce respect solennel près de qui n’entend plus,
Ce soin de s’empêcher des sanglots éperdus,
Et même pour prier de feuilleter un livre ;

Ce recueillement-là qu’exhale le cercueil,
Tous nous le retrouvons pieusement austère,
Quand nous osons rouvrir la chambre mortuaire
Où dort notre passé d’inexprimable deuil

Un jour pareil viendra, lointain, prochain peut-être,
Où notre bruit de vie aussi se sera clos ;
Près de notre silence et de notre repos
Des ombres passeront tristes pour disparaître ;

Et dans un vieux tiroir quelque sachet jauni,
Quelque débris de fleur, quelque lettre pliée,
Évoquant tout à coup une larme oubliée,
Redira notre nom perdu dans l’infini !

LXXIV.

Elle est fière et sauvage et même un peu farouche.
SAINTE-BEUVE.

Oui, sauvage ! oui, fière ! oui, comme l’oiseau, libre !
Pour que ce large esprit ouvre son aile et vibre,
Il lui faut sans limite et par-delà les yeux
Le tranquille silence et l’infini des cieux !
Nul collier, fût-il d’or, autour de sa pensée !
Nul joug lui courbant l’âme avilie, oppressée !
La pauvreté : C’est bien ! La solitude : Oh ! oui !
Mais le rêve éternel en son cœur ébloui !
Et bien loin au-dessus des vanités brutales
L’exquis et pur souci des choses idéales !

TRÊVES

III.

LE PRINTEMPS.

Le glorieux printemps, le radieux printemps !
C’est lui, c’est le vainqueur, c’est le héros superbe !
Le voici plein les cieux en rayons éclatants,
Le voici plein la terre en chaque touffe d’herbe :
Le glorieux printemps, le radieux printemps !

Le glorieux printemps, le radieux printemps !
Ô floraison sacrée, ô jeunesse éternelle !
Tous les yeux sont d’azur, tous les cœurs ont vingt ans,
L’âme ouvre frémissante à l’infini son aile :
Le glorieux printemps, le radieux printemps !

Le glorieux printemps, le radieux printemps !
Ô splendeur de beauté qui toujours recommence,
Fidélité de Dieu, miracles palpitants,
Flamme, lumière, amour, ô puissance et clémence :
Le glorieux printemps, le radieux printemps !

PAIX

VI.

MA MAISON.

          Je me bâtirai ma maison
          De granit, de roc et de marbre ;
          La tempête en toute saison
        Pourra secouer les troncs d’arbre,
          Les ouragans pourront mugir
          Le long de sa hauteur tranquille ;
          Dans sa solitude immobile
          Rien ne la fera tressaillir.

          Je me bâtirai ma maison
          Comme un nid d’aigle ou d’hirondelle ;
          La lumière en toute saison
          Jouera librement autour d’elle ;
          Sur les sommets immaculés
          J’assoirai ma fière demeure ;
          Et là, jusqu’à ce que je meure,
        Je lirai les cieux étoilés.

          Je me bâtirai ma maison
        Sur d’impérissables assises,
          L’architecte en toute saison
          L’ornera de beautés exquises ;
          Cet ouvrier d’éternité
          Maintiendra sa magnificence :
        Ma maison, c’est la Conscience ;
          Ma maison, c’est la Vérité !