Voir le Projet II.
Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues, ne fût-ce que pour un petit sujet !

Cette page consacrée à l’Agrégation interne de Lettres classiques regroupe seulement les sujets de versions latines et grecques in extenso. Pour les sujets de composition à partir de documents et pour les rapports de jury, cliquez sur les liens ci-dessous.

Les sujets et rapports des quelques dernières années se trouvent aussi, au format PDF, sur le site du ministère de l’Éducation nationale, de même que le descriptif des épreuves. Les programmes se trouvent sur le site de l’Éducation nationale et dans les Bulletins officiels de l’Éducation nationale.

Les synopsis des sujets au début de chaque section permettent de se faire une idée des auteurs qui tombent.

Lorsque le jury propose un corrigé pour les versions de langues anciennes, nous les reproduisons ici. Ces textes appartiennent évidemment à leurs autrices et auteurs et à https://www.devenirenseignant.gouv.fr. Les explications plus détaillées se trouvent dans les rapports de jury.

L’instauration du concours interne de Lettres classiques et, par conséquent, la distinction avec le concours dès lors nommé externe date de 1989.

RAPPORTS DU JURY


Session 2025

Session 2024

Session 2023

Session 2022

Session 2021

Session 2020

Session 2019

Session 2018

Session 2017

Session 2016

Session 2015

Session 2014

Session 2013

Session 2012

Session 2011

Session 2010

Session 2009

COMPOSITION À PARTIR
D’UN OU PLUSIEURS TEXTES D’AUTEURS

2025 : Vigny (poésie – XIXe)
2024 : Prévost (roman – XVIIIe)
2023 : Tristan L’Hermite (théâtre –XVIIe)
2022 : Du Bellay (poésie – XVIe)
2021 : Genet (théâtre – XXe)
2020 : Corbière (poésie – XIXe)
2019 : Flaubert (roman – XIXe)
2018 : Racine (théâtre – XVIe)
2017 : Giono (roman – XXe)
2016 : Beaumarchais (théâtre – XVIIIe)
2015 : La Boétie (littérature d’idées – XVIe)
2014 : Stendhal (roman – XIXe)
2013 : Gide (roman – XXe)
2012 : La Fontaine (poésie – XVIIe)
2011 : Rimbaud (poésie – XIXe)
2010 : Beckett (théâtre – XXe)
2009 : Viau (poésie – XVIIe)

Session 2025
(Première – Vigny)

Session 2024
(Première – Prévost)

Session 2023
(Première – Tristan L’Hermite)

Session 2022
(Seconde – Du Bellay)

Session 2021
(Première – Genet)

Session 2020
(Première – Corbière)

Session 2019
(Première – Flaubert)

Session 2018
(Première – Racine)

Session 2017
(Première – Giono)

Session 2016
(Première – Beaumarchais)

Session 2015
(Première – La Boétie)

Session 2014
(Première – Stendhal)

Session 2013
(Première – Gide)

Session 2012
(Première – La Fontaine)

Session 2011
(Première – Rimbaud)

Session 2010
(Beckett)

Session 2009
(Viau)

VERSION LATINE

POÉSIE : 10/22
PROSE : 12/22

2025 : Pline le Jeune (prose épistolaire)
2024 : Stace (poésie épique)
2023 : Apulée (prose)
2022 : Phèdre (poésie – fable)
2021 : Quinte Curce (prose historique)
2020 : Tibulle (poésie amoureuse)
2019 : Cicéron (prose oratoire)
2018 : Pline le Jeune (prose encomiastique)
2017 : Lucain (poésie épique) 
2016 : Sénèque (prose philosophique)
2015 : Ovide (poésie élégiaque)
2014 : Quintilien (prose oratoire)
2013 : Catulle (poésie épique)
2012 : Sénèque (prose épistolaire philosophique)
2011 : Tite Live (prose historique)
2010 : Ovide (poésie élégiaque)
2009 : Pline l’Ancien (prose didactique)
2008 : Sénèque le Jeune (poésie dramatique – tragédie)
2007 : Quintilien (prose didactique)
2006 : Silius Italicus (poésie épique)
2005 : Tite Live (prose historique)
2004 : Virgile (poésie épique)
2003 : Sénèque le Jeune (prose didactique)
2002 : à venir
2001 : à venir

Session 2025

PLINE AIMERAIT ÉCRIRE UNE ŒUVRE HISTORIQUE, MAIS…

C. Plinius Titinio Capitoni suo s.

Suades ut historiam scribam, et suades non solus ; multi hoc me saepe monuerunt et ego uolo, non quia commode facturum esse confidam (id enim temere credas nisi expertus), sed quia mihi pulchrum in primis uidetur non pati occidere quibus aeternitas debeatur, aliorumque famam cum sua extendere. Me autem nihil aeque ac diuturnitatis amor et cupido sollicitat, res homine dignissima, eo praesertim qui nullius sibi conscius culpae posteritatis memoriam non reformidet. Itaque diebus ac noctibus cogito : si « qua me quoque possim tollere humo », id enim uoto meo sufficit ; illud supra uotum, « uictorque uirum uolitare per ora… », « quamquam o… » (1) ; sed hoc satis est, quod prope sola historia polliceri uidetur. Orationi enim et carmini parua gratia, nisi eloquentia est summa ; historia quoquo modo scripta delectat. Sunt enim homines natura curiosi et quamlibet nuda rerum cognitione capiuntur, ut qui sermunculis etiam fabellisque ducantur.

Me uero ad hoc studium impellit domesticum quoque exemplum. Auunculus meus idemque per adoptionem pater historias et quidem religiosissime scripsit. Inuenio autem apud sapientis honestissimum esse maiorum uestigia sequi, si modo recto itinere praecesserint. Cur ergo cunctor ? Egi magnas et graues causas ; has, etiamsi mihi tenuis ex iis spes, destino retractare, ne tantus ille labor meus, nisi hoc quod reliquum est studii addidero, mecum pariter intercidat. Nam si rationem posteritatis habeas, quidquid non est peractum pro non inchoato est. Dices : « Potes simul et rescribere actiones et componere historiam. » Vtinam ! sed utrumque tam magnum est, ut abunde sit alterum efficere. Vnodeuicensimo aetatis anno dicere in foro coepi et nunc demum quid praestare debeat orator, adhuc tamen per caliginem, uideo. Quid, si huic oneri nouum accesserit ? Habet quidem oratio et historia multa communia, sed plura diuersa in his ipsis quae communia uidentur. Narrat illa, narrat haec, sed aliter : huic pleraque humilia et sordida et ex medio petita, illi omnia recondita, splendida, excelsa conueniunt ; hanc saepius ossa, musculi, nerui, illam tori quidam et quasi iubae decent ; haec uel maxime ui, amaritudine, instantia, illa tractu et suauitate atque etiam dulcedine placet ; postremo alia uerba, alius sonus, alia constructio. 

(1) Vers de Virgile.

Pline le Jeune,
Lettres, V, 8

Corrigé proposé par le jury

Caius Pline à son cher Titinius Capito, salut.

Tu m’engages à écrire une oeuvre historique, et tu n’es pas le seul à m’y engager ; bien des gens m’ont souvent donné ce conseil, et c’est ce que je veux, non que j’aie la conviction de réussir (il serait en effet inconsidéré de le croire, sans avoir fait un essai), mais parce qu’il me semble beau par-dessus tout de ne pas laisser périr ceux qui ont droit à l’immortalité, et de perpétuer la gloire d’autrui en même temps que la sienne. Or, en ce qui me concerne, rien ne me préoccupe autant que l’amour et le désir d’une renommée durable, la chose la plus digne d’un homme, surtout pour celui qui, conscient de n’avoir commis aucune faute, n’a pas à craindre la mémoire de la postérité. C’est pourquoi jour et nuit je reviens sur cette pensée : « Ah ! si d’une manière ou d’une autre, je pouvais m’élever moi aussi au-dessus de la terre », car elle suffit à combler mes voeux ; cette autre dépasse mes voeux « et en vainqueur voler sur les lèvres des hommes… », « et pourtant, oh… » ; mais je me contente de ce que l’histoire semble être presque la seule à promettre. Car un discours et un poème ont peu d’attrait, si le style n’est pas parfait ; l’histoire plaît, de quelque manière qu’elle soit écrite. Les hommes sont en effet curieux par nature et sont attirés par l’information sur les faits, si dépouillée soit-elle, puisqu’ils se laissent mener même par des commérages et des contes.

Pour ma part, c’est aussi l’exemple familial qui me pousse à entreprendre ce travail. Mon oncle maternel, qui est également mon père adoptif, a écrit des oeuvres historiques, qui plus est avec un très grand souci d’exactitude. Or je lis chez les sages qu’il est tout à fait honorable de suivre les traces de ses ancêtres, à condition qu’ils nous aient précédés dans le droit chemin. Donc pourquoi est-ce que j’hésite ? J’ai plaidé des causes importantes et difficiles ; ces causes, même si je n’ai qu’un mince espoir d’en tirer quelque chose, j’ai l’intention de les reprendre, pour éviter que toute la peine que je me suis donnée n’aille, si je n’y ajoute pas cette dernière partie du travail, disparaître en même temps que moi. En effet, eu égard à la postérité, toute oeuvre inachevée équivaut à une oeuvre non commencée. Tu vas me dire : « tu peux à la fois revoir tes plaidoiries et composer un ouvrage d’histoire. » Si seulement ! Mais les deux tâches sont si importantes qu’il est largement suffisant d’en mener une à bien. J’ai commencé à parler au forum à l’âge de 18 ans et c’est seulement maintenant que je vois, et encore toujours à travers une nappe de brouillard, de quelle qualité doit faire preuve un orateur. Qu’en sera-t-il, si à ce fardeau vient s’en ajouter un nouveau ? Un discours et un ouvrage d’histoire ont certes beaucoup de caractéristiques communes, mais ils ont bien plus de divergences dans les caractéristiques mêmes qui paraissent communes. L’un est narratif, l’autre aussi, mais différemment : à l’un conviennent des sujets le plus souvent ordinaires, ternes, et tirés de la vie courante, à l’autre des sujets toujours rares, brillants, sublimes ; l’un doit avoir plus souvent de l’os, du muscle, du nerf, l’autre, peut-on dire, une enflure et presque un panache ; l’un plaît peut-être avant tout par la force, l’âpreté, la fougue, l’autre par l’ampleur, la douceur et même la grâce ; enfin, le vocabulaire est différent, les sonorités sont différentes, la structure est différente.

Session 2024

DIFFICILE CRÉMATION

Sur les ruines du champ de bataille, près du fleuve Ismène, Antigone, la sœur de Polynice, et Argie, son épouse, cherchent un bûcher pour lui rendre les hommages funèbres malgré l’interdiction de Créon. Un fidèle compagnon les assiste. 

[…] Causas ac tristia reddere fata
coeperat Antigone ; fidus comes admonet ambas :
« Heia agite inceptum potius ! Iam sidera pallent
uicino turbata die, perferte laborem,
tempus erit lacrimis, accenso flebitis igne. »
Haud procul Ismeni monstrabant murmura ripas
qua turbatus adhuc et sanguine decolor ibat.
Huc laceros artus socio conamine portant
inualidae, iungitque comes non fortior ulnas.
Sic Hyperionium trepido Phaethonta sorores
fumantem lauere Pado ; uixdum ille sepulcro
conditus et flentes stabant ad flumina siluae.
Vt sanies purgata uado membrisque reuersus
mortis honos, ignem miserae post ultima quaerunt
oscula ; sed gelidae circum exanimesque fauillae
putribus in foueis, atque omnia busta quiescunt.
Stabat adhuc seu forte rogus, seu numine diuum
cui torrere datum saeuos Eteocleos artus,
siue locum monstris iterum Fortuna parabat,
seu dissensuros seruauerat Eumenis ignes.
Hic tenuem nigris etiamnum aduiuere lucem
roboribus pariter cupidae uidere, simulque
flebile gauisae ; nec adhuc quae busta repertum,
sed placidus quicumque rogant mitisque supremi
admittat cineris consortem et misceat umbras.
Ecce iterum fratres : primos ut contigit artus
ignis edax, tremuere rogi et nouus aduena busto
pellitur ; exundant diuiso uertice flammae
alternosque apices abrupta luce coruscant.
Pallidus Eumenidum ueluti commiserit ignes
Orcus, uterque minax globus et conatur uterque
longius ; ipsae etiam commoto pondere paulum
secessere trabes. Conclamat territa uirgo :
« Occidimus functasque manu stimulauimus iras.
Frater erat ; quis enim accessus ferus hospitis umbrae
pelleret ? En clipei fragmen semiustaque nosco
cingula, frater erat ! Cernisne ut flamma recedat
concurratque tamen ? Viuunt odia improba, uiuunt.
Nil actum bello ; miseri, sic dum arma mouetis
uicit nempe Creon ! Nusquam iam regna, quis ardor ?
Cui furitis ? Sedate minas ; tuque exul ubique
semper inops aequi, iam cede : hoc nupta precatur,
hoc soror, aut saeuos mediae ueniemus in ignes. » 

Stace,
Thébaïde, XII, 404-446

Corrigé proposé par le jury

Antigone avait commencé à évoquer les causes de leurs tristes destins. Leur fidèle compagnon les rappelle toutes deux à l’ordre : « Allons, occupez-vous plutôt de ce que vous avez commencé. Déjà les étoiles pâlissent, troublées par l’approche du jour. Achevez votre tâche, il y aura un temps pour les larmes, vous pleurerez une fois le feu allumé. » Non loin, des grondements signalaient les rives de l’Isménus, qui coulait par là, encore troublé et souillé de sang. Là, elles portent dans un effort commun les membres mutilés, elles qui sont sans forces, et leur compagnon, qui n’est pas plus vigoureux, adjoint ses bras. Ainsi, ses soeurs ont lavé Phaéthon, fils du soleil, encore tout fumant dans le Pô bouillonnant. À peine celui-ci fut-il enseveli dans un tombeau que des forêts se dressaient, en larmes, près du fleuve. Quand la sanie eut été nettoyée dans les profondeurs du fleuve et que les honneurs funèbres eurent été rendus au corps, après d’ultimes baisers, les malheureuses cherchent du feu. Mais autour, il n’y a que des cendres éteintes et gelées dans des fosses pourrissantes et tous les bûchers sont inactifs. Se tenait encore debout soit par hasard, soit par la volonté des dieux, un bûcher à qui il avait été donné de consumer les membres cruels d’Étéocle : ou bien la Fortune préparait les conditions de nouveaux prodiges, ou bien une furie avait conservé intacts des feux destinés à se combattre. Là, empressées toutes deux, elles virent une lumière ténue vivre encore près des tisons noircis, et se réjouirent ensemble dans leur tristesse. Et n’ayant pas encore trouvé de quel bûcher il s’agissait, elles demandent au contraire à son occupant, quel qu’il soit, d’accueillir dans la paix et la douceur son compagnon de crémation et de mêler leurs ombres. Voici à nouveau les frères : dès que le feu vorace eut touché l’extrémité des membres, le bûcher trembla et le nouvel arrivant en est chassé. Les flammes se répandent et se divisent à leur sommet, et agitent l’une après l’autre des aigrettes en éclairs de lumière. Comme le pâle Orcus ferait combattre ensemble les feux des Euménides, les globes se menacent l’un l’autre et chacun essaie d’aller plus loin. Et même les morceaux de bois, ébranlés dans leur masse, s’écartèrent un peu. La jeune fille effrayée s’écrie : « Nous sommes perdues, nous avons réveillé de nos mains des colères mortes. C’était son frère. Qui en effet, dans sa sauvagerie, repousserait l’arrivée d’une ombre invitée ? Voici que je reconnais un débris de bouclier et une ceinture à demi brûlée. C’était son frère ! Vois-tu comme la flamme se retire et accoure cependant. Elles sont vivantes, ces haines sans limites, elles sont vivantes ! La guerre n’a rien réglé. Malheureux, pendant que vous menez la guerre ainsi, Créon ne sort-il pas vainqueur ? Il n’y a plus de royaume nulle part. Quelle est cette ardeur ? Contre qui êtes-vous en furie ? Apaisez vos menaces : et toi, le banni en tous lieux, toujours en manque de justice, maintenant, cède : de cela, ton épouse, de cela, ta soeur te supplient, ou nous viendrons dans les cruelles flammes pour vous séparer. »

Session 2023

POISSONS ET MAGIE

Accusé d’avoir usé de magie pour séduire Pudentilla, une riche veuve qu’il a épousé, Apulée réfute point par point les accusations portées contre lui, en particulier celle d’avoir cherché à se procurer certaines espèces de poissons.

« Piscis » inquit « quaeris ». Nolo negare. Sed, oro te, qui piscis quaerit, magus est ? Equidem non magis arbitror quam si lepores quaererem uel apros uel altilia. An soli pisces habent aliquid occultum aliis, sed magis cognitum ? Hoc si scis quid sit, magus es profecto ; sin nescis, confitearis necesse est id te accusare quod nescis. Tam rudis uos esse omnium litterarum, omnium denique uulgi fabularum, ut ne fingere quidem possitis ista ueri similiter ? Quid enim competit ad amoris ardorem accendendum piscis brutus et frigidus aut omnino res pelago quaesita ? nisi forte hoc uos ad mendacium induxit, quod Venus dicitur pelago exorta. Audi sis, Tannoni Pudens (1), quam multa nescieris, qui de piscibus argumentum magiae recepisti. At si Vergilium legisses, profecto scisses alia quaeri ad hanc rem solere ; ille enim, quantum scio, enumerat uittas mollis et uerbenas pinguis et tura mascula et licia discolora, praeterea laurum fragilem, limum durabilem, ceram liquabilem, nec minus quae iam in opere serio scripsit :

Falcibus et messae ad lunam quaeruntur aenis
pubentes herbae nigri cum lacte ueneni.
Quaeritur et nascentis equi de fronte reuulsus
et matri praereptus amor (2).

At tu piscium insimulator longe diuersa instrumenta magis attribuis, non frontibus teneris detergenda, sed dorsis squalentibus excidenda, nec fundo reuellenda, sed profundo extrahenda, nec falcibus metenda, sed hamis inuncanda; postremo in maleficio ille uenenum nominat, tu pulmentum, ille herbas et surculos, tu squamas et ossa, ille pratum decerpit, tu fluctum scrutaris.

Memorassem tibi etiam Theocriti paria et alia Homeri et Orphei plurima, et ex comoediis et tragoediis Graecis et ex historiis multa repetissem, ni te dudum animaduertissem Graecam Pudentillae epistulam legere nequiuisse. Igitur unum etiam poetam Latinum attingam ; uorsus ipsos, quos agnoscent qui Laeuium legere :

Philtra omnia undique eruunt :
antipathes illud quaeritur,
trochiscili (3), ungues, taeniae,
radiculae, herbae, surculi,
saurae inlices bicodulae,
hinnientium dulcedines (4).

Haec et alia quaesisse me potius quam piscis longe ueri similius confinxisses (his etenim fortasse per famam peruulgatam fides fuisset), si tibi ulla eruditio adfuisset ; enimuero piscis ad quam rem facit captus nisi ad epulas coctus ? Ceterum ad magian nihil quicquam uidetur mihi adiutare.

Apulée,
Apologie, 30 et début 31

  1. Tannonius Pudens a plaidé au nom de l’accusation.
  2. Virgile, Énéide, IV, 513-516. Le nom amor évoque l’hippomane, petite excroissance de chair au front des poulains,dont on se servait pour les philtres d’amour.
  3. Diminutif de trochiscus.
  4. Laevius, Fragments. Le mot dulcedo évoque également l’hippomane.

Corrigé proposé par le jury

« Tu recherches des poissons », dit-il. Je n’ai pas l’intention de le nier. Mais, de grâce, rechercher des poissons, est-ce être un magicien ? À mon avis, en tout cas, pas plus que si je recherchais des lièvres, des sangliers ou des volailles engraissées. Ou bien est-ce que par hasard les poissons seulement disposent d’une propriété cachée aux autres hommes, mais connue des magiciens ? Si tu sais quelle est cette propriété, tu es à coup sûr un magicien ; mais si tu l’ignores, il te faut bien reconnaître que tu m’accuses de ce que tu ignores. Pouvez-vous donc être si ignorants de toute culture, et finalement de toutes les fables populaires, pour n’être même pas capables de donner quelque vraisemblance à ces inventions ? En effet, quelle utilité peut avoir, pour allumer la flamme de l’amour, un poisson, stupide et froid, ou de manière générale une chose tirée de la mer ? À moins que par hasard vous n’ayez été induits en erreur par le fait que Vénus, dit-on, est née de la mer. Apprends, si tu veux bien, Tannonius Pudens, l’étendue de ton ignorance, toi qui as tiré des poissons une preuve de magie. Mais si tu avais lu Virgile, tu aurais su à coup sûr que ce sont d’autres objets qu’on recherche d’ordinaire pour cet usage ; ce grand poète, en effet, autant que je sache, énumère les bandelettes souples, les gras rameaux, l’encens mâle, les cordelettes de diverses couleurs, et de surcroît le laurier qui crépite, l’argile qui peut durcir, la cire qui peut fondre, sans oublier ce qu’il a écrit, cette fois dans une oeuvre sérieuse : 

On recherche aussi, récoltées sous la lune à l’aide de faux d’airain, 
des herbes duveteuses pleines de leur suc de noir poison. 
On recherche aussi le gage d’amour qu’on arrache du front du poulain nouveau-né 
et dont on prive sa mère.

Mais toi, l’accusateur des poissons, tu attribues aux magiciens des ressources bien différentes, qu’il ne faut pas prélever sur des fronts tendres, mais découper sur des dos écailleux, pas arracher à un fonds de terre, mais tirer des profondeurs de la mer, pas récolter à la faux, mais ferrer à l’hameçon ; enfin, à propos de sortilège, lui parle de poison, toi de ragoût ; lui d’herbes et de jeunes pousses, toi d’écailles et d’arêtes ; lui cueille dans un pré, toi tu fouilles les flots. 

J’aurais pu te citer encore des passages semblables tirés de Théocrite, d’autres d’Homère et un très grand nombre d’Orphée, j’aurais pu aller chercher quantité d’exemples dans les comédies et les tragédies grecques, ainsi que dans les oeuvres historiques, si je n’avais remarqué il y a peu que tu n’as pas été capable de lire une lettre de Pudentilla en grec. Je ne vais donc aborder encore qu’un seul poète, latin ; voici précisément les vers, que reconnaîtront ceux qui ont lu Laevius : 

On tire l’ensemble des philtres de partout : 
on recherche le fameux antipathe, 
les petites roues, les rognures d’ongles, les bandelettes, 
les petites racines, les herbes, les jeunes pousses, 
les lézards à double queue au pouvoir séducteur, 
les douceurs de la gent hennissante. 

Que j’aie recherché cela, entre autres, plutôt que des poissons, voilà l’accusation que tu aurais pu forger avec beaucoup plus de vraisemblance (de fait, peut-être aurait-on pu y croire à cause de la grande diffusion de ces idées reçues), si tu avais eu un peu de culture ; mais à la vérité, un poisson, à quoi peut-il servir une fois capturé, si ce n’est au repas, après cuisson ? Pour la magie, toutefois, il ne me paraît être d’absolument aucun secours. 

Session 2022

UN TESTAMENT OBSCUR

Plus esse in uno saepe quam in turba boni,
narratione posteris tradam breui.
Quidam decedens tres reliquit filias,
unam formosam et oculis uenantem uiros,
at alteram lanificam et frugi rusticam,
deuotam uino tertiam et turpissimam.
Harum autem matrem fecit heredem senex
sub condicione totam ut fortunam tribus
aequaliter distribuat, sed tali modo :
« ni data possideant aut fruantur » ; tum : « simul
habere res desierint quas acceperint,
centena matri conferant sestertia, »
Athenas rumor implet. Mater sedula
iuris peritos consulit ; nemo expedit
quo pacto « ni possideant » quod fuerit datum,
fructumue capiant ; deinde quae tulerint nihil
quanam ratione conferant pecuniam.
Postquam consumpta est temporis longi mora
nec testamenti potuit sensus colligi,
fidem aduocauit iure neglecto parens.
Seponit moechae uestem, mundum muliebrem,
lauationem argenteam, eunuchos, glabros ;
lanificae agellos, pecora, uillam, operarios,
boues, iumenta et instrumentum rusticum ;
potrici plenam antiquis apothecam cadis,
domum politam et delicatos ortulos.
Sic destinata dare cum uellet singulis
et adprobaret populus, qui illas nouerat,
Aesopus media subito in turba constitit :
« O si maneret condito sensus patri,
quam grauiter ferret quod uoluntatem suam
interpretari non potuissent Attici ! »
Rogatus deinde soluit errorem omnium :
« Domum et ornamenta cum uenustis ortulis
et uina uetera date lanificae rusticae ;
uestem, uniones, pedisequos et cetera
illi adsignate uitam quae luxu trahit ;
agros, buuile et pecora cum pastoribus
donate moechae. Nulla poterit perpeti
ut moribus quid teneat alienum suis.
Deformis cultum uendet ut uinum paret ;
agros abiciet moecha ut ornatum occupet ;
at illa gaudens pecore et lanae dedita
quacumque summa tradet luxuriae domum.
Sic nulla possidebit quod fuerit datum,
et dictam matri conferent pecuniam
ex pretio rerum quas uendiderint singulae. »
Ita quod multorum fugit imprudentiam
unius hominis repperit sollertia.

Phèdre,
Fables
(50 vers – 269 mots)

Corrigé proposé par le jury

Il y a plus de sagesse souvent dans un seul homme que dans une foule, ce que je transmettrai à la postérité à travers un bref récit. Un homme, en mourant, laissa trois filles : l’une, belle personne, et par ses regards pourchassant les hommes ; quant à la deuxième, une paysanne filant la laine et économe ; la troisième, adonnée au vin, et très laide. Or le vieillard constitua leur mère héritière, à la condition qu’elle partageât toute sa fortune équitablement entre les trois filles, mais de telle façon : « qu’elles n’aient ni la possession ni la jouissance des biens donnés », ensuite : « dès qu’elles auront cessé d’être propriétaires des biens qu’elles auront reçus, qu’elles versent chacune à leur mère cent mille sesterces. » Tout Athènes s’emplit du bruit de l’événement. Leur mère s’empresse de consulter les juristes ; aucun n’explique comment faire pour que les filles « n’aient ni la possession ni la jouissance de ce qu’on leur aura donné. » et ensuite, par quel expédient celles qui n’ont tiré aucun profit verseront-elles une somme d’argent ? Après qu’un long laps de temps se fut écoulé, et que le sens du testament n’eut pu être compris, c’est à sa conscience que la mère fit appel, laissant de côté la question du droit. Elle réserve à la courtisane les vêtements, les atours féminins, le service de bain en argent, les eunuques, les pages ; à la fileuse, les terres, les troupeaux, la ferme, les journaliers, les bœufs, les bêtes de somme et tout le matériel agricole ; à l’ivrognesse un cellier rempli de jarres de vins vieux, une maison ornée avec élégance et des jardins enchanteurs. Les lots ainsi affectés, alors qu’elle se disposait à les donner à chacune, et que le public, qui connaissait les filles, l’approuvait, Ésope prit position tout à coup au milieu de la foule : « Oh! si le père enseveli dans la tombe avait encore sa conscience, comme il supporterait péniblement que sa volonté, les Athéniens n’aient pu l’interpréter ! » Puis, comme on l’interrogeait, il mit fin à l’erreur de tous : « La maison et tout ce qui la garnit, les jardins délicieux, les vins vieux, donnez-les à la paysanne qui file la laine ; les vêtements, les perles, les valets de pied et tout le reste, attribuez-les à celle qui traîne sa vie dans l’excès ; les terres, l’étable à bœufs, les troupeaux avec leurs bergers, faites-en don à la courtisane. Aucune ne pourra supporter longtemps de détenir un bien étranger à ses propres mœurs. La laide vendra les objets de toilette pour se procurer du vin ; la courtisane se défera des terres pour s’occuper de sa parure ; quant à celle qui aime le bétail et s’occupe à filer la laine, à tout prix elle cèdera la maison de plaisance. De cette façon nulle n’entrera en possession de ce qui lui aura été donné, et elles verseront à leur mère la somme fixée, chacune sur le produit de la vente de ses biens. » Ainsi ce qui avait échappé à une multitude par le manque de réflexion, un seul homme le trouva par son habileté.

Session 2021

La mère et la femme de Darius sont les otages d’Alexandre dont elles suivent l’armée.

Iter facienti spado e captiuis, qui Darei uxorem comitabantur, deficere eam nuntiat et uix spiritum ducere. Itineris continui labore animique aegritudine fatigata, inter socrus et uirginum filiarum manus conlapsa erat, deinde et extincta : id ipsum nuntians alius superuenit ; et rex, haud secus quam si parentis suae mors nuntiata esset, crebros edidit gemitus, lacrimisque obortis qualis Dareus profudisset in tabernaculum, in quo mater erat Darei defuncto adsidens corpori, uenit. Hic uero renouatus est maeror, ut prostratam humi uidit. Recenti malo priorum quoque admonita receperat in gremium adultas uirgines, magna quidem mutui doloris solacia, sed quibus ipsa deberet esse solacio. In conspectu erat nepos paruulus, ob id ipsum miserabilis, quod nondum sentiebat calamitatem ex maxima parte ad ipsum redundantem. Crederes Alexandrum inter suas necessitudines flere, et solacia non adhibere, sed quaerere. Cibo certe abstinuit, omnemque honorem funeri patrio Persarum more seruauit, dignus, hercule, cui nunc quoque tantum mansuetudinis et continentiae ferat fructum. Semel omnino eam uiderat, quo die capta est, nec ut ipsam, sed ut Darei matrem uideret, eximiamque pulchritudinem formae eius non libidinis habuerat inuitamentum, sed gloriae. E spadonibus, qui circa reginam erant, Tyriotes (1) inter trepidationem lugentium elapsus per eam portam, quae, quia ab hoste auersa erat, leuius custodiebatur, ad Darei castra peruenit, exceptusque a uigilibus in tabernaculum regis perducitur, gemens et ueste lacerata. Quem ut conspexit Dareus, multiplici doloris exspectatione commotus et quid potissimum timeret incertus, « Vultus », inquit, « tuus, nescio quod ingens malum praefert, sed caue miseri hominis auribus parcas : didici esse infelix, et saepe calamitatis solacium est nosse sortem suam. Num, quod maxime suspicor, et loqui timeo, ludibria meorum nuntiaturus es mihi et, ut credo, ipsis quoque omni tristiora supplicio ? » Ad haec Tyriotes : « Istud quidem procul abest, » inquit ; « quantuscumque enim reginis honos ab his qui parent haberi potest, tuis a uictore seruatus est. Sed uxor tua paulo ante excessit e uita. » Tunc uero non gemitus modo, sed etiam eiulatus totis castris exaudiebantur ; nec dubitauit Dareus, quin interfecta esset, quia nequisset contumeliam perpeti, exclamatque amens dolore: « Quod ego tantum nefas commisi, Alexander ? »

Quinte Curce,
Histoires d’Alexandre, IV, 10, 18-29
(332 mots)

(1) Tyriotes : il s’agit d’un nom propre.

Corrigé proposé par le jury

Tandis qu’Alexandre continuait sa marche, un eunuque qui faisait partie des prisonniers accompagnant la femme de Darius lui annonce qu’elle ne se sent pas bien et qu’elle respire avec peine. Épuisée par la fatigue d’une marche continue et par le chagrin qui lui rongeait l’esprit, elle était tombée dans les bras de sa belle-mère et des jeunes princesses, ses filles, puis même avait rendu l’âme : cette nouvelle même, un autre messager vint de surcroît l’annoncer. Alors le roi se répandit en gémissements redoublés, comme si on lui avait annoncé la mort de sa propre mère, et, les yeux baignés de larmes telles que Darius aurait pu verser, il se rendit dans la tente où se trouvait la mère de Darius, assise auprès du corps sans vie. Et à ce moment, lorsqu’il la vit prostrée à terre, son chagrin redoubla. Elle à qui ce malheur récent avait aussi rappelé les précédents, avait pris dans ses bras les jeunes princesses déjà grandes, douce consolation d’une douleur partagée, bien qu’elle dût aussi elle-même les consoler. On pouvait voir son petit-fils, un tout jeune enfant qui inspirait la pitié précisément parce qu’il n’était pas encore en âge de comprendre un malheur qui retombait en très grande partie sur sa personne. On aurait cru qu’Alexandre pleurait au milieu de ses proches, et qu’il n’apportait pas des paroles de réconfort mais les recherchait. Il est certain néanmoins qu’il s’abstint de manger, qu’il réserva tous les honneurs suprêmes pour les funérailles selon l’usage ancestral des Perses, et se montra digne, ma foi, de recueillir de nos jours encore la récompense si grande de sa bonté et de sa retenue. Il n’avait vu la femme de Darius en tout et pour tout qu’une seule fois, le jour où elle devint prisonnière – il était d’ailleurs venu non pour la voir elle, mais pour voir la mère de Darius, et il avait considéré l’extraordinaire beauté de ses traits non comme une invitation au désir, mais comme un encouragement à la gloire. Parmi les eunuques attachés à la suite de la reine, Tyriotès profita de l’agitation des personnes en deuil pour s’échapper par la porte dont la surveillance était plus relâchée, parce qu’elle se trouvait à l’opposé de l’ennemi ; il parvint au camp de Darius, et, une fois reçu par les gardes, il est conduit, gémissant et le vêtement déchiré, dans la tente du roi. Alors, à sa vue, Darius, bouleversé par l’attente accrue d’une douleur à venir, sans savoir ce qu’il devait craindre le plus, prit la parole : « Ton visage laisse voir un très grand malheur, je ne sais lequel, mais garde toi bien d’épargner les oreilles d’un homme malheureux : j’ai appris à subir l’infortune, et souvent, connaître son sort console du malheur. Vas-tu annoncer – c’est l’objet de mes plus grands soupçons, et je crains de le formuler – que l’on outrage les miens, chose plus funeste pour moi et, à ce que je crois, pour eux aussi, que tout autre supplice ? » À ces mots, Tyriotès répondit : « Ce que tu dis est vraiment loin de la vérité ; tout honneur en effet, susceptible d’être rendu à des reines par des sujets, a été observé pour les tiens par le vainqueur. Mais ton épouse vient de quitter ce monde ». Alors, ce ne furent pas seulement des gémissements, mais bien des cris de douleur dont le camp entier retentissait ; Darius ne douta pas qu’on l’avait assassinée, parce que, pensait-il, elle n’avait pas pu supporter d’être outragée ; fou de douleur, il s’exclame : « Quel crime à ce point sacrilège ai-je commis de mon côté, Alexandre ? »

Session 2020

COMMENT EMPÊCHER DELIA D’ÊTRE INFIDÈLE

Semper, ut inducar, blandos offers mihi uultus,
     post tamen es misero tristis et asper, Amor.
Quid tibi saeuitiae mecum est ? an gloria magna est
     insidias homini composuisse deum ?
Nam mihi tenduntur casses : iam Delia furtim              
     nescio quem tacita callida nocte fouet.
Illa quidem iurata negat, sed credere durum est :
     sic etiam de me pernegat usque uiro.
Ipse miser docui, quo posset ludere pacto
     custodes : heu ! heu ! nunc premor arte mea.            
Fingere tunc didicit causas ut sola cubaret,
     cardine tunc tacito uertere posse fores ;
tunc sucos herbasque dedi quis liuor abiret
     quem facit inpresso mutua dente uenus.
At tu, fallacis coniunx incaute puellae,               
     me quoque seruato, peccet ut illa nihil ;
neu iuuenes celebret multo sermone, caueto,
     neue cubet laxo pectus aperta sinu,
neu te decipiat nutu, digitoque liquorem
     ne trahat et mensae ducat in orbe notas.               
Exibit quam saepe, time, seu uisere dicet
     sacra Bonae maribus non adeunda Deae.
At mihi si credas, illam sequar unus ad aras :
     tunc mihi non oculis sit timuisse meis.
Saepe, uelut gemmas eius signumque probarem,               
     per causam memini me tetigisse manum ;
saepe mero somnum peperi tibi, at ipse bibebam
     sobria supposita pocula uictor aqua.
Non ego te laesi prudens : ignosce fatenti ;
     iussit Amor : contra quis ferat arma deos ?               
Ille ego sum, nec me iam dicere uera pudebit,
     instabat tota cui tua nocte canis.
Quid tenera tibi coniuge opus ? Tua si bona nescis
     seruare, frustra clauis inest foribus.
Te tenet, absentes alios suspirat amores               
     et simulat subito condoluisse caput.
At mihi seruandam credas : non saeua recuso
     uerbera, detrecto non ego uincla pedum ;
tum procul absitis, quisquis colit arte capillos,
     et fluit effuso cui toga laxa sinu.      

Tibulle,
Élégies, I, 6, v. 1-40
(40 vers – 270 mots)

Corrigé proposé par le jury

Toujours, afin de m’abuser, tu m’offres un visage séduisant, mais ensuite tu es, pour mon malheur, triste et rude, Amour. Quelle sorte de cruauté as-tu à mon égard ? C’est sans doute une grande gloire pour un dieu de tendre un piège à un homme ? Car des filets me sont tendus : déjà Délia, en cachette, dorlote je ne sais qui, rusée, dans le silence de la nuit. Certes, elle nie avec serments, mais il est difficile de la croire. C’est ainsi aussi qu’à mon sujet, elle nie toujours obstinément devant son mari. Moi-même, pour mon malheur, je lui ai appris de quelle façon il est possible de tromper les gardiens. Hélas ! Hélas ! Maintenant c’est moi qui suis accablé par mon propre talent. Alors elle a appris à imaginer des motifs pour dormir seule, alors elle a appris qu’on peut faire tourner une porte sans bruit de gond ; alors je lui ai donné des potions et des herbes qui font disparaître (pour faire disparaître) les marques bleutées que fait l’amour mutuel en imprimant ses dents. Mais toi, époux imprudent d’une jeune femme trompeuse, protège-moi aussi, afin qu’elle ne commette aucune faute ; et prends garde qu’elle n’entretienne avec des jeunes gens une longue conversation, et qu’elle ne se couche la poitrine découverte par le pli relâché de sa robe, et qu’elle ne te trompe d’un signe, et que de son doigt elle ne pousse (n’étire) pas du vin pour tracer des caractères sur la table ronde. Aussi souvent qu’elle sortira, inquiète-toi, ou qu’elle dira aller voir les rites de la Bonne Déesse auxquels les hommes n’ont pas accès. Mais si tu me faisais confiance, je la suivrais seul, jusqu’aux autels : alors je n’aurais pas à craindre pour mes yeux. Souvent, comme si j’admirais ses pierreries et son cachet, sous ce prétexte, je me souviens lui avoir touché la main ; souvent, je t’ai endormi avec du vin pur, tandis que moi-même, je buvais, triomphant, de sobres coupes, une fois l’eau mise à la place [du vin]. Moi je ne t’ai pas offensé à dessein : pardonne à celui qui avoue ! Amour l’a voulu. Qui porterait les armes contre des dieux ? C’est moi qui suis celui – et désormais je n’aurai pas honte de dire la vérité – que, durant toute la nuit, ta chienne harcelait. En quoi as-tu besoin d’une jeune épouse ? Si tu ne sais pas préserver tes biens, c’est en vain qu’un verrou est mis à ta porte. Elle te tient dans ses bras, elle soupire pour d’autres objets d’amour absents et elle feint soudain de souffrir de la tête. Mais confie-la à ma protection : je ne refuse pas les coups cruels, moi, je ne repousse pas les chaînes à mes pieds. Alors, que se tienne éloigné quiconque soigne ses cheveux avec art et dont la toge relâchée flotte, le pli ondulant.

Session 2019

ÉLOGE DE LA CLÉMENCE DE CÉSAR

Cicéron remercie César de la clémence dont il a fait preuve, après sa victoire, envers nombre de Pompéiens vaincus, dont lui-même et M. Marcellus.

Cum ipsius uictoriae condicione omnes iure uicti occidissemus, clementiae tuae iudicio conseruati sumus. Recte igitur unus inuictus es, a quo etiam ipsius uictoriae condicio uisque deuicta est. 

Atque hoc C. Caesaris iudicium, patres conscripti, quam late pateat adtendite. Omnes enim qui ad illa arma fato sumus nescio quo rei publicae misero funestoque compulsi, etsi aliqua culpa tenemur erroris humani, ab scelere certe liberati sumus. Nam cum M. Marcellum, deprecantibus uobis, rei publicae conseruauit, me et mihi et item rei publicae, nullo deprecante, reliquos amplissimos uiros et sibi ipsos et patriae reddidit, quorum et frequentiam et dignitatem hoc ipso in consessu uidetis. Non ille hostis induxit in curiam, sed iudicauit a plerisque ignoratione potius et falso atque inani metu quam cupiditate aut crudelitate bellum esse susceptum. 

Quo quidem in bello semper de pace audiendum putaui, semperque dolui non modo pacem, sed etiam orationem ciuium pacem flagitantium repudiari. Neque enim ego illa nec ulla umquam secutus sum arma ciuilia, semperque mea consilia pacis et togae socia, non belli atque armorum fuerunt. Hominem (1) sum secutus priuato officio, non publico, tantumque apud me grati animi fidelis memoria ualuit, ut nulla non modo cupiditate, sed ne spe quidem, prudens et sciens tamquam ad interitum ruerem uoluntarium. 

Quod quidem meum consilium minime obscurum fuit ; nam et in hoc ordine integra re multa de pace dixi, et in ipso bello eadem etiam cum capitis mei periculo sensi. Ex quo nemo iam erit tam iniustus rerum existimator, qui dubitet quae Caesaris de bello uoluntas fuerit, cum pacis auctores conseruandos statim censuerit, ceteris fuerit iratior. Atque id minus mirum fortasse tum cum esset incertus exitus et anceps fortuna belli ; qui uero uictor pacis auctores diligit, is profecto declarat se maluisse non dimicare quam uincere.

Cicéron, 
Plaidoyer pour Marcellus, 12-15
(285 mots)

(1) Hominem désigne Pompée.

Corrigé proposé par le jury

Alors que le droit de la victoire même aurait pu justifier que nous tous, les vaincus, fussions mis à mort, dans ta clémence, tu as jugé bon de nous préserver. Il est donc normal que toi seul restes invaincu, toi qui précisément as complètement vaincu même le droit et la violence de la victoire.

Et observez, pères conscrits, la large portée de ce jugement de Caius César. Nous tous, en effet, qui avons été poussés à cette guerre par je ne sais quelle fatalité malheureuse et funeste pour l’État, même si nous sommes reconnus coupables de quelque faute liée à une erreur humaine, nous avons du moins été absous d’un crime. Quand, en effet, sur votre intercession, il a préservé Marcus Marcellus pour l’État, il m’a rendu et à moi-même et aussi à l’État, sans intercession de personne, rendu et à eux-mêmes et à la patrie les autres hommes de très grande envergure, nombreux et prestigieux dans cette assemblée même, comme vous le voyez. Ce ne sont pas des ennemis qu’il a introduits dans la curie : il a jugé que la plupart s’étaient engagés dans cette guerre par ignorance et sous l’effet d’une fausse crainte sans fondement, plutôt que de l’ambition ou de la cruauté.

Au cours de cette guerre, assurément, j’ai toujours été d’avis qu’il fallait écouter la voix de la paix et toujours j’ai déploré qu’on ne se contentât pas de repousser la paix, mais aussi les paroles de citoyens qui réclamaient la paix Et pour ma part, en effet, je n’ai pas accompagné cette guerre civile ni jamais aucune autre et ma politique a toujours soutenu la paix et la toge, non la guerre et les armes. C’est par devoir d’ordre privé, non public, que j’ai accompagné un homme et, dans mon coeur reconnaissant, le souvenir fidèle a été si puissant sur moi que c’est non seulement sans aucune ambition mais sans même un espoir que délibérément, sciemment, je me suis comme précipité vers une mort volontaire.

Je n’ai pas du tout dissimulé mon avis, assurément ; en effet, devant notre ordre, quand la cause n’était pas encore perdue, j’ai souvent parlé de paix, et en pleine guerre je n’ai pas changé d’opinion, même au péril de ma vie. Dès lors, personne, dans son appréciation de la situation, ne se montrera maintenant si injuste qu’il doute de l’intention de César dans cette guerre, quand il a pensé devoir immédiatement préserver les partisans de la paix, en montrant plus de colère envers les autres. Attitude guère étonnante, peut-être, à un moment où l’issue de la guerre était incertaine, son sort indécis ; mais celui qui, vainqueur, manifeste son estime envers les partisans de la paix montre vraiment qu’il aurait préféré ne pas combattre plutôt que vaincre.

Session 2018

TRAJAN : UN PRINCE AFFABLE

Iam quo adsensu senatus, quo gaudio exceptum est, cum candidatis, ut quemque nominaueras, osculo occurreres, deuexus quidem in planum et quasi unus ex gratulantibus ! Te magis mirer an improbem illos qui effecerunt ut istud magnum uideretur, cum uelut adfixi curulibus suis manum tantum et hanc cunctanter et pigre et imputantibus similes promerent ? Contigit ergo oculis nostris insolita ante facies principis aequati candidatis et simul stantis, intueri parem accipientibus qui dabat honorem. Quod factum tuum a cuncto senatu quam uera acclamatione celebratum est : « Tanto maior, tanto augustior » ! Nam cui nihil ad augendum fastigium superest, hic uno modo crescere potest, si se ipse submittat securus magnitudinis suae. Neque enim ab ullo periculo fortuna principum longius abest quam humilitatis. Mihi quidem non tam humanitas tua quam intentio eius admirabilis uidebatur. Quippe cum orationi oculos, uocem, manum commodares, ut si alii eadem ista mandasses, omnes comitatis numeros obibas. Atque etiam, cum suffragatorum nomina honore quo solent exciperentur, tu quoque inter excipientes eras, et ex ore Caesaris ille senatorius adsensus audiebatur, quodque apud principem perhibere testimonium merentibus gaudebamus, perhibebatur a principe. Faciebas ergo, cum diceres optimos ; nec ipsorum modo uita a te, sed iudicium senatus comprobabatur ornarique se, non illos magis quos laudabas, laetabatur. 

Iam quod precatus es ut illa ipsa ordinatio comitiorum bene ac feliciter eueniret nobis, rei publicae, tibi, nonne tale est ut nos hunc ordinem uotorum conuertere debeamus deosque obsecrare ut omnia quae facis quaeque facies prospere cedant tibi, rei publicae, nobis, uel, si breuius sit optandum, ut uni tibi, in quo et res publica et nos sumus ? Fuit tempus, ac nimium diu fuit, quo alia aduersa, alia secunda principi et nobis : nunc communia tibi nobiscum tam laeta quam tristia, nec magis sine te nos esse felices quam tu sine nobis potes.

Pline le Jeune, 
Panégyrique, 71-72
(290 mots)

Corrigé proposé par le jury

À présent, avec quelle adhésion, quel enthousiasme de la part du sénat on a accueilli ton geste, alors que tu allais au devant des candidats, comme tu les avais nommés un par un, pour les embrasser, descendant assurément de ton estrade et comme n’importe lequel de ceux qui les félicitaient ! Devrais-je plutôt t’admirer ou bien condamner ceux qui, par leur conduite, ont fait paraître noble la tienne, alors que, comme pour ainsi dire rivés à leurs chaises curules, ils se contentaient de tendre leur main, et encore avec réticence et sans entrain, comme s’ils s’en faisaient une gloire ? Voilà donc qu’à nos yeux s’est offert le spectacle jusqu’ici sans précédent d’un prince au même niveau que les candidats et debout avec eux : il nous a été donné de voir celui qui décernait les honneurs s’égaler à ceux qui les recevaient. Et cet acte de ta part, c’est l’ensemble du Sénat qui l’a salué par une acclamation ô combien sincère : « Il en est d’autant plus grand, d’autant plus auguste ! » En effet, celui à qui il ne reste plus d’échelon à gravir ne saurait s’élever que par un seul moyen : si, assuré de sa grandeur, il daignait s’abaisser de lui-même. Car le sort des princes n’a rien moins à craindre comme danger que la modestie. Mais ce qui, pour ma part, me paraissait digne d’admiration, ce n’était pas tant ta bonté que le soin avec laquelle elle s’exerçait. Puisque tu accordais tes yeux, ta voix, ta main à ton discours, comme si tu eusses chargé un autre de ces mêmes fonctions, tu parcourais toute la gamme de l’affabilité. Et même, alors qu’on accueillait avec les hommages habituels les noms de ceux qui appuyaient les candidats, tu participais à cet accueil, et de la bouche même de César, on entendait cette approbation sénatoriale, et ce témoignage que nous nous plaisions à rendre, en présence du prince, aux hommes de mérite leur était rendu par le prince. Ainsi, en les déclarant d’excellents citoyens, tu les rendais tels ; et c’était non seulement leur propre vie que tu ratifiais, mais le jugement du Sénat, et il se réjouissait d’être non moins honoré lui-même que ceux dont tu faisais l’éloge.

À présent, ta prière que le déroulement même de ces comices rencontre pour nous, pour la République, pour toi-même, une heureuse et favorable issue, n’implique-t-elle pas que nous devions inverser l’ordre de ces vœux et conjurer les dieux de faire que toutes tes actions présentes et futures soient pour toi, pour l’Etat, pour nous enfin, couronnées de succès, ou bien, si l’on devait formuler un souhait plus concis, qu’elles le soient pour toi seul, en qui et l’Etat et nous-mêmes existons ? Il fut un temps, et il n’a que trop duré, où les revers et les succès étaient autres pour le prince, autres pour nous. Maintenant, entre toi et nous, tout est commun, les joies comme les peines ; et nous, nous ne pourrions pas plus être heureux sans toi, que toi-même tu ne peux l’être sans nous.

Session 2017

ARRIVÉ À ALEXANDRIE, CÉSAR RÉAGIT VIVEMENT LORSQU’UN ÉMISSAIRE DU ROI PTOLÉMÉE LUI APPORTE LA TÊTE DE POMPÉE

« Aufer ab aspectu nostro funesta, satelles,
regis dona tui ; peius de Caesare uestrum                  
quam de Pompeio meruit scelus. Vnica belli
praemia ciuilis, uictis donare salutem,
perdidimus. Quod si Phario germana tyranno
non inuisa foret, potuissem reddere regi
quod meruit, fratrique tuum pro munere tali                  
misissem, Cleopatra, caput. Secreta quid arma
mouit et inseruit nostro sua tela labori ?
Ergo in Thessalicis Pellaeo fecimus aruis
ius gladio ? Vestris quaesita licentia regnis ?
Non tuleram Magnum mecum Romana regentem :                   
te, Ptolemaee, feram ? Frustra ciuilibus armis
miscuimus gentes, si qua est hoc orbe potestas
altera quam Caesar, si tellus ulla duorum est.
Vertissem Latias a uestro litore proras :
famae cura uetat, ne non damnasse cruentam                  
sed uidear timuisse Pharon. Nec fallere uosmet
credite uictorem : nobis quoque tale paratum
litoris hospitium ; ne sic mea colla gerantur
Thessaliae fortuna facit. Maiore profecto
quam metui poterat discrimine gessimus arma :                   
exilium generique minas Romamque timebam ;
poena fugae Ptolemaeus erat. Sed parcimus annis
donamusque nefas. Sciat hac pro caede tyrannus
nil uenia plus posse dari. Vos condite busto
tanti colla ducis, sed non ut crimina solum                  
uestra tegat tellus : iusto date tura sepulchro
et placate caput cineresque in litore fusos
colligite atque unam sparsis date manibus urnam.
Sentiat aduentum soceri uocesque querentis
audiat umbra pias. Dum nobis omnia praefert,
dum uitam Phario mauult debere clienti,
laeta dies rapta est populis, concordia mundo
nostra perit. Caruere deis mea uota secundis,
ut te conplexus positis felicibus armis
adfectus a te ueteres uitamque rogarem,                   
Magne, tuam, dignaque satis mercede laborum
contentus par esse tibi. Tunc pace fideli
fecissem ut uictus posses ignoscere diuis,
fecisses ut Roma mihi. » Nec talia fatus
inuenit fletus comitem nec turba querenti                 
credidit.

Lucain,
La Guerre civile ou La Pharsale, IX, v. 1064-1106
(43 vers – 274 mots)

Corrigé proposé par le jury

« Emporte loin de notre vue, garde, la funeste offrande de ton roi ; c’est à César, plus qu’à Pompée, que votre crime a rendu le plus mauvais service. La seule récompense de la guerre civile, offrir le salut aux vaincus, nous l’avons perdue. Si le tyran de Pharos n’avait pas sa sœur en haine, j’aurais pu rendre au roi le service qu’il m’a rendu, et à ton frère, en retour d’un tel présent, j’aurais envoyé ta tête, Cléopâtre. Pourquoi a-t-il dégainé ses armes en cachette et a-t-il mêlé ses traits à notre ouvrage ? Est-ce donc pour le glaive de Pella que, dans les plaines de Thessalie, nous avons instauré le droit ? Est- ce pour votre royaume que la liberté a été conquise ? Je n’avais pas toléré que Magnus dirige les affaires de Rome en même temps que moi : je le tolérerais quand il s’agit de toi, Ptolémée ? C’est en vain que nous avons bouleversé les peuples par les guerres civiles, s’il y a en ce monde quelque autre puissance que César, si une seule terre appartient à deux maîtres. J’aurais dû détourner les proues latines de votre rivage ; mais le souci que j’ai de ma renommée m’interdit de donner l’impression que j’ai craint la sanglante Pharos au lieu de la châtier. Et n’allez pas croire que vous abusiez le vainqueur : à moi aussi un tel accueil était réservé sur votre rivage ; si ce n’est pas ma tête qu’on porte ainsi, c’est à ma bonne fortune en Thessalie que je le dois. Nous avons fait la guerre en nous exposant à un plus grand danger, assurément, que celui que l’on pouvait redouter : l’exil, les menaces d’un gendre, Rome, voilà ce que je craignais ; mais le châtiment de la fuite, c’était Ptolémée. Mais nous pardonnons à son âge et le tenons quitte de son crime impie. Que le tyran sache qu’en retour de ce meurtre, il ne pourra rien obtenir de plus que mon pardon. Quant à vous, ensevelissez la tête d’un si grand chef, mais pas seulement pour que la terre recouvre votre crime : offrez de l’encens à la sépulture qu’il mérite, apaisez sa tête, recueillez ses cendres répandues sur le rivage et offrez une même urne à ses mânes dispersés. Que son ombre sente l’arrivée de son beau-père et entende, au milieu de ses plaintes, de pieuses paroles. En préférant tout à ma personne, en aimant mieux devoir la vie à son client de Pharos, il a volé aux peuples le jour du bonheur, il a privé à jamais le monde de notre réconciliation. Ils n’ont pas trouvé de dieux favorables, les vœux que je formais de te serrer dans mes bras après avoir déposé mes armes victorieuses, de te demander de m’aimer comme autrefois et de vivre, Magnus, et, satisfait de cette récompense bien digne de mes peines, de te demander de me laisser être ton égal. Alors, par une paix loyale, j’aurais fait que, même vaincu, tu pusses pardonner aux dieux, et toi tu aurais fait que Rome pût me pardonner. » Telles furent ses paroles, mais il ne trouva personne pour se joindre à ses pleurs et la foule ne crut pas à ses plaintes. 

Session 2016

TOUT PASSE, MÊME LA VIE

Quis umquam res suas quasi periturus aspexit ? Quis umquam nostrum de exilio, de egestate, de luctu cogitare ausus est ? Quis non, si admoneatur ut cogitet, tamquam dirum omen respuat et in capita inimicorum aut ipsius intempestiui monitoris abire illa iubeat ? « Non putaui futurum. » Quicquam tu putas non futurum quod multis scis posse fieri, quod multis uides euenisse ? Egregium uersum et dignum qui non e pulpito exiret : 

          Cuiuis potest accidere quod cuiquam potest ! 

Ille amisit liberos : et tu amittere potes ; ille damnatus est : et tua innocentia sub ictu est. Error decipit hic, effeminat, dum patimur quae numquam pati nos posse prouidimus. Aufert uim praesentibus malis qui futura prospexit. 

Quidquid est hoc, Marcia, quod circa nos ex aduenticio fulget, liberi, honores, opes, ampla atria et exclusorum clientium turba referta uestibula, clarum nomen, nobilis aut formosa coniux ceteraque ex incerta et mobili sorte pendentia, alieni commodatique apparatus sunt : nihil horum dono datur. Collaticiis et ad dominos redituris instrumentis scaena adornatur : alia ex his primo die, alia secundo referentur, pauca usque ad finem perseuerabunt. Itaque non est quod nos suspiciamus tamquam inter nostra positi : mutua accepimus. Vsus fructusque noster est, cuius tempus ille arbiter muneris sui temperat : nos oportet in promptu habere quae in incertum diem data sunt et appellatos sine querella reddere ; pessimi debitoris est creditori facere conuicium. Omnes ergo nostros, et quos superstites lege nascendi optamus et quos praecedere iustissimum ipsorum uotum est, sic amare debemus tamquam nihil nobis de perpetuitate, immo nihil de diuturnitate eorum promissum sit. Saepe admonendus est animus omnia amet ut recessura, immo tamquam recedentia : quicquid a fortuna datum est, tamquam exempto auctore possideas. Rapite ex liberis uoluptates, fruendos uos in uicem liberis date et sine dilatione omne gaudium haurite : nihil de hodierna nocte promittitur. Nimis magnam aduocationem dedi : nihil de hac hora. Festinandum est, instatur a tergo : iam disicietur iste comitatus, iam contubernia ista sublato clamore soluentur. Rapina rerum omnium est : miseri nescitis in fuga uiuere.

Sénèque, 
Consolation à Marcia, 9, 4 – 10, 4
(316 mots)

Corrigé proposé par le jury

Qui a jamais considéré ses biens comme s’il allait mourir ? Qui d’entre nous a jamais osé songer à l’exil, à l’indigence, au deuil ? Qui, s’il recevait la prescription d’y songer, ne la repousserait pas comme s’il s’agissait d’un sinistre présage et n’ordonnerait pas que ces malheurs retombent sur la tête de ses ennemis ou de l’intempestif prescripteur lui- même ? « Je n’ai pas pensé que cela se produirait ». Toi tu peux penser qu’il ne se produira pas ce qui peut arriver, tu le sais, à tant d’hommes, ce qui est advenu, tu le vois, à tant d’hommes ? Remarquable vers et digne de ne pas provenir des tréteaux :

          À n’importe qui peut échoir ce qui le peut à quelqu’un !

Celui-ci a perdu ses enfants : toi aussi tu peux les perdre. Celui-là a été condamné : ton innocence à toi aussi est en péril. Notre égarement nous abuse, il nous laisse sans forces aussi longtemps que nous souffrons ce que nous n’avons jamais prévu de souffrir. Il ôte de leur puissance aux maux présents, celui qui les a considérés par avance comme devant arriver.

Tout ce qui, Marcia, resplendit autour de nous par héritage, enfants, honneurs, richesses, vastes palais, vestibules encombrés de la foule des clients que l’on a renvoyés, nom illustre, noble ou belle épouse et tous les autres biens qui dépendent d’un sort incertain et changeant sont des accessoires qui ne nous appartiennent pas et qui nous sont prêtés. Pas un de ces biens ne nous est donné en propre. La scène est ornée de décors empruntés et qui doivent retourner à leurs propriétaires : certains d’entre eux seront restitués au premier jour, les autres au second, mais peu demeureront jusqu’au dénouement. C’est pourquoi il n’y a pas de raison pour que nous nous regardions comme si nous étions solidement installés parmi nos biens : nous les avons reçus en location. Nous appartiennent l’usufruit et la jouissance d’une faveur : le grand juge en détermine le terme ; il nous faut garder à l’esprit ce qui nous a été accordé jusqu’à une date qui n’est pas arrêtée, et le rendre sans nous plaindre une fois que l’on nous en a sommés. C’est le propre du pire débiteur que chercher chicane à son créancier. Ainsi tous les nôtres, ceux que nous souhaitons laisser après nous conformément à l’ordre des générations, comme ceux dont le vœu personnel le plus légitime est de nous précéder, nous devons les chérir dans l’idée qu’aucune garantie ne nous a été donnée de les avoir toujours, ni même de les avoir longtemps. Il faut régulièrement recommander à son cœur d’aimer toute chose comme faite pour se dérober, et même comme se dérobant déjà. Tout ce qui nous a été accordé par le sort, on doit le détenir comme si le garant n’en répondait pas. Saisissez les douceurs qu’apportent les enfants, donnez à vos enfants d’avoir à leur tour leur bonheur avec vous, et goûtez toute joie sans tarder : rien n’est garanti pour la nuit prochaine. J’ai accordé un trop grand délai : rien ne l’est pour l’heure qui vient. Il faut se hâter, on a la menace dans le dos. À l’instant ton entourage sera dispersé, à l’instant tes compagnonnages seront, au premier cri de guerre, réduits à néant. La spoliation est la loi universelle : malheureux qui ne savez pas que vous passez votre vie parmi la fuite.

Session 2015

GRANDEUR DES ŒUVRES DE MARS

Bellice, depositis clipeo paulisper et hasta,
     Mars, ades et nitidas casside solue comas.
Forsitan ipse roges quid sit cum Marte poetae :
     a te qui canitur nomina mensis habet.
Ipse uides manibus peragi fera bella Mineruae :              
     num minus ingenuis artibus illa uacat ?
Palladis exemplo ponendae tempora sume
     cuspidis : inuenies et quod inermis agas.
Tum quoque inermis eras, cum te Romana sacerdos
     cepit, ut huic urbi semina magna dares.              
Siluia Vestalis (quid enim uetat inde moueri ?)
     sacra lauaturas mane petebat aquas.
Ventum erat ad molli decliuem tramite ripam ;
     ponitur e summa fictilis urna coma ;
fessa resedit humo uentosque accepit aperto              
     pectore, turbatas restituitque comas.
Dum sedet, umbrosae salices uolucresque canorae
     fecerunt somnos et leue murmur aquae.
Blanda quies furtim uictis obrepsit ocellis,
     et cadit a mento languida facta manus.               
Mars uidet hanc uisamque cupit potiturque cupita
     et sua diuina furta fefellit ope.
Somnus abit, iacet ipsa grauis : iam scilicet intra
     uiscera Romanae conditor urbis erat.
Languida consurgit nec scit cur languida surgat,               
     et peragit tales arbore nixa sonos :
« Vtile sit faustumque, precor, quod imagine somni
     uidimus : an somno clarius illud erat ?
Ignibus Iliacis aderam, cum lapsa capillis
     decidit ante sacros lanea uitta focos.               
Inde duae pariter, uisu mirabile, palmae
     surgunt : ex illis altera maior erat
et grauibus ramis totum protexerat orbem
     contigeratque sua sidera summa coma.
Ecce meus ferrum patruus molitur in illas :               
     terreor admonitu, corque timore micat.
Martia picus auis gemino pro stipite pugnant
     et lupa : tuta per hos utraque palma fuit. »
Dixerat et plenam non firmis uiribus urnam
     sustulit : implerat, dum sua uisa refert.               
Interea crescente Remo, crescente Quirino,
     caelesti tumidus pondere uenter erat.

Ovide, 
Fastes, III, v. 1-42
(42 vers – 264 mots)

Corrigé proposé par le jury

Mars guerrier, après avoir déposé un instant ton bouclier et ta lance, parais et libère de ton casque ta chevelure brillante. Certes, tu pourrais demander ce qu’un poète a de commun avec Mars : c’est de toi que le mois qui est chanté tient son nom. Toi-même tu vois que les guerres sauvages sont l’œuvre de Minerve : en a-t-elle moins de loisir pour les arts libéraux ? À l’exemple de Pallas, prends le temps de déposer ton javelot : tu trouveras ce que tu peux faire, même désarmé. À l’époque aussi, tu étais désarmé, quand la prêtresse romaine t’a captivé, pour que tu donnes à notre ville une noble origine. La Vestale Silvia (car qu’est-ce qui empêche de commencer par là ?) allait un matin chercher de l’eau pour baigner les objets sacrés. On arrivait par un sentier facile à une rive escarpée. Elle dépose la cruche en terre qu’elle portait sur le haut de la tête ; lasse, elle s’assied à terre, accueille le souffle des vents sur sa poitrine découverte, et recoiffe sa chevelure en désordre. Pendant qu’elle est assise, l’ombre des saules et le chant des oiseaux l’invitent au repos, ainsi que le léger murmure de l’eau. Le doux sommeil, en traître, se glisse sous ses paupières vaincues et sa main, alanguie, glisse de son menton. Mars la voit ; quand il l’a vue, il la désire ; quand il l’a désirée, il s’en empare et grâce à son pouvoir divin dissimule son forfait. Le sommeil s’enfuit, la jeune fille reste étendue, lourde des œuvres de Mars ; c’est que déjà en son sein se trouvait le fondateur de la ville de Rome. Alanguie, elle se relève, sans savoir pourquoi elle se lève alanguie, et appuyée sur un arbre, elle prononce ces mots : « Que soient de favorable augure, j’en fais la prière, les images que j’ai vues dans mon sommeil : n’était-ce pas plus clair qu’un rêve ? Je veillais sur le feu venu de Troie, quand une bandelette de laine glissa de mes cheveux et tomba devant les foyers sacrés. De là se dressent, vision prodigieuse, deux palmiers : l’un des deux était plus grand et de ses lourdes branches avait recouvert la terre et touché de sa frondaison les étoiles les plus hautes. Voici que mon oncle lève contre eux son épée : je tremble à cet avertissement, mon cœur palpite de crainte. Un pic, oiseau de Mars, et une louve combattent pour défendre la souche jumelle : grâce à eux, les deux palmiers sont saufs. » Elle avait parlé ainsi et, encore chancelante reprend sa cruche pleine : elle l’avait remplie tout en racontant son rêve. Pendant ce temps, Remus grandissait, Quirinus grandissait et le ventre de la Vestale s’arrondissait de ce fardeau céleste.

Session 2014

L’ORATEUR DOIT CHOISIR SES MOTS AVEC DISCERNEMENT

Num ergo dubium est quin ei uelut opes sint quaedam parandae, quibus uti, ubicumque desideratum erit, possit ? Eae constant ex copia rerum ac uerborum. Sed res propriae sunt cuiusque causae aut paucis communes, uerba in uniuersas paranda. Quae si rebus singulis essent singula, minorem curam postularent ; nam cuncta sese cum ipsis protinus rebus offerrent. Sed cum sint aliis alia aut magis propria aut magis ornata aut plus efficientia aut melius sonantia, debent esse non solum nota omnia sed in promptu atque, ut ita dicam, in conspectu, ut, cum se iudicio dicentis ostenderint, facilis ex his optimorum sit electio. 

Et quae idem significarent uideo solitos ediscere, quo facilius et occurreret unum ex pluribus, et, cum essent usi aliquo, si breue intra spatium rursus desideraretur, effugiendae repetitionis gratia sumerent aliud, quo idem intellegi posset. Quod cum est puerile et cuiusdam infelicis operae, tum etiam utile parum ; turbam enim tantum modo congregat, ex qua sine discrimine occupet proximum quodque. 

Nobis autem copia cum iudicio paranda est, uim orandi, non circulatoriam uolubilitatem spectantibus. Id autem consequimur optima legendo atque audiendo ; non enim solum nomina ipsa rerum cognoscemus hac cura, sed quod quoque loco sit aptissimum. Omnibus enim fere uerbis, praeter pauca, quae sunt parum uerecunda, in oratione locus est. Nam scriptores quidem iamborum ueterisque comoediae etiam in illis saepe laudantur ; sed nobis nostrum opus intueri sat est. Omnia uerba, exceptis de quibus dixi, sunt alicubi optima ; nam et humilibus interim et uulgaribus est opus, et quae nitidiore in parte uidentur sordida, ubi res poscit, proprie dicuntur. Haec ut sciamus atque eorum non significationem modo, sed formas etiam mensurasque norimus, ut, ubicumque erunt posita, conueniant, nisi multa lectione atque auditione adsequi nullo modo possumus, cum omnem sermonem auribus primum accipiamus. Propter quod infantes a mutis nutricibus iussu regum in solitudine educati, etiam si uerba quaedam emisisse traduntur, tamen loquendi facultate caruerunt.

Quintilien, 
Institution oratoire, X, 1, 5-10
(306 mots)

Session 2013

LE DÉBUT DE L’EXPÉDITION DES ARGONAUTES

Peliaco quondam prognatae uertice pinus
dicuntur liquidas Neptuni nasse per undas
Phasidos ad fluctus et fines Aeetaeos,
cum lecti iuuenes, Argiuae robora pubis,
auratam optantes Colchis auertere pellem
ausi sunt uada salsa cita decurrere puppi,
caerula uerrentes abiegnis aequora palmis.
Diua quibus retinens in summis urbibus arces
ipsa leui fecit uolitantem flamine currum,
pinea coniungens inflexae texta carinae.
Illa rudem cursu prima imbuit Amphitriten.
Quae simul ac rostro uentosum proscidit aequor
tortaque remigio spumis incanuit unda,
emersere freti candenti e gurgite uultus
aequoreae monstrum Nereides admirantes.
Illa atque haud alia uiderunt luce marinas
mortales oculis nudato corpore Nymphas
nutricum tenus exstantes e gurgite cano.
Tum Thetidis Peleus incensus fertur amore,
tum Thetis humanos non despexit hymenaeos,
tum Thetidi pater ipse iugandum Pelea sensit.
O nimis optato saeclorum tempore nati
heroes, saluete, deum genus ! o bona matrum
progenies, saluete iterum…
Vos ego saepe, meo uos carmine compellabo,
teque adeo eximie taedis felicibus aucte,
Thessaliae columen, Peleu, cui Iuppiter ipse,
ipse suos diuum genitor concessit amores ;
tene Thetis tenuit pulcerrima Nereine ?
Tene suam Tethys concessit ducere neptem
Oceanusque, mari totum qui amplectitur orbem ?
Quae simul optatae finito tempore luces
aduenere, domum conuentu tota frequentat
Thessalia, oppletur laetanti regia coetu ;
dona ferunt prae se, declarant gaudia uultu.
Deseritur Cieros, linquunt Pthiotica Tempe
Crannonisque domos ac moenia Larisaea,
Pharsalum coeunt, Pharsalia tecta frequentant.
Rura colit nemo, mollescunt colla iuuencis,
non humilis curuis purgatur uinea rastris,
non glebam prono conuellit uomere taurus.

Catulle, 
Poésies, 64, v. 1-41
(41 vers – 326 mots)

Corrigé proposé par le jury

Les pins nés autrefois sur le sommet du Pélion ont, dit-on, nagé à travers les eaux limpides de Neptune, jusqu’aux flots du Phase et au pays d’Eétès, à l’époque où des jeunes gens d’élite – de la jeunesse argienne, ils étaient la force –, qui désiraient ravir aux Colchidiens la Toison d’Or, ont osé parcourir de leur nef rapide les ondes salées et balayer de leurs rames de sapin les plaines céruléennes. La déesse qui protège les citadelles au sommet des villes construisit elle-même pour eux ce navire que le moindre souffle faisait voler, en assemblant des planches de pins pour former la carène recourbée. Ce fut ce navire qui, le premier, initia de sa course Amphitrite qui, jusqu’alors, ignorait cette pratique. Dès qu’il eut fendu de son éperon la plaine venteuse et fait blanchir d’écume l’eau retournée par la rame, des visages émergèrent du gouffre blanchissant de la mer : c’étaient les Néréides des eaux, admiratives devant ce prodige. C’est en ce jour, et non un autre, que des mortels virent de leurs yeux les nymphes marines, le corps nu, s’élever jusqu’aux seins depuis le gouffre blanc. C’est alors, dit-on, que Pélée fut enflammé de l’amour de Thétis, alors que Thétis ne méprisa pas cet hymen avec un mortel, alors que le père des dieux lui-même jugea qu’il fallait unir Pélée à Thétis. Salut, ô héros nés en un temps trop heureux, qui êtes de la race des dieux ! ô glorieuse progéniture de vos mères, salut, encore et encore… C’est vous, oui vous, que dans mon chant, bien souvent j’invoquerai, et toi surtout, remarquablement grandi par cet heureux mariage, Pélée, colonne de la Thessalie, à qui Jupiter lui-même, oui lui, le père des dieux, a cédé l’objet de ses amours. Est-ce bien toi que Thétis, la plus jolie Néréide, a tenu dans ses bras ? Est-ce bien à toi qu’ont concédé d’épouser leur petite-fille Thétys et l’Océan, qui embrasse de ses eaux l’univers entier ? Quand, au moment convenu, arriva cet heureux jour, toute la Thessalie se réunit en foule dans la demeure de Pélée, le palais s’emplit d’une joyeuse assemblée ; ils portent devant eux leurs présents et la joie se lit sur leurs visages. Scyros est désertée, on quitte Tempe de Phtie, et les demeures de Crannon, et les murailles de Larisse, on s’assemble à Pharsale, on se réunit sous les toits de Pharsale. Personne ne cultive plus les champs, le cou des jeunes bœufs se détend, on ne nettoie plus les vignes basses avec le hoyau recourbé, et le taureau ne retourne plus la terre avec le soc qui la fend.

Session 2012

VOYAGER EST UNE DUPERIE…

Seneca Lucilio suo salutem

Hoc tibi soli putas accidisse et admiraris quasi rem nouam quod peregrinatione tam longa et tot locorum uarietatibus non discussisti tristitiam grauitatemque mentis ? Animum debes mutare, non caelum. Licet uastum traieceris mare, licet, ut ait Vergilius noster, terraeque urbesque recedant, sequentur te, quocumque perueneris, uitia. Hoc idem querenti cuidam Socrates ait : « Quid miraris nihil tibi peregrinationes prodesse, cum te circum feras ? Premit te eadem causa, quae expulit ». Quid terrarum iuuare nouitas potest ? Quid cognitio urbium aut locorum ? In irritum cedit ista iactatio. Quaeris quare te fuga ista non adiuuet ? Tecum fugis. Onus animi deponendum est : non ante tibi ullus placebit locus. Talem nunc esse habitum tuum cogita, qualem Vergilius noster uatis inducit iam concitatae et instigatae multumque habentis in se spiritus non sui : 

          Bacchatur uates (1), magnum si pectore possit 
          excussisse deum (2). 

Vadis huc illuc, ut excutias insidens pondus, quod ipsa iactatione incommodius fit, sicut in naui onera inmota minus urguent, inaequaliter conuoluta citius eam partem, in quam incubuere demergunt. Quicquid facis, contra te facis et motu ipso noces tibi : aegrum enim concutis.  At cum istuc exemeris malum, omnis mutatio loci iucunda fiet : in ultimas expellaris terras licebit, in quolibet barbariae angulo colloceris, hospitalis tibi illa qualiscumque sedes erit. Magis quis ueneris quam quo, interest, et ideo nulli loco addicere debemus animum. Cum hac persuasione uiuendum est : « Non sum uni angulo natus, patria mea totus hic mundus est ». Quod si liqueret tibi, non admirareris nihil adiuuari te regionum uarietatibus, in quas subinde priorum taedio migras : prima enim quaeque placuisset, si omnem tuam crederes. Nunc non peregrinaris sed erras et ageris ac locum ex loco mutas, cum illud, quod quaeris, bene uiuere, omni loco positum sit. Num quid tam turbidum fieri potest quam forum ? Ibi quoque licet quiete uiuere, si necesse sit. Sed si liceat disponere se, conspectum quoque et uiciniam fori procul fugiam : nam ut loca grauia etiam firmissimam ualetudinem temptant, ita bonae quoque menti necdum adhuc perfectae et conualescenti sunt aliqua parum salubria.

Sénèque, 
Lettres à Lucilius, III, 28, 1-6
(323 mots)

(1) uates : dans le contexte, ce terme désigne la Sibylle, consultée par Énée.
(2) Virgile, Énéide, VI, 78-79.

Corrigé proposé par le jury

Sénèque salue son cher Lucilius

Tu crois que cela n’est arrivé qu’à toi, et tu t’étonnes comme d’un fait étrange de n’avoir pas dissipé, avec un voyage si long et tant de changements de lieux, la tristesse et la lourdeur de ton cœur ? Tu dois changer ton âme, et non de climat. Tu auras beau avoir passé la vaste mer, «les terres et les cités» ont beau « s’éloigner », selon le mot de notre Virgile, tu seras poursuivi par tes vices, où que tu parviennes. Voici ce que Socrate affirma à quelqu’un qui exprimait aussi la même plainte : « Pourquoi t’étonner de l’inutilité de tes voyages, puisque c’est toi-même que tu promènes ? C’est la même cause qui t’a poussé hors de chez toi et qui t’accable ». En quoi pourrait t’aider l’exotisme des terres ? Et la connaissance des villes et des lieux ? Toute cette agitation ne mène à rien. Tu demandes pourquoi cette fuite ne t’est d’aucun secours ? C’est que tu fuis en compagnie de toi-même. Il faut déposer le fardeau de ton âme : sans cela, aucun lieu ne te plaira. Songe que ton état ressemble, pour l’instant, à celui que notre Virgile représente chez la Sibylle, déjà excitée, enthousiasmée, ayant en elle abondance d’un souffle qui n’est pas le sien :

« La Sibylle est en transes, essayant de chasser le grand dieu de sa poitrine. »

Tu vas çà et là, pour chasser le poids qui te pèse et que ta simple agitation rend plus gênant : de la même façon, sur un bateau, une cargaison immobile exerce moins de pression, mais si son roulis provoque un déséquilibre, elle fait couler plus vite le côté sur lequel elle appuie. Tout ce que tu fais, tu le fais contre toi, et, par ton simple mouvement, tu te nuis à toi-même : c’est que tu secoues un malade. Au contraire, quand tu auras extirpé ce mal, tout changement de lieu deviendra agréable : on aura beau t’expédier au fin fond des terres, te cantonner dans un coin quelconque d’un pays barbare, ce séjour, de quelque qualité qu’il soit, sera hospitalier pour toi. Ce qui compte, c’est de savoir quel homme tu es en arrivant, plus que de savoir où tu es arrivé : voilà pourquoi nous ne devons assigner notre âme à aucun lieu. Il faut vivre avec cette conviction : « Je ne suis pas né pour un seul recoin ; ce monde-ci tout entier est ma patrie. » Si cela était clair pour toi, tu ne t’étonnerais pas de ne trouver aucun secours dans les changements de régions, vers lesquelles tu pars coup sur coup, par lassitude des précédentes : la première venue, en effet, t’aurait plu, si tu considérais chacune comme tienne. Mais, en réalité, tu vagabondes au lieu de voyager, tu te laisses mener, tu passes d’un lieu à l’autre, alors que l’objet de ta quête, l’art de bien vivre, se trouve partout. Peut-il y avoir quelque chose d’aussi désordonné que le forum ? Pourtant, même là, on peut vivre paisiblement, s’il le fallait. À vrai dire, si on pouvait disposer de soi, je fuirais, au loin, même la vue et le voisinage du forum : car, comme il y a des lieux malsains qui attaquent même la santé la plus solide, il y a des endroits insalubres même pour une âme bonne, encore imparfaite et en convalescence.

Session 2011

COMMENT TORPILLER SES CONCURRENTS

Lors des élections consulaires pour l’année 214, la centurie prérogative des jeunes de l’Anio a voté en faveur de M. Aemilius Regillus et de T. Otacilius ; Fabius Maximus, consul en exercice, prend la parole pour s’opposer à ce choix.

Quoniam quales uiros creare uos consules deceat satis est dictum, restat ut pauca de eis in quos praerogatiuae fauor inclinauit dicam. M. Aemilius Regillus flamen est Quirinalis, quem neque mittere a sacris neque retinere possumus ut non deum aut belli deseramus curam. T. Otacilius sororis meae filiam uxorem atque ex ea liberos habet ; ceterum non ea uestra in me maioresque meos merita sunt ut non potiorem priuatis necessitudinibus rem publicam habeam. Quilibet nautarum uectorumque tranquillo mari gubernare potest ; ubi saeua orta tempestas est ac turbato mari rapitur uento nauis, tum uiro et gubernatore opus est. Non tranquillo nauigamus sed iam aliquot procellis summersi paene sumus ; itaque quis ad gubernacula sedeat summa cura prouidendum ac praecauendum uobis est. In minore te experti, T. Otacili, re sumus ; haud sane cur ad maiora tibi fidamus documenti quicquam dedisti. Classem hoc anno, cui tu praefuisti, trium rerum causa parauimus, ut Africae oram popularetur, ut tuta nobis Italiae litora essent, ante omnia ne supplementum cum stipendio commeatuque ab Carthagine Hannibali transportaretur. Create consulem T. Otacilium, non dico si omnia haec, sed si aliquid eorum rei publicae praestitit. Sin autem te classem obtinente, ea etiam uelut pacato mari quibus non erat opus Hannibali tuta atque integra ab domo uenerunt, si ora Italiae infestior hoc anno quam Africae fuit, quid dicere potes cur te potissimum ducem Hannibali hosti opponamus ? Si consul esses, dictatorem dicendum exemplo maiorum nostrorum censeremus, nec tu id indignari posses aliquem in ciuitate Romana meliorem bello haberi quam te. Magis nullius interest quam tua, T. Otacili, non imponi ceruicibus tuis onus sub quo concidas. Ego magno opere suadeo moneoque, Quirites, eodem animo quo si stantibus uobis in acie armatis repente deligendi duo imperatores essent quorum ductu atque auspicio dimicaretis, hodie quoque consules creetis quibus sacramento liberi uestri dicant, ad quorum edictum conueniant, sub quorum tutela atque cura militent. Lacus Trasumennus et Cannae tristia ad recordationem exempla sed ad praecauendas similes clades utilia documento sunt. Praeco, Aniensem iuniorum in suffragium reuoca. 

Tite Live, 
Histoire romaine, XXIV, 8, 9-20
(326 mots)

Corrigé proposé par le jury

Puisque j’ai suffisamment parlé du type d’hommes qu’il convient que vous nommiez consuls, il me reste à dire quelques mots de ceux en faveur de qui a penché la centurie prérogative. Marcus Aemilius Regillus est flamine de Quirinus et nous ne pouvons ni l’éloigner des cérémonies religieuses, ni le retenir ici sans négliger l’attention que nous devons aux dieux ou bien celle que nous devons à la guerre. Titus Otacilius a pour épouse la fille de ma sœur et ils ont ensemble des enfants ; mais vos bons services à mon égard et envers mes ancêtres sont tels que je ne peux pas ne pas privilégier l’intérêt de l’État au détriment des liens privés. N’importe quel marin ou passager peut, lorsque la mer est calme, prendre le timon ; mais une fois que s’est levée la tempête furieuse et que le navire est emporté par le vent sur une mer agitée, on a alors besoin d’un homme digne de ce nom qui soit aussi un timonier. Or ce n’est pas par temps calme que nous naviguons, mais nous avons été presque déjà submergés sous un certain nombre d’orages ; c’est pourquoi vous devez prendre toutes les précautions et réfléchir préalablement avec le plus grand soin à la personne qui pourrait s’asseoir à côté du timon. Nous avons fait l’expérience de tes capacités, Titus Otacilius, dans une affaire de moindre importance ; tu ne nous as, assurément, donné aucune bonne raison d’avoir confiance en toi pour des situations de plus grande ampleur. La flotte dont tu as eu, toi, le commandement, nous l’avions apprêtée cette année dans un triple but : pour ravager la côte de l’Afrique, pour assurer la sécurité de nos rivages d’Italie et, par-dessus tout, pour empêcher Carthage d’acheminer vers Hannibal des renforts avec soldes et approvisionnement. Nommez consul Titus Otacilius, si jamais il a accompli pour l’État, je ne dis pas toutes ces missions, mais au moins l’une d’elles. Mais s’il est vrai que, alors que tu avais la flotte en main, même ces choses dont Hannibal n’avait pas besoin lui sont arrivées de chez lui saines et sauves et dans leur intégralité comme si elles avaient traversé une mer pacifiée, si les rivages de l’Italie furent plus dangereux cette année que ceux de l’Afrique, qu’as-tu à dire pour que, de préférence, nous fassions de toi le chef à opposer à un ennemi comme Hannibal ? Si tu étais consul, nous serions d’avis qu’il nous faut, sur le modèle de nos ancêtres, nommer un dictateur et toi tu ne pourrais t’indigner que quelqu’un soit, à Rome, tenu pour meilleur que toi à la guerre. Personne n’a plus intérêt que toi, Titus Otacilius, à ce que ne soit pas placé sur ta nuque un poids sous lequel tu pourrais t’effondrer. Moi je vous exhorte vivement et je vous avertis, Quirites : en vous mettant dans le même état d’esprit que s’il avait fallu, tandis que vous vous teniez en armes dans le rang, désigner sur le champ deux généraux en chef sous la conduite et sous les auspices desquels vous alliez combattre, nommez consuls aujourd’hui pareillement des hommes auxquels vos enfants vont prêter le serment militaire, sur l’ordre desquels ils se réuniront, sous la protection et les soins de qui ils vont faire campagne. Le lac Trasimène et Cannes sont des exemples de sinistre mémoire, mais ils montrent utilement comment prévenir de semblables catastrophes. Héraut, appelle de nouveau au vote la centurie des jeunes de l’Anio.

Session 2010

UN POÈTE PARMI LES LOUPS

Exilé sur les bords de la Mer noire, Ovide a appris d’un ami que ses vers sont applaudis à Rome ; il s’en étonne, mais ajoute :

Non tamen ingratum est quodcumque obliuia nostri
     impedit et profugi nomen in ora refert.
Quamuis interdum, quae me laesisse recordor,
     carmina deuoueo Pieridasque meas,
cum bene deuoui, nequeo tamen esse sine illis
     uulneribusque meis tela cruenta sequor,
quaeque modo Euboicis lacerata est fluctibus, audet
     Graia Caphaream currere puppis aquam.
Nec tamen ut lauder uigilo curamque futuri
     nominis, utilius quod latuisset, ago.
Detineo studiis animum falloque dolores,
     experior curis et dare uerba meis.
Quid potius faciam solus desertis in oris,
     quamue malis aliam quaerere coner opem ?
Siue locum specto, locus est inamabilis et quo
     esse nihil toto tristius orbe potest,
siue homines, uix sunt homines hoc nomine digni,
     quamque lupi saeuae plus feritatis habent.
Non metuunt leges, sed cedit uiribus aequum
     uictaque pugnaci iura sub ense iacent.
Pellibus et laxis arcent mala frigora bracis
     oraque sunt longis horrida tecta comis.
In paucis extant Graecae uestigia linguae,
     haec quoque iam Getico barbara facta sono.
Vnus in hoc nemo est populo qui forte Latine
     quaelibet e medio reddere uerba queat.
Ille ego Romanus uates (ignoscite, Musae !)
     Sarmatico cogor plurima more loqui.
Et pudet et fateor, iam desuetudine longa
     uix subeunt ipsi uerba Latina mihi.
Nec dubito quin sint et in hoc non pauca libello
     barbara : non hominis culpa, sed ista loci.
Ne tamen Ausoniae perdam commercia linguae,
     et fiat patrio uox mea muta sono,
ipse loquor mecum desuetaque uerba retracto,
     et studii repeto signa sinistra mei.
Sic animum tempusque traho, me sicque reduco
     a contemplatu submoueoque mali.
Carminibus quaero miserarum obliuia rerum :
     praemia si studio consequar ista, sat est.

Ovide, 
Tristes, V, 7, v. 29-68
(40 vers – 256 mots)

Corrigé proposé par le jury

Pour autant, je ne suis pas sans reconnaissance envers tout ce qui empêche qu’on m’oublie, et ramène sur les lèvres le nom de l’exilé. Il est vrai, parfois, songeant au mal qu’ils m’ont fait, je maudis mes vers et mes chères Piérides ; pourtant, lorsque je les ai bien maudits, ne pouvant vivre sans eux ni elles, je recherche les traits rouges du sang de mes blessures : le navire grec qui vient d’être déchiré par les flots de l’Eubée, n’ose-t-il pas parcourir les eaux de Capharée ? Et pourtant recevoir des louanges n’est pas le but de mes veilles et je n’ai pas souci de l’avenir d’un nom dont l’obscurité m’eût été plus utile. L’étude me sert à occuper mon esprit et tromper mon chagrin : je tente de donner la parole à mes tourments. Que faire d’autre seul sur un rivage désert ou quel autre secours essayer de chercher contre mes maux ? Si je considère le lieu où je suis, c’est un lieu qu’on ne peut aimer : c’est le lieu le plus triste qui soit au monde. Si je considère les hommes, ce sont des hommes à peine dignes de ce nom et plus que des loups ils sont féroces et sauvages. Ils ne craignent pas les lois mais la justice cède à l’usage de la force et le droit gît, vaincu sous le glaive des combats. C’est avec des peaux de bêtes et de larges braies qu’ils écartent les froids pernicieux et leurs visages hirsutes sont recouverts de longs cheveux. Peu nombreux sont les hommes chez lesquels on perçoit encore les traces de la langue grecque ; encore ces dernières sont-elles désormais devenues barbares, prononcées qu’elles sont avec l’accent gétique ! Pas un seul homme dans ce peuple qui soit capable, au besoin, d’exprimer en latin le moindre mot du langage courant. Moi-même, le poète romain que l’on sait (pardonnez-moi, Muses) je suis très souvent contraint de parler le sarmate. Et je l’avoue, à ma honte : à force d’en avoir perdu l’habitude, les mots latins me viennent même à moi avec peine, et je ne doute pas qu’il y ait aussi dans ce petit livre plus d’un barbarisme : ce n’est pas la faute de l’homme, mais celle du lieu. Cependant, pour ne pas perdre la pratique de la langue ausonienne, et pour éviter que ma voix ne devienne muette aux accents de ma patrie, je me parle moi-même, je manie à nouveau les mots dont j’ai perdu l’usage, et je regagne les funestes enseignes de mon goût pour l’étude. C’est ainsi que je distrais mon âme et le temps, c’est ainsi que je me détourne et m’écarte de la contemplation de mon malheur. Je cherche dans mes vers l’oubli de mes misères. Si l’étude me procure cette récompense, voilà qui suffit.

Session 2009

Pline l’Ancien,
Histoire naturelle, XXVIII

Corrigé proposé par le jury

Lucius Pison, au premier livre de ses Annales, rapporte que le roi Tullus Hostilius, ayant tenté, d’après les livres de Numa et en procédant au même sacrifice que celui-ci, de faire descendre Jupiter du ciel, fut frappé par la foudre, pour n’avoir pas suffisamment respecté certaines pratiques rituelles ; nombreuses sont les sources qui attestent que les oracles et les présages annonçant de grands événements peuvent être modifiés par des formules. Lorsque, en creusant sur le mont Tarpéien les fondations pour le temple, on trouva une tête humaine, une délégation ayant été envoyée auprès de lui en raison de ce prodige, Olénus Calénus, le devin le plus célèbre d’Étrurie, reconnaissant là un présage de gloire et de bonheur, tenta, après avoir tracé auparavant devant lui sur le sol à l’aide de son bâton la figure d’un temple, de transférer le présage sur sa propre nation à l’aide d’une question : « C’est bien ceci que vous dites, Romains ? C’est bien ici que s’élèvera le temple de Jupiter Très Bon Très Grand, c’est ici que nous avons trouvé la tête ? » Si l’on en croit ce qu’affirment très fermement les Annales, le destin serait passé à l’Étrurie si, prévenus par le fils du devin, les envoyés n’avaient répondu : « Non, ce n’est pas exactement ici, mais c’est à Rome, disons-nous, que la tête a été trouvée. » Selon la tradition, le fait s’est produit une seconde fois, lorsque le quadrige de terre cuite destiné au faîte du même temple eut augmenté de volume dans le four, et une seconde fois, de façon semblable, le présage ne fut pas détourné. Que cela suffise pour démontrer par des exemples que l’efficacité des présages est en notre pouvoir et que leur valeur dépend de la façon dont on les interprète. En tout cas, dans les pratiques augurales, il est établi que ni les imprécations ni aucun présage n’ont d’effet sur ceux qui, au début de quelque entreprise, déclarent qu’ils ne les prendront pas en compte, en quoi il n’est pas de plus grand bienfait de la bonté des dieux. Eh quoi ? Ne sont-ce pas aussi précisément les formules de lois lues dans les XII Tables : « Celui qui aura prononcé des incantations pour attirer les récoltes d’autrui » et ailleurs : « Celui qui aura prononcé une malédiction ». Verrius Flaccus cite des sources qu’il juge dignes de foi, selon lesquelles les prêtres romains habituellement, au moment d’assaillir les villes, invitaient avant toute chose la divinité tutélaire de la place à quitter la ville et lui promettaient chez les Romains un culte identique ou plus important. Cette pratique subsiste encore dans les règles des pontifes et il est certain que c’est pour cette raison que le nom de la divinité tutélaire de Rome est tenu secret, de crainte que quelque ennemi ne procède de la même façon. Il n’est d’ailleurs personne qui ne redoute d’être envoûté par des prières d’exécration. A cela répond l’usage de briser aussitôt les coquilles des œufs et des escargots ou de les percer avec les cuillères utilisées, chaque fois qu’on les mange. De là provient aussi cette imitation des charmes, dans les poèmes de Théocrite chez les Grecs, chez nous de Catulle et, tout récemment, de Virgile. 

Session 2008

Sénèque le Jeune,
Phèdre, v. 1199-1243

Corrigé proposé par le jury

Ce que tu dois faire, à présent qu’on t’a ravi ton fils, toi son père, apprends-le de sa marâtre : enfouis-toi dans les plaines de l’Achéron. Pâles gorges de l’Averne et vous, grottes du Ténare, onde du Léthé chère aux éplorés, et vous, lacs dormants, ravissez l’impie et oppressez-le, englouti dans des maux perpétuels. À présent, arrivez, cruels monstres océaniques, à présent, vaste mer et tout ce que Protée enfouit d’êtres dans le tréfonds des flots et moi, tout triomphant d’un tel crime, ravissez-moi en vos gouffres profonds ; et toi, auteur de mes jours, approbateur toujours complaisant de mon courroux : d’une mort complaisante, je ne suis pas digne, moi qui, en un meurtre inouï, au loin, ai disperse à travers champs mon fils et qui, tout en pourchassant un faux sacrilège en vengeur sévère, suis tombé dans un vrai crime. Ce sont les astres, les mânes et les ondes que j’ai emplis de mon crime ; il ne me reste nulle autre destinée : les trois royaumes me connaissent. Est-ce pour cela que nous sommes de retour ? Il s’est ouvert une voie céleste pour me faire voir doubles funérailles et meurtres jumeaux ; pour, veuf et sans enfant, d’un unique flambeau, me voir allumer les bûchers funèbres de ma progéniture et de mon hymen ? Toi qui m’as fait don de cette noire lumière, Alcide, ton présent, renvoie-le à Dis ; à moi restitue les mânes que l’on m’a ravis. Impie, en vain j’invoque la mort que j’ai quittée ; en cruel artisan du trépas, toi qui as machiné d’insolites, de féroces issues, à présent, pour toi-même, sollicite de justes supplices. Un pin, touchant de sa cime ployée le sol, au ciel me renverrait-il, fendu en troncs jumeaux, ou serais-je précipité à travers les rocs scironiens ? J’ai vu plus pénible : les supplices que le Phlégéthon fait subir aux reclus coupables, qu’il encercle de son gué enflammé : quelle peine m’attend et quel séjour, je le sais. Ombres des coupables, faites place et qu’à l’appui sur ma nuque, oui, sur ma nuque, un roc pèse sur mes bras harassés, labeur éternel pour le vieillard, fils d’Éole ; qu’il se joue de moi, le fleuve, en baignant mon visage tout proche ; que le vautour quitte Tityos pour s’envoler vers moi, féroce, et que pour ma peine, toujours, mon foie repousse ; toi aussi, repose-toi, père de mon cher Pirithoüs : qu’en tourbillons rapides, elle entraîne mes membres, sans jamais s’arrêter, la roue à la révolution éternelle. Entrouvre-toi, terre, accueille-moi, sinistre chaos, accueille-moi. Cette voie vers les ombres est plus juste pour nous : C’est mon fils que je rejoins ; n’aie crainte, toi qui règnes sur les mânes : nous venons dans la pureté ; accueille-moi en ta demeure éternelle, moi qui n’en veux plus sortir. Mes prières n’émeuvent pas les dieux : mais si j’en implorais des crimes, qu’ils seraient prompts à m’exaucer !   

Session 2007

Quintilien,
Institution oratoire, VI, 1, 27-34

Corrigé proposé par le jury

Cependant, l’appel à la pitié ne doit jamais durer trop longtemps. Et l’on a eu bien raison de dire que rien ne vient plus facilement à sécher que des larmes. En effet, s’il n’est pas de douleurs, même véritables, que le temps n’adoucisse, cette évocation que nous avons forgée de nos mots sera nécessairement plus prompte à s’évanouir ; si nous nous y complaisons, les larmes fatiguent l’auditeur qui commence à se rasséréner et, revenu du premier choc qui l’avait étourdi, il recouvre sa raison. Ne laissons donc pas refroidir notre ouvrage, et, une fois l’émotion portée à son plus haut degré, laissons là la sensibilité sans espérer faire pleurer sans fin sur les malheurs d’autrui. Voilà pourquoi c’est dans la péroraison plus qu’en toute autre partie du plaidoyer que le ton doit s’élever : tout ce qui n’ajoute pas à ce qu’on a déjà dit va jusqu’à paraître en diminuer la force, et toute émotion qui baisse s’éteint bientôt. Ce n’est pas seulement en parlant mais encore par une certaine gestuelle que nous faisons couler les larmes. D’où l’habitude qui s’est établie de faire avancer ceux-là mêmes qui encourent une condamnation, en vêtements de deuil et le visage ravagé, accompagnés de leurs enfants, de leur père et de leur mère; quant aux accusateurs, nous les voyons brandir le glaive sanglant de l’assassin, les os que l’on a extraits des blessures de la victime et ses vêtements inondés de sang, débander des plaies et mettre à nu des corps meurtris. Ces procédés ont généralement une très grande efficacité, en entraînant l’esprit des spectateurs pour ainsi dire en présence même du crime en train de se dérouler. C’est ainsi que le peuple romain fut transporté de fureur par la toge toute sanglante de Caïus César exposé au forum. On savait qu’il avait été assassiné, son corps même avait ensuite été placé sur le lit funèbre, et pourtant son vêtement trempé de sang mit si bien sous les yeux l’image du crime qu’on avait l’impression, non que César avait déjà été assassiné mais qu’on l’assassinait dans l’instant même. Mais je n’approuverais pas pour autant le procédé que je trouve dans des livres et que j’ai parfois observé moi-même : peindre sur un tableau ou un rideau une représentation du crime, dont l’horreur devrait bouleverser le juge. Quelle impuissance oratoire chez un avocat pour croire que cette image muette parlera mieux pour lui que son discours ? Toutefois, il y a des cas, je le sais, où les vêtements de deuil, l’extérieur négligé d’un accusé, ainsi qu’une semblable tenue chez ses proches, ont servi sa défense, où les prières ont été d’un grand poids pour le sauver. C’est pourquoi les supplications usuelles adressées aux juges « au nom des plus chers objets de leur tendresse », surtout si l’accusé aussi a des enfants, une épouse, un père et une mère, auront leur utilité; et l’invocation des dieux paraît encore, d’ordinaire, avoir son principe dans une conscience sans reproche. Enfin on peut se prosterner à terre devant ses juges et embrasser leurs genoux, pourvu toutefois que le caractère, le passé et la condition de l’accusé ne nous en empêchent pas, car il est des actions faites avec fermeté qu’il faut savoir défendre de même. Cependant, si sauvegarder la dignité est nécessaire, on veillera à ce que ce ne soit pas au prix d’une assurance excessive qui s’attirerait la haine.

Session 2005

Tite Live,
Histoire romaine, XI, 8, 7-20

Corrigé proposé par le jury

« Voici que je siège, moi, le plus malheureux des pères, comme juge entre mes deux fils, l’un étant l’accusateur et l’autre l’accusé dans une affaire de fratricide, condamné que je suis à trouver chez les miens la tache d’un crime inventé de toutes pièces ou réellement commis. Certes, il y a bien longtemps que je redoutais cette tempête qui menaçait quand je vous voyais echanger des regards bien peu fraternels, quand j’entendais certaines paroles. Mais, de temps à autre, je me prenais à espérer que vos fureurs pourraient s’apaiser, que vos soupçons pourraient être dissipés. Je me disais que même des peuples ennemis avaient déposé les armes et conclu des traités, et que bien des querelles privées avaient connu une fin; j’espérais que vous vous souviendriez un jour de votre parenté, de la franchise et de l’intimité enfantines que vous aviez jadis, et, enfin, de mes leçons que j’ai, je le crains, serinées en pure perte à des oreilles qui ne voulaient rien entendre. Que de fois ai-je, en votre présence, maudit les exemples de discordes fraternelles et rappelle leurs effroyables conséquences : la ruine totale de ces frères, de leur descendance, de leurs maisons, de leurs royaumes ! Je vous ai aussi, pour faire pendant, présente des exemples plus recommandables l’entente liant entre eux les deux rois de Lacédémone, salutaire à travers bien des siècles pour eux-memes et pour leur patrie et la ruine de cette même cité, une fois que l’habitude se fut instaurée pour chacun de s’arroger le pouvoir absolu; j’ai par ailleurs évoqué Eumène et Anale, ces deux frères qui, partant de possessions si modestes qu’on aurait presque honte de les appeler rois, ne doivent qu’à leur fraternel accord d’avoir égalé leur royaume au mien, à celui d’Antiochus, à celui de n’importe quel roi contemporain. Alors que je suis vivant et que je respire, voici que tous deux, poussés par une espérance et un désir coupables, vous avez pris possession de mon héritage. Vous voulez que je vive, mais juste assez pour voir périr l’un d’entre vous et pour faire de l’autre, par ma mort, un roi incontesté ! Vous ne pouvez souffrir ni frère ni père ; rien de cher, rien de sacré n’existe pour vous ; à tous ces sentiments a succédé un amour insatiable pour une seule chose : le trône. Allez, souillez les oreilles de votre père, tranchez la question a coups d’accusations, vous qui la trancherez bientôt par l’épée, dites ouvertement tout ce que vous pouvez dire de vrai ou tout ce qu’il vous plaît d’inventer: mes oreilles sont ouvertes, elles qui, à l’avenir, seront fermées aux accusations lancées séparément par l’un contre l’autre. » Quand il eut dit cela, tout bouillant de colère, les larmes vinrent aux yeux de tous et, pendant longtemps, un silence affligé régna.

Session 2006

Silius Italicus,
La Guerre punique

Session 2004

TURNUS PÉNÈTRE DANS LE CAMP DES TROYENS

Virgile,
Énéide, IX, v. 717-761

Corrigé proposé par le jury

Alors le maître des combats, Mars, redonna du courage et des forces aux Latins ; il fit pénétrer dans leur poitrine ses aiguillons acérés et il lança sur les Troyens la Fuite et la Peur sombre. De toutes parts ils se rassemblent, puisqu’on leur a donné la possibilité de combattre et que le dieu de la guerre est entré dans leur cœur. Pandarus, devant son frère abattu, voyant dans quel camp se trouve la fortune et quel cours prennent les choses, fait tourner les gonds de la porte de toutes ses forces et il la rabat en s’y appuyant de ses larges épaules ; il abandonne ainsi bon nombre des siens à l’extérieur des remparts, dans un dur combat, tandis qu’il en enferme d’autres avec lui et les reçoit dans leur élan ; le fou, il n’a pas vu au milieu de la colonne le roi rutule se précipiter et, de lui-même, il l’a enfermé dans le camp, comme un tigre effrayant parmi des brebis sans force. Sur-le-champ, une lumière nouvelle a lui dans le regard de Turnus ; ses armes ont résonné de façon terrifiante, les aigrettes sanglantes frissonnent sur sa tête, de son bouclier, il lance des éclairs étincelants. Soudainement bouleversés, les compagnons d’Énée reconnaissent son odieux visage et son corps effrayant. Alors l’immense Pandarus s’élance et, tout bouillant de colère à cause de la mort de son frère, il dit : « Ce n’est pas ici le palais royal offert en dot par Amata, et ce n’est pas Ardée qui enferme Turnus à l’intérieur des remparts de ses pères. C’est un camp ennemi que tu vois et tu n’as pas la possibilité d’en sortir. » Turnus, sans se troubler, lui répond avec un sourire : « Si tu as quelque courage dans le cœur, allons ! engage le combat : tu raconteras à Priam qu’ici tu as rencontré un nouvel Achille. » Sur ces mots, Pandarus décoche de toutes ses forces une lance grossière, noueuse, à l’écorce encore verte : elle n’a frappé que les airs ; la Saturnienne Junon a détourné l’arrivée du coup et la lance se plante dans la porte. Alors, Turnus (de dire) : « Toi, tu n’échapperas pas à cette arme que ma main droite agite avec force ; en effet tu n’es pas capable de lancer une arme et de porter un coup. » Ainsi dit-il. Il se lève pour brandir haut son épée et, frappant du fer entre les deux tempes au milieu du front, il sépare les joues imberbes en une blessure horrible. L’air résonne, la terre a été frappée par le poids du corps immense. Pandarus s’écroule avec ses armes ensanglantées de cervelle et tombe, étendu à terre, en mourant. Sa tête coupée en deux repose d’un côté et de l’autre sur chaque épaule. Épouvantés et tremblants, les Troyens se sont retournés et s’enfuient ; si le vainqueur avait eu aussitôt l’idée de briser de sa main les verrous et de faire entrer ses compagnons, s’aurait été le dernier jour de la guerre et de la nation. Mais, enflammé par la fureur et le désir insensé de tuer, il marche sur ceux qui lui font face.   

Session 2003

CONSEIL À LUCILIUS, PROCURATEUR DE SICILE

Sénèque le Jeune,
Questions naturelles, IVa, préface, 1-6

Corrigé proposé par le jury

Comme tu me l’écris, Lucilius, toi le meilleur des hommes, tu trouves du charme à la Sicile et à ta charge de procurateur, qui te laisse du loisir ; tu continueras à leur trouver du charme si tu as la volonté de maintenir cette charge dans ses limites et de ne pas faire d’une délégation de pouvoir un pouvoir souverain. Tu le feras, je n’en doute pas : je sais combien tu es étranger aux intrigues de la carrière et combien sont proches les liens avec le loisir lettré. À ceux qui ne savent pas se supporter eux-mêmes de rechercher l’agitation des affaires et des hommes ; toi, tu es en parfait accord avec toi. même. Et il n’est pas étonnant que peu de gens connaissent cet accord ; nous exerçons sur nous-mêmes une domination pesante ; c’est tantôt l’amour tantôt le dégoût de nous-mêmes qui nous met à la peine ; et notre cœur, pour son malheur, parfois nous l’enflons d’orgueil, parfois nous le dilatons de passion, un jour nous le fatiguons de plaisir, un autre jour nous le consumons d’inquiétude. Mais le plus lamentable est que jamais nous ne sommes un seul individu à la fois : c’est pourquoi, nécessairement, la lutte est continuelle là où cohabitent tant de vices. Fais donc, mon cher Lucilius, ce que tu fais habituellement : tiens-toi, autant que tu le peux, à l’écart de la foule afin de ne pas prêter le flanc aux flatteurs. Ils sont passés maîtres dans l’art de prendre au piège leurs supérieurs. Tu ne seras pas de même force. même si tu l’es bien mis sur les gardes ; mais crois-moi, si tu es pris, tu te livreras toi-même à la trahison. Les flatteries ont ce caractère qui tient à leur nature même : elles font plaisir même quand elles sont rejetées ; alors qu’elles sont souvent laissées dehors. elles finissent par être reçues. Le fait même qu’on les repousse, elles le portent à leur actif et même l’outrage ne peut les faire capituler. Ce que je vais dire est incroyable mais pourtant vrai : on offre la meilleure prise du côté où l’on se protège. Peut-être est-on attaqué, en effet, précisément parce qu’on offre prise. Ainsi donc, dispose-toi d reconnaitre que tu ne peux réussir à être impénétrable : quand tu te seras gardé de tous côtés, tu seras frappé à travers ton armure. L’un usera de flatterie sans le faire paraître, en se retenant ; un autre en usera ouvertement, à la vue de tous, en feignant la gaucherie. comme si c’était là de la franchise et non pas un artifice. Plancus, le plus grand dans cet art avant Vitellius, disait qu’il ne fallait pas flatter en se cachant et en dissimulant : « Une demande en mariage est sans effet, dit-il, si elle passe inaperçue ». Le flatteur obtient les meilleurs résultats quand il a été pris sur le fait, et de meilleurs encore s’il a été blâmé, s’il a rougi. Songe que le rôle que tu vas jouer suscitera beaucoup de Plancus et que le remède contre un mal de cette force n’est pas de refuser les louanges. Crispus Passiénus, l’homme qui, à ma connaissance, eut le plus de finesse dans tous les domaines mais surtout dans la distinction et la description détaillée des vices, disait souvent que nous ne tenons pas la porte close aux flatteurs mais que nous la fermons et seulement comme on le fait pour faire obstacle à sa maitresse que l’on reçoit avec plaisir si elle a heurté la porte et avec plus de plaisir si elle l’a détruite.

Session 2002

TRAJAN, PRINCE MODÈLE, RÉCOMPENSE LES CITOYENS QUI LUI RESSEMBLENT

Pline le Jeune,
Panégyrique de Trajan, 44-45

Corrigé proposé par le jury

Tu aimes chez tes concitoyens la détermination : les caractères fermes et énergiques, tu ne les écrases pas, comme les autres le faisaient, ni ne les abaisses, mais tu les encourages et les élèves. Il y a profit à être bon, alors que ce serait suffisant et même beaucoup que cela ne nuise pas ; c’est à eux que tu offres les honneurs, à eux les dignités religieuses, à eux les provinces ; ce sont eux qui prospèrent grâce à ton amitie, grâce à ton appui. Leurs semblables sont stimulés par le prix dont tu paies leur intégrité et leur zèle, leurs contraires sont attirés ; en effet, ce sont les sanctions accordées aux bons ou aux mauvais qui font les bons ou les mauvais. Ils sont peu nombreux à être dotés d’un caractère suffisant pour ne pas rechercher ou bien fuir ce qui est mal ou bien selon que cela leur profite ou les dessert; mais la plupart, quand le salaire du travail est versé à la paresse, celui de l’attention à la somnolence, celui de l’austérité à la magnificence, recherchent les mêmes avantages par les procédés que les autres ont utilisés sous leurs yeux et ils veulent être et paraître tels que sont ces gens et, tout en le voulant, ils le deviennent. En vérité, les princes précédents, en dehors de ton père, et avec lui un ou deux autres (C’est même trop dire), se réjouissaient davantage des vices de leurs concitoyens que de leurs qualités, d’abord parce qu’on aime en autrui sa propre nature, ensuite parce qu’ils estimaient que supportaient mieux l’esclavage ceux qui n’étaient bons qu’à être des esclaves. Ils entassaient entre les mains de ces derniers toutes les récompenses et les gens de bien, dissimulés et pour ainsi dire ensevelis dans la retraite et l’abandon, ils ne les plaçaient sous la lumière du jour que par les délations et les périls. Mais toi, tu prends tes amis parmi les meilleurs, et, par Hercule, il est juste que soient les plus chers à un bon prince ceux qui ont été le plus hais d’un mauvais. Tu sais bien que, de même que divergent par leur nature la tyrannie et le principat, de même un prince est le plus aimé de ceux qui supportent le moins un tyran. Tu pousses donc et mets en avant pour ainsi dire des types et des modèles du genre de vie et de l’espèce d’hommes qui te plaisent; et tu n’as jusqu’ici revêtu ni la censure ni la préfecture des mœurs pour la raison que tu préfères éprouver nos caractères plutôt par des bienfaits que par des sanctions. Et du reste, peut-être le prince qui admet qu’il y ait des hommes de bien contribue-t-il plus aux bonnes mœurs que celui qui y contraint. Souples, nous sommes conduits par le prince dans la direction où il le veut et, si je puis dire, nous le suivons. En effet, nous souhaitons lui être chers, en être approuvés, ce qu’espéreraient en vain ceux qui ne lui ressembleraient pas, et, en raison d’une longue soumission, nous en sommes venus au point de vivre presque tous selon les mœurs d’un seul. D’ailleurs, les choses n’ont pas été si mal faites que, capables d’imiter un mauvais prince, nous ne puissions en imiter un bon. Poursuis seulement, César, et ta conduite, tes actes obtiendront la puissance et l’effet d’une censure. Car la vie d’un prince est une censure, qui est perpétuelle : c’est sur elle que nous nous dirigeons, sur elle que nous nous régions, et nous n’avons pas tant besoin d’autorité que d’un exemple.

Session 2001

Tibulle,
Élégies, II, 5, v. 19-62

Corrigé proposé par le jury

C’est elle qui révéla à Énée les oracles, une fois que, dit-on, il eut soutenu son père et les Lares qu’il avait emportés; il ne croyait pas que Rome existerait alors que, tout affligé, de la haute mer il regardait lion et ses dieux en flammes. Romulus n’avait pas encore déterminé le tracé des murailles de la ville éternelle, que son frère Rémus ne devait pas habiter avec lui; mais alors les vaches paissaient le Palatin herbeux, et de modestes chaumières se dressaient sur la citadelle de Jupiter; ruisselant de lait, Pan reposait là à l’ombre d’une yeuse, ainsi qu’une Palès en bois façonnée par une faucille rustique; dans un arbre pendait l’offrande votive d’un berger nomade, une flûte babillarde consacrée au dieu des bois, une flûte dont la taille des roseaux décroît régulièrement et dont les tuyaux de plus en plus courts sont unis avec de la cire. D’un autre côté là où s’étend le quartier du Vélabre, d’ordinaire allait une étroite nacelle fendant les flots à travers les bas-fonds; cette eau souvent aux jours de fête porta la jeune fille désireuse de plaire au riche maître du troupeau, et avec elle revinrent les dons d’une campagne féconde, fromage et agneau éclatant de blancheur d’une brebis à la toison de neige : « Infatigable Énée, frère d’Amour voletant, toi qui sur tes vaisseaux fugitifs transportes les objets sacrés de Troie, désormais Jupiter t’attribue les champs Laurentins, désormais une terre hospitalière appelle tes Lares errants; c’est là que tu sera consacré, lorsque l’onde vénérable de Numicius t’aura porté au ciel en tant que dieu indigète. Voici qu’au-dessus des poupes fatiguées vole la victoire; enfin vers les Troyens vient la déesse altière; voici que luit à ma vue l’incendie au camp des Rutules; dès à présent, je te prédis, barbare Turnus, la mort. Devant mes yeux, il y a la place forte de Laurente, le mur de Lavinium et Albe la Longue fondée sous la conduite d’Ascagne. Toi aussi, je te vois déjà, prêtresse qui va plaire à Mars, llia, abandonner le foyer de Vesta, je vois tes étreintes furtives, tes bandelettes gisantes et les armes abandonnées sur la rive par le dieu plein de désir. Broutez à présent, taureaux, les herbes des sept collines, tant que c’est permis : ici sera désormais le lieu d’une grande cité. Rome, ton nom est appelé par le destin à gouverner le monde, là où du haut du ciel Cérès contemple les labours qui lui sont chers, là où s’étendent les régions du levant, là où de ses ondes frémissantes le fleuve baigne du soleil les chevaux haletants. Oui, Troie alors s’étonnera d’elle-même et se dira que vous l’avez bien servie par un si long voyage ».

VERSION GRECQUE

POÉSIE : 13/37
PROSE : 24/37

2025 : Xénophon (prose historique)
2024 : Sophocle (poésie dramatique – tragédie)
2023 : Démosthène (prose oratoire)
2022 : Lucien (prose)
2021 : Hymnes homériques (poésie épique)
2020 : Thucydide (prose historique)
2019 : Euripide (poésie dramatique – tragédie)
2018 : Aristote (prose philosophique)
2017 : Xénophon (prose historique) 
2016 : Démosthène (prose oratoire)
2015 : Aristophane (poésie dramatique – comédie)
2014 : Platon (prose philosophique)
2013 : Lysias (prose oratoire)
2012 : Euripide (poésie dramatique – drame satirique)
2011 : Flavius Josèphe (prose historique)
2010 : Xénophon (prose historique)
2009 : Sophocle (poésie dramatique – tragédie)
2008 : Plutarque (prose)
2007 : Aristophane (poésie dramatique – comédie)
2006 : Eschine (prose oratoire)
2004 : Xénophon (prose historique)
2003 : Dion Cassius (prose historique)
2002 : Euripide (poésie dramatique – tragédie)
2001 : Libanios (prose oratoire)
2000 : Platon (prose philosophique)
1999 : Eschyle (poésie dramatique – tragédie)
1998 : Démosthène (prose oratoire)
1997 : Thucydide (prose historique
1996 : Eschyle, Les Euménides (poésie dramatique – tragédie)
1995 : Aristote (prose philosophique)             
1994 : Euripide (poésie dramatique – tragédie)
1993 : Platon (prose philosophique)
1992 : Démosthène (prose oratoire)
1991 : Euripide (poésie dramatique – tragédie)
1990 : Thucydide (prose historique)
1989 : Platon (prose philosophique)             

Session 2025

Le jeune Cyrus a obtenu de son grand-père Astyage l’autorisation d’aller à la chasse, accompagné par son oncle Cyaxare et d’autres personnes expérimentées. 

Ὁ οὖν Κῦρος τῶν ἑπομένων προθύμως ἐπυνθάνετο ποίοις οὐ χρὴ θηρίοις πελάζειν καὶ ποῖα χρὴ θαρροῦντα διώκειν. Οἱ δ’ ἔλεγον ὅτι ἄρκτοι τε πολλοὺς ἤδη πλησιάσαντας διέφθειραν καὶ κάπροι καὶ λέοντες καὶ παρδάλεις, αἱ δὲ ἔλαφοι καὶ δορκάδες καὶ οἱ ἄγριοι οἶες καὶ οἱ ὄνοι οἱ ἄγριοι ἀσινεῖς εἰσιν. Ἔλεγον δὲ καὶ τοῦτο, τὰς δυσχωρίας ὅτι δέοι φυλάττεσθαι οὐδὲν ἧττον ἢ τὰ θηρία· πολλοὺς γὰρ ἤδη αὐτοῖς τοῖς ἵπποις κατακρημνισθῆναι. Καὶ ὁ Κῦρος πάντα ταῦτα ἐμάνθανε προθύμως· ὡς δὲ εἶδεν ἔλαφον ἐκπηδήσασαν, πάντων ἐπιλαθόμενος ὧν ἤκουσεν, ἐδίωκεν οὐδὲν ἄλλο ὁρῶν ἢ ὅπῃ ἔφευγε. Καί πως διαπηδῶν αὐτῷ ὁ ἵππος πίπτει εἰς γόνατα, καὶ μικροῦ κἀκεῖνον ἐξετραχήλισεν. Οὐ μὴν ἀλλ’ ἐπέμεινεν ὁ Κῦρος μόλις πως, καὶ ὁ ἵππος ἐξανέστη. Ὡς δ’ εἰς τὸ πεδίον ἦλθεν, ἀκοντίσας καταϐάλλει τὴν ἔλαφον, καλόν τι χρῆμα καὶ μέγα. Καὶ ὁ μὲν δὴ ὑπερέχαιρεν· οἱ δὲ φύλακες προσελάσαντες ἐλοιδόρουν αὐτὸν καὶ ἔλεγον εἰς οἷον κίνδυνον ἔλθοι, καὶ ἔφασαν κατερεῖν αὐτοῦ. Ὁ οὖν Κῦρος εἱστήκει καταϐεϐηκώς, καὶ ἀκούων ταῦτα ἠνιᾶτο. Ὡς δ’ ᾔσθετο κραυγῆς, ἀνεπήδησεν ἐπὶ τὸν ἵππον ὥσπερ ἐνθουσιῶν, καὶ ὡς εἶδεν ἐκ τοῦ ἐναντίου κάπρον προσφερόμενον, ἀντίος ἐλαύνει καὶ διατεινάμενος εὐστόχως βάλλει εἰς τὸ μέτωπον καὶ κατέσχε τὸν κάπρον. Ἐνταῦθα μέντοι ἤδη καὶ ὁ θεῖος αὐτῷ ἐλοιδορεῖτο, τὴν θρασύτητα ὁρῶν. Ὁ δ’ αὐτοῦ λοιδορουμένου ὅμως ἐδεῖτο ὅσα αὐτὸς ἔλαϐε, ταῦτα ἐᾶσαι αὐτὸν εἰσκομίσαντα δοῦναι τῷ πάππῳ. Τὸν δὲ θεῖον εἰπεῖν φασιν· « Ἀλλ’ ἢν αἴσθηται ὅτι ἐδίωκες, οὐ σοὶ μόνον λοιδορήσεται, ἀλλὰ καὶ ἐμοί, ὅτι σε εἴων. » « Καὶ ἢν βούληται, φάναι αὐτόν, μαστιγωσάτω, ἐπειδάν γε ἐγὼ δῶ αὐτῷ. Καὶ σύγε, εἰ βούλει, ἔφη, ὦ θεῖε, τιμωρησάμενος ὅ τι βούλει τοῦτο ὅμως χάρισαί μοι. » Καὶ ὁ Κυαξάρης μέντοι τελευτῶν εἶπε· « Ποίει ὅπως βούλει· σὺ γὰρ νῦν γε ἡμῶν ἔοικας βασιλεὺς εἶναι. » 

Xénophon,
Cyropédie (I, 4, 7-10)

Corrigé proposé par le jury

Aussi Cyrus interrogeait-il sa suite avec enthousiasme, pour savoir quelles étaient les espèces d’animaux dont il ne fallait pas s’approcher et lesquelles il ne fallait pas avoir peur de poursuivre. Ils lui disaient que des ours avaient déjà tué bien des gens qui s’en étaient approchés, de même que des sangliers, des lions et des léopards, mais que cerfs et chevreuils, mouflons et onagres ne présentaient aucun danger. Ils ajoutaient également qu’il fallait prendre garde aux difficultés du terrain tout autant qu’aux animaux, car bien des gens étaient déjà tombés dans un précipice avec leurs chevaux. Et Cyrus apprenait tout cela avec enthousiasme ; mais lorsqu’il vit un cerf débucher, il oublia tout ce qu’il avait entendu et se mit à sa poursuite sans rien voir d’autre que l’endroit par où il fuyait. Et voilà que son cheval, en tentant de franchir un obstacle, tombe à genoux, manquant presque de le précipiter lui aussi par-dessus tête. Malgré tout, Cyrus réussit tant bien que mal à se maintenir en selle, et son cheval finit par se relever. Lorsqu’il fut arrivé dans la plaine, il lança son javelot et abattit le cerf, une belle et grande prise. Et il en fut tout content ; mais ses gardes, qui étaient accourus, le réprimandèrent en lui disant quel danger il avait couru, et ils finirent par déclarer qu’ils allaient le dénoncer. Aussi Cyrus, qui avait mis pied à terre, restait-il là, tout triste de ce qu’il entendait. Mais quand il perçut un cri, il remonta d’un bond sur son cheval, comme un possédé, et, voyant face à lui un sanglier qui chargeait, il s’élança droit dessus et, de toutes ses forces, frappa en plein front le sanglier et l’abattit. Cette-fois ci, c’est son oncle qui se mit à le réprimander à son tour, en voyant sa hardiesse. Mais lui, malgré ses réprimandes, il lui demanda de le laisser apporter en cadeau à son grand-père tout ce qu’il avait pris lui-même. On dit que son oncle répondit : « Mais s’il apprend que tu étais à sa poursuite, ce n’est pas qu’à toi qu’il fera des réprimandes, mais aussi à moi, pour t’avoir laissé faire. » « S’il le désire, aurait-il répondu, il peut bien me faire fouetter, du moment que moi je lui en fais cadeau. De ton côté, si tu veux, dit-il, mon oncle, punis-moi comme tu veux, mais accorde-moi cette faveur. » Cyaxarès alors finit par dire : « Fais comme tu veux : car désormais on voit bien que c’est toi qui es notre roi ».

Session 2024

Ulysse cherche à convaincre Agamemnon qu’Ajax est digne d’être enterré avec les honneurs.

ΟΔΥΣΣΕΥΣ 
Ἄκουέ νυν. Τὸν ἄνδρα τόνδε πρὸς θεῶν
μὴ τλῇς ἄθαπτον ὧδ’ ἀναλγήτως βαλεῖν·
μηδ’ ἡ βία σε μηδαμῶς νικησάτω
τοσόνδε μισεῖν ὥστε τὴν δίκην πατεῖν.
Κἀμοὶ γὰρ ἦν ποθ’ οὗτος ἔχθιστος στρατοῦ,
ἐξ οὗ ’κράτησα τῶν Ἀχιλλείων ὅπλων·
ἀλλ’ αὐτὸν ἔμπας ὄντ’ ἐγὼ τοιόνδ’ ἐμοὶ
οὐκ ἀντατιμάσαιμ’ ἄν, ὥστε μὴ λέγειν
ἕν’ ἄνδρ’ ἰδεῖν ἄριστον Ἀργείων, ὅσοι
Τροίαν ἀφικόμεσθα, πλὴν Ἀχιλλέως.
Ὥστ’ οὐκ ἂν ἐνδίκως γ’ ἀτιμάζοιτό σοι·
οὐ γάρ τι τοῦτον, ἀλλὰ τοὺς θεῶν νόμους
φθείροις ἄν. Ἄνδρα δ’ οὐ δίκαιον, εἰ θάνοι,
βλάπτειν τὸν ἐσθλόν, οὐδ’ ἐὰν μισῶν κυρῇς. 

ΑΓΑΜΕΜΝΩΝ
Σὺ ταῦτ’, Ὀδυσσεῦ, τοῦδ’ ὑπερμαχεῖς ἐμοί ; 

ΟΔ. Ἔγωγ’· ἐμίσουν δ’, ἡνίκ’ ἦν μισεῖν καλόν.
ΑΓ. Οὐ γὰρ θανόντι καὶ προσεμϐῆναί σε χρή ;
ΟΔ. Μὴ χαῖρ’, Ἀτρείδη, κέρδεσιν τοῖς μὴ καλοῖς.
ΑΓ. Τόν τοι τύραννον εὐσεϐεῖν οὐ ῥᾴδιον.
ΟΔ. Ἀλλ’ εὖ λέγουσι τοῖς φίλοις τιμὰς νέμειν.
ΑΓ. Κλύειν τὸν ἐσθλὸν ἄνδρα χρὴ τῶν ἐν τέλει.
ΟΔ. Παῦσαι· κρατεῖς τοι τῶν φίλων νικώμενος.
ΑΓ. Μέμνησ’ ὁποίῳ φωτὶ τὴν χάριν δίδως.
ΟΔ. Ὅδ’ ἐχθρὸς ἁνήρ, ἀλλὰ γενναῖός ποτ’ ἦν.
ΑΓ. Τί ποτε ποήσεις ; ἐχθρὸν ὧδ’ αἰδῇ νέκυν ;
ΟΔ. Νικᾷ γὰρ ἁρετή με τῆς ἔχθρας πολύ.
ΑΓ. Τοιοίδε μέντοι φῶτες ἔμπληκτοι βροτῶν.
ΟΔ. Ἦ κάρτα πολλοὶ νῦν φίλοι καὖθις πικροί.
ΑΓ. Τοιούσδ’ ἐπαινεῖς δῆτα σὺ κτᾶσθαι φίλους ;
ΟΔ. Σκληρὰν ἐπαινεῖν οὐ φιλῶ ψυχὴν ἐγώ.
ΑΓ. Ἡμᾶς σὺ δειλοὺς τῇδε θἠμέρᾳ φανεῖς ;
ΟΔ. Ἄνδρας μὲν οὖν Ἕλλησι πᾶσιν ἐνδίκους.
ΑΓ. Ἄνωγας οὖν με τὸν νεκρὸν θάπτειν ἐᾶν ;
ΟΔ. Ἔγωγε· καὶ γὰρ αὐτὸς ἐνθάδ’ ἵξομαι.
ΑΓ. Ἦ πάνθ’ ὅμοια· πᾶς ἀνὴρ αὑτῷ πονεῖ.
ΟΔ. Τῷ γάρ με μᾶλλον εἰκὸς ἢ ’μαυτῷ πονεῖν ;
ΑΓ. Σὸν ἆρα τοὔργον, οὐκ ἐμὸν κεκλήσεται. 

Sophocle,
Ajax, v. 1332-1368

Corrigé proposé par le jury

ULYSSE
Écoute donc. Cet homme-là, je t’en prie au nom des dieux, n’aie pas la cruauté de le jeter sans sépulture, ainsi, sans humanité ! Ne laisse en aucun cas la violence triompher de toi en t’amenant à un tel degré de haine que tu en viennes à fouler la justice au pied. Oui, moi aussi je voyais jadis en ce misérable mon pire ennemi au sein de notre armée, depuis que je m’étais rendu maître des armes d’Achille. Pour autant, malgré ce comportement à mon égard, je ne saurais, quant à moi, lui rendre mépris pour mépris au point de refuser de dire que j’ai vu en lui le plus brave des Argiens, de nous tous qui sommes venus à Troie, Achille excepté. Aussi ne serait-il vraiment pas juste qu’il soit privé par toi des honneurs funèbres : ce ne serait pas cet homme-là, mais les lois des dieux, en quelque sorte, que tu ruinerais. Oui, il n’est pas juste de faire du tort à un homme qui est brave s’il est mort, même si tu nourris pour lui de la haine.
AGAMEMNON
Toi, Ulysse, c’est pour cet homme-là que tu combats ainsi contre moi ?
UL. Oui : je le haïssais, quand il était bon de le haïr.
AG. Ne faudrait-il pas donc, maintenant qu’il est mort, l’écraser plus encore ?
UL. Cesse de prendre plaisir, fils d’Atrée, à des avantages indignes.
AG. Pour un tyran, vraiment, ce n’est pas facile d’honorer la piété…
UL. … mais facile de faire honneur à ses amis, quand ils parlent comme il faut.
AG. L’obéissance : voilà ce que le brave doit à ceux qui sont haut placés !
UL. Un instant ! En te laissant vaincre, tu es pour sûr au-dessus de tes amis !
AG. Garde en mémoire à quel genre d’homme tu rends hommage !
UL. Cet homme était mon ennemi, mais c’était une âme noble jadis.
AG. Que vas-tu donc faire ? As-tu tant de respect pour le cadavre d’un ennemi ?
UL. C’est que la bravoure l’emporte pour moi de beaucoup sur l’hostilité.
AG. Mais dans le monde des mortels, des êtres comme cela sont instables !
UL. C’est bien vrai : beaucoup qui sont pour l’heure des amis sont ensuite odieux.
AG. Comment ? Ce sont de tels amis que toi tu me recommandes d’avoir ?
UL. En ce qui me concerne, je n’aime pas recommander une âme inflexible.
AG. Tu vas nous faire passer aujourd’hui pour des lâches ?
UL. Non, pas du tout ! Pour des justes, devant l’ensemble des Grecs !
AG. Donc, tu m’engages à permettre d’enterrer le cadavre ?
UL. Oui, tout à fait ! Car moi aussi, j’en arriverai au même point.
AG. En vérité c’est toujours pareil : tout homme ne se démène que pour soi.
UL. Et pour qui convient-il donc que je me démène plutôt que pour moi ?
AG. Eh bien cette oeuvre, on dira donc que c’est la tienne, pas la mienne !

Session 2023

Démosthène s’alarme des progrès dans l’art militaire survenus depuis le Ve siècle.

Ἔστι τοίνυν τις εὐήθης λόγος παρὰ τῶν παραμυθεῖσθαι βουλομένων τὴν πόλιν, ὡς ἄρ’ οὔπω Φίλιππός ἐστιν οἷοί ποτ’ ἦσαν Λακεδαιμόνιοι, οἳ θαλάττης μὲν ἦρχον καὶ γῆς ἁπάσης, βασιλέα δὲ σύμμαχον εἶχον, ὑφίστατο δ’ οὐδὲν αὐτούς· ἀλλ’ ὅμως ἠμύνατο κἀκείνους ἡ πόλις καὶ οὐκ ἀνηρπάσθη. Ἐγὼ δ’ ἁπάντων, ὡς ἔπος εἰπεῖν, πολλὴν εἰληφότων ἐπίδοσιν καὶ οὐδὲν ὁμοίων ὄντων τῶν νῦν τοῖς πρότερον, οὐδὲν ἡγοῦμαι πλέον ἢ τὰ τοῦ πολέμου κεκινῆσθαι καὶ ἐπιδεδωκέναι. Πρῶτον μὲν γὰρ ἀκούω Λακεδαιμονίους τότε καὶ πάντας τοὺς ἄλλους τέτταρας μῆνας ἢ πέντε, τὴν ὡραίαν αὐτήν, ἐμβαλόντας ἂν καὶ κακώσαντας τὴν χώραν ὁπλίταις καὶ πολιτικοῖς στρατεύμασιν, ἀναχωρεῖν ἐπ’ οἴκου πάλιν· οὕτω δ’ ἀρχαίως εἶχον, μᾶλλον δὲ πολιτικῶς, ὥστε οὐδὲ χρημάτων ὠνεῖσθαι παρ’ οὐδενὸς οὐδέν, ἀλλ’ εἶναι νόμιμόν τινα καὶ προφανῆ τὸν πόλεμον. Νυνὶ δ’ ὁρᾶτε μὲν δήπου τὰ πλεῖστα τοὺς προδότας ἀπολελωκότας, οὐδὲν ἐκ παρατάξεως οὐδὲ μάχης γιγνόμενον· ἀκούετε δὲ Φίλιππον οὐχὶ τῷ φάλαγγ’ ὁπλιτῶν ἄγειν βαδίζονθ’ ὅποι βούλεται, ἀλλὰ τῷ ψιλούς, ἱππέας, τοξότας, ξένους, τοιοῦτον ἐξηρτῆσθαι στρατόπεδον. Ἐπειδὰν δ’ ἐπὶ τούτοις πρὸς νοσοῦντας ἐν αὑτοῖς προσπέσῃ καὶ μηδεὶς ὑπὲρ τῆς χώρας δι’ ἀπιστίαν ἐξίῃ, μηχανήματ’ ἐπιστήσας πολιορκεῖ. Καὶ σιωπῶ θέρος καὶ χειμῶνα ὡς οὐδὲν διαφέρει, οὐδ’ ἔστ’ ἐξαίρετος ὥρα τις ἣν διαλείπει.

Ταῦτα μέντοι πάντας εἰδότας καὶ λογιζομένους οὐ δεῖ προσέσθαι τὸν 20 πόλεμον εἰς τὴν χώραν, οὐδ’ εἰς τὴν εὐήθειαν τὴν τοῦ τότε πρὸς Λακεδαιμονίους πολέμου βλέποντας ἐκτραχηλισθῆναι, ἀλλ’ ὡς ἐκ πλείστου φυλάττεσθαι τοῖς πράγμασι καὶ ταῖς παρασκευαῖς, ὅπως οἴκοθεν μὴ κινήσεται σκοποῦντας, οὐχὶ συμπλακέντας διαγωνίζεσθαι. Πρὸς μὲν γὰρ πόλεμον πολλὰ φύσει πλεονεκτήμαθ’ ἡμῖν ὑπάρχει, ἄνπερ, ὦ ἄνδρες 25 Ἀθηναῖοι, ποιεῖν ἐθέλωμεν ἃ δεῖ, ἡ φύσις τῆς ἐκείνου χώρας, ἧς ἄγειν καὶ φέρειν ἔστι πολλὴν καὶ κακῶς ποιεῖν, ἄλλα μυρία· εἰς δ’ ἀγῶνα ἄμεινον ἡμῶν ἐκεῖνος ἤσκηται.  

Démosthène,
Troisième Philippique, 47-52

Corrigé proposé par le jury

Or, il y a un argument naïf qu’avancent ceux qui veulent rassurer la cité : après tout, disent-ils, Philippe n’est pas encore aussi puissant que les Lacédémoniens autrefois, qui avaient un pouvoir total sur mer et sur terre, qui étaient alliés avec le Grand Roi, et auxquels rien ne résistait ; et pourtant, notre cité les a repoussés quand même et n’a pas été détruite. À mon avis, cependant, si tous les domaines, pour ainsi dire, ont connu d’énormes progrès et que le monde d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’autrefois, il n’est rien qui ait plus évolué et progressé que l’art militaire. D’abord, en effet, j’entends dire que les Lacédémoniens, à l’époque, comme tous les autres peuples, passaient chaque fois trois ou quatre mois, seulement la belle saison, à envahir et ravager notre territoire avec des hoplites et des troupes de citoyens, avant de s’en retourner chez eux par le même chemin ; ils avaient des manières tellement à l’ancienne, ou plutôt civilisées, qu’ils ne dépensaient même pas d’argent pour soudoyer quiconque, et que la guerre qu’ils menaient était une entreprise loyale et franche. Mais de nos jours, vous voyez bien, j’imagine, que ce sont les traitres qui causent la plupart des dommages, que rien n’est dû au combat en bataille rangée ; vous entendez dire, par ailleurs, que si Philippe fait route où il veut, ce n’est pas qu’il mène une phalange d’hoplites, mais qu’il est équipé de fantassins légers, cavaliers, archers, mercenaires et autres troupes de ce genre. Et quand, par-dessus le marché, il s’attaque à des peuples en proie à des troubles internes et que l’incrédulité fait que personne ne sort défendre son pays, il installe ses machines de guerre et commence le siège. Et je ne parle pas du fait qu’il n’a cure de l’hiver ou de l’été et qu’il n’y a pas de saison particulière qu’il laisse passer sans rien faire. 

Donc, si nous sommes tous conscients de cela et que nous en tenons compte, il ne faut pas laisser venir la guerre dans notre pays, ni nous laisser désarçonner parce que nous avons sous les yeux la naïveté avec laquelle nous menions autrefois la guerre contre Lacédémoniens : il faut nous défendre du plus loin possible par nos actes et nos préparatifs, en veillant à ce qu’il ne sorte pas de chez lui, et surtout pas nous battre au corps à corps. C’est que, pour une campagne militaire, nous avons beaucoup d’avantages naturels, à condition, Athéniens, que nous consentions à faire ce qu’il faut : la nature de son territoire à lui, dont on peut piller et dévaster une grande partie, et mille autres choses ; mais pour ce qui est du combat, c’est lui qui est mieux entraîné que nous. 

Session 2022

Dépouillé de sa place dans certains mots, le sigma intente une action contre le tau devant un jury de voyelles.

Μέχρι μέν, ὦ Φωνήεντα δικασταί, ὀλίγα ἠδικούμην ὑπὸ τουτουὶ τοῦ Ταῦ καταχρωμένου τοῖς ἐμοῖς καὶ καταίροντος ἔνθα μὴ δεῖ, οὐ βαρέως ἔφερον τὴν βλάβην καὶ παρήκουον ἔνια τῶν λεγομένων ὑπὸ τῆς μετριότητος, ἣν ἴστε με φυλάσσοντα πρός τε ὑμᾶς καὶ τὰς ἄλλας συλλαβάς· ἐπεὶ δὲ ἐς τοσοῦτον ἥκει πλεονεξίας τε καὶ ἀνοίας, ὥστε ἐφ’ οἷς ἡσύχασα πολλάκις οὐκ ἀγαπῶν, ἤδη καὶ πλείω προσβιάζεται, ἀναγκαίως αὐτὸ εὐθύνω νῦν παρὰ τοῖς ἀμφότερα εἰδόσιν ὑμῖν. Δέος δὲ οὐ μικρόν μοι ἐπὶ τῆς ἀποθλίψεως ἐπέρχεται τῆς ἐμαυτοῦ· τοῖς γὰρ προπεπραγμένοις ἀεί τι μεῖζον προστιθὲν ἄρδην με τῆς οἰκείας ἀποθλίψει χώρας, ὡς ὀλίγου δεῖν ἡσυχίαν ἀγαγόντα μηδὲ ἐν γράμμασιν ἀριθμεῖσθαι, ἐν ἴσῳ δὲ κεῖσθαι τῳ ψόφῳ.

Δίκαιον οὖν οὐχ ὑμᾶς, οἳ δικάζετε νῦν, ἀλλὰ καὶ τὰ λοιπὰ γράμματα τῆς πείρας ἔχειν τινὰ φυλακήν· εἰ γὰρ ἐξέσται τοῖς βουλομένοις ἀπὸ τῆς καθ’ αὑτὰ τάξεως ἐς ἀλλοτρίαν βιάζεσθαι καὶ τοῦτο ἐπιτρέψετε ὑμεῖς, ὧν χωρὶς οὐδὲν καθόλου τι γράφεται, οὐχ ὁρῶ τίνα τρόπον αἱ συντάξεις τὰ νόμιμα, ἐφ’ οἷς ἐτάχθη τὰ κατ ̓ ἀρχάς, ἕξουσιν. Ἀλλ’ οὔτε ὑμᾶς οἶμαί ποτε ἐς τοσοῦτον ἀμελείας τε καὶ παροράσεως ἥξειν, ὥστε ἐπιτρέψαι τινὰ μὴ δίκαια, οὔτε, εἰ καθυφήσετε τὸν ἀγῶνα ὑμεῖς, ἐμοὶ παραλειπτέον ἐστὶν ἀδικουμένῳ. […]

Τὸ δέ γε Ταῦ τοῦτο, οὐ γὰρ ἔχω χείρονι αὐτὸ ὀνομάσαι ῥήματι ἢ ᾧ καλεῖται (1), ὃ μὰ τοὺς θεούς, εἰ μὴ ἐξ ὑμῶν δύο συνῆλθον ἀγαθοὶ καὶ καθήκοντες ὁραθῆναι, τό τε Ἄλφα καὶ τὸ ῏Υ, οὐκ ἂν ἠκούσθη μόνον, τοῦτο τοίνυν ἐτόλμησεν ἀδικεῖν με πλείω τῶν πώποτε βιασαμένων, ὀνομάτων μὲν καὶ ῥημάτων ἀπελάσαν πατρῴων, ἐκδιῶξαν δὲ ὁμοῦ συνδέσμων ἅμα καὶ προθέσεων, ὡς μηκέτι φέρειν τὴν ἔκτοπον πλεονεξίαν.

Lucien

(1) χείρονι… ῥήματι ἢ ᾧ καλεῖται : le T est connoté négativement car, par son nom comme par sa forme, il évoque la croix des suppliciés (σταυρός).

Corrigé proposé par le jury

Aussi longtemps, juges Voyelles, que je subissais peu de torts de la part de ce misérable tau ici présent, qui abusait de mes emplacements et débarquait là où il ne faut pas, je supportais sans peine le dommage et je faisais semblant de ne pas entendre certains mots, en raison de la tempérance que vous me savez observer envers vous et envers les autres lettres ; mais comme il en est arrivé à un tel degré de convoitise et de déraison que, non content des violences pour lesquelles je me suis maintes fois tenu tranquille, il en commet désormais de plus nombreuses encore, par nécessité je le traduis aujourd’hui en justice devant vous qui nous connaissez tous les deux. Et me vient une grande crainte de mon expulsion ; car à force d’ajouter toujours quelque tort plus grand à ceux commis antérieurement, il m’expulsera complètement de mon propre domaine, si bien qu’il s’en faut de peu, si je reste tranquille, que je ne sois pas même compté au nombre des lettres, mais délaissé à l’égal d’un bruit quelconque. Il est donc juste que non seulement vous qui jugez à présent, mais aussi toutes les autres lettres, vous vous prémunissiez pour ainsi dire contre sa tentative ; en effet, s’il est permis à celles qui le veulent de quitter chacune sa place pour prendre de force celle d’une autre, et si vous tolérez cela, vous sans qui absolument rien ne s’écrit, je ne vois pas de quelle façon leurs agencements maintiendront les lois en vertu desquelles les dispositions d’origine ont été assignées. Mais je ne pense pas que vous en viendrez jamais à un tel point d’incurie et de négligence que vous tolériez que certaines lettres ne soient pas justes, et si vous, vous vous désistez du procès, moi je ne dois pas laisser passer l’injustice que je subis. Et vraiment, ce tau – car je ne peux le nommer d’un mot pire que celui par lequel il est appelé – lui qui, par les dieux, si ne s’étaient pas adjointes deux d’entre vous, bonnes et convenables à regarder, l’alpha et l’upsilon, ne se serait pas fait entendre à lui seul, ce tau, dis-je, a osé me faire subir plus d’injustices que ceux qui m’ont jamais maltraité, en m’évinçant de mes noms et verbes ancestraux et en me chassant tout à la fois de conjonctions aussi bien que de prépositions, au point que je ne puis plus supporter son extraordinaire convoitise.

Session 2021

Aphrodite, évoquant le destin de Tithon, explique à Anchise pourquoi elle ne peut le garder pour époux.

Ὥς δ’ αὖ Τιθωνὸν χρυσόθρονος ἥρπασεν Ἠώς,
ὑμετέρης γενεῆς, ἐπιείκελον ἀθανάτοισι.
Βῆ δ’ ἴμεν αἰτήσουσα κελαινεφέα Κρονίωνα
ἀθάνατόν τ’ εἶναι καὶ ζώειν ἤματα πάντα·
τῇ δὲ Ζεὺς ἐπένευσε καὶ ἐκρήηνεν ἐέλδωρ.
Νηπίη, οὐδ’ ἐνόησε μετὰ φρεσὶ πότνια Ἠὼς
ἥβην αἰτῆσαι, ξῦσαί τ’ ἄπο γῆρας ὀλοιόν.
Τὸν δ’ ἦ τοι εἵως μὲν ἔχεν πολυήρατος ἥβη,
Ἠοῖ τερπόμενος χρυσοθρόνῳ ἠριγενείῃ
ναῖε παρ’ Ὠκεανοῖο ῥοῇς ἐπὶ πείρασι γαίης·
αὐτὰρ ἐπεὶ πρῶται πολιαὶ κατέχυντο ἔθειραι
καλῆς ἐκ κεφαλῆς εὐηγενέος τε γενείου,
τοῦ δ’ ἦ τοι εὐνῆς μὲν ἀπείχετο πότνια Ἠώς,
αὐτὸν δ’ αὖτ’ ἀτίταλλεν ἐνὶ μεγάροισιν ἔχουσα,
σίτῳ τ’ ἀμβροσίῃ τε καὶ εἵματα καλὰ διδοῦσα.
Ἀλλ’ ὅτε δὴ πάμπαν στυγερὸν κατὰ γῆρας ἔπειγεν
οὐδέ τι κινῆσαι μελέων δύνατ’ οὐδ’ ἀναεῖραι,
ἥδε δέ οἱ κατὰ θυμὸν ἀρίστη φαίνετο βουλή·
ἐν θαλάμῳ κατέθηκε, θύρας δ’ ἐπέθηκε φαεινάς.
Τοῦ δ’ ἦ τοι φωνὴ ῥεῖ ἄσπετος, οὐδέ τι κῖκυς
ἔσθ’ οἵη πάρος ἔσκεν ἐνὶ γναμπτοῖσι μέλεσσιν.
Οὐκ ἂν ἐγώ γε σὲ τοῖον ἐν ἀθανάτοισιν ἑλοίμην
ἀθάνατόν τ’ εἶναι καὶ ζώειν ἤματα πάντα.
Ἀλλ’ εἰ μὲν τοιοῦτος ἐὼν εἶδός τε δέμας τε
ζώοις, ἡμέτερός τε πόσις κεκλημένος εἴης,
οὐκ ἂν ἔπειτά μ’ ἄχος πυκινὰς φρένας ἀμφικαλύπτοι·
νῦν δέ σε μὲν τάχα γῆρας ὁμοίιον ἀμφικαλύψει
νηλειές, τό τ’ ἔπειτα παρίσταται ἀνθρώποισιν, 
οὐλόμενον, καματηρόν, ὅ τε στυγέουσι θεοί περ. 
Αὐτὰρ ἐμοὶ μέγ’ ὄνειδος ἐν ἀθανάτοισι θεοῖσιν
ἔσσεται ἤματα πάντα διαμπερὲς εἵνεκα σεῖο,
οἳ πρὶν ἐμοὺς ὀάρους καὶ μήτιας, αἷς ποτε πάντας
ἀθανάτους συνέμιξα καταθνητῇσι γυναιξί, 
τάρβεσκον· πάντας γὰρ ἐμὸν δάμνασκε νόημα.
Νῦν δὲ δὴ οὐκέτι μοι στόμα χείσεται ἐξονομῆναι
τοῦτο μετ’ ἀθανάτοισιν, ἐπεὶ μάλα πολλὸν ἀάσθην, 
σχέτλιον, οὐκ ὀνομαστόν· ἀπεπλάγχθην δὲ νόοιο, 
παῖδα δ’ ὑπὸ ζώνῃ ἐθέμην βροτῷ εὐνηθεῖσα.

Hymnes homériques,
V, « À Aphrodite », v. 218-255
(38 vers – 268 mots)

Corrigé proposé par le jury
ATTENTION : le jury a proposé une traduction en stiques pour une meilleure compréhension du corrigé vers à vers, mais, le jour du concours, il est infiniment préférable de traduire les textes poétiques latins ou grecs en prose française et non en vers ou en stiques.

C’est de la même manière qu’à son tour Aurore au trône d’or enleva Tithon,
Homme de votre race, en tout point semblable aux immortels.
Elle s’en alla prier le Cronide aux sombres nuées
Qu’il devienne immortel et vive pour toujours.
Zeus alors y consentit et exauça son vœu.
La naïve ! Elle n’a pas même songé, dans son esprit, l’Auguste Aurore,
À demander la jeunesse et à repousser la pernicieuse vieillesse.
Et, vois-tu, tant que la jeunesse mille fois désirable le garda,
Jouissant de l’amour d’Aurore au trône d’or, fille du matin,
Il habitait du côté des flots d’Océan, vers les confins de la terre.
Mais quand les premiers poils gris recouvrirent
Sa belle tête et son noble menton
Alors, vois-tu, elle se tenait éloignée de sa couche, l’Auguste Aurore,
Et le choyait, le gardant dans sa demeure,
Avec de la nourriture et de l’ambroisie, et lui donnant de beaux vêtements.
Mais voilà, quand la vieillesse haïssable l’accablait tout-à-fait,
Qu’il ne pouvait même plus mouvoir ni soulever aucun membre,
Voici quelle décision lui parut, en son cœur, la meilleure :
Dans une chambre, elle le déposa, et poussa les portes éclatantes.
Et, vois-tu, sa voix s’écoule, sans fin, tandis que sa force n’est plus
Comme naguère dans ses membres flexibles.
Moi, je ne voudrais pas, en vérité, que, pareil à lui, parmi les immortels,
Tu deviennes immortel et vive éternellement.
Mais si, restant tel que tu l’es dans ton apparence et dans ta sature
Tu pouvais vivre, et être appelé mon époux,
Alors le chagrin n’envelopperait pas mon esprit avisé.
Mais toi, en vérité, elle va vite t’envelopper, la vieillesse commune à tous,
Impitoyable, qui bientôt assiège les hommes,
Pernicieuse et pénible, que les dieux mêmes ont en horreur.
Mais moi, c’est une honte immense que, parmi les immortels,
J’éprouverai chaque jour, continûment, à cause de toi :
Jusqu’à présent, leurs liaisons intimes, fruits des intrigues par lesquelles
J’ai alors uni tous les immortels à des femmes mortelles,
Ils s’en effrayaient. Car je les tenais sous le joug de mon génie.
Mais maintenant, ma bouche ne pourra plus évoquer
Cela, parmi les immortels, puisque je me suis complètement égarée,
Écart funeste, innommable. J’ai perdu l’esprit,
Et mis un enfant sous ma ceinture après m’être couchée auprès d’un mortel.

Session 2020

HOMMAGE FUNÉRAIRE EN L’HONNEUR DES MORTS DE LA GUERRE

Ἐν δὲ τῷ αὐτῷ χειμῶνι Ἀθηναῖοι τῷ πατρίῳ νόμῳ χρώμενοι δημοσίᾳ ταφὰς ἐποιήσαντο τῶν ἐν τῷδε τῷ πολέμῳ πρώτον ἀποθανόντων τρόπῳ τοιῷδε. Tὰ μὲν ὀστᾶ προτίθενται τῶν ἀπογενομένων πρότριτα σκηνὴν ποιήσαντες, καὶ ἐπιφέρει τῷ αὑτοῦ ἕκαστος ἤν τι βούληται· ἐπειδὰν δὲ ἡ ἐκφορὰ ᾖ, λάρνακας κυπαρισσίνας ἄγουσιν ἅμαξαι, φυλῆς ἑκάστης μίαν· ἔνεστι δὲ τὰ ὀστᾶ ἧς ἕκαστος ἦν φυλῆς. Μία δὲ κλίνη κενὴ φέρεται ἐστρωμένη τῶν ἀφανῶν, οἳ ἂν μὴ εὑρεθῶσιν ἐς ἀναίρεσιν. Ξυνεκφέρει δὲ ὁ βουλόμενος καὶ ἀστῶν καὶ ξένων, καὶ γυναῖκες πάρεισιν αἱ προσήκουσαι ἐπὶ τὸν τάφον ὀλοφυρόμεναι. Τιθέασιν οὖν ἐς τὸ δημόσιον σῆμα, ὅ ἐστιν ἐπὶ τοῦ καλλίστου προαστείου τῆς πόλεως, καὶ αἰεὶ ἐν αὐτῷ θάπτουσι τοὺς ἐκ τῶν πολέμων πλήν γε τοὺς ἐν Μαραθῶνι· ἐκείνων δὲ διαπρεπῆ τὴν ἀρετὴν κρίναντες αὐτοῦ καὶ τὸν τάφον ἐποίησαν. Ἐπειδὰν δὲ κρύψωσι γῇ, ἀνὴρ ᾑρημένος ὑπὸ τῆς πόλεως ὃς ἂν γνώμῃ τε δοκῇ μὴ ἀξύνετος εἶναι καὶ ἀξιώσει προήκῃ λέγει ἐπ’ αὐτοῖς ἔπαινον τὸν πρέποντα· μετὰ δὲ τοῦτο ἀπέρχονται. Ὧδε μὲν θάπτουσιν· καὶ διὰ παντὸς τοῦ πολέμου, ὁπότε ξυμβαίη αὐτοῖς, ἐχρῶντο τῷ νόμῳ. Ἐπὶ δ’ οὖν τοῖς πρώτοις τοῖσδε Περικλῆς ὁ Ξανθίππου ᾑρέθη λέγειν. Καὶ ἐπειδὴ καιρὸς ἐλάμϐανε, προελθὼν ἀπὸ τοῦ σήματος ἐπὶ βῆμα ὑψηλὸν πεποιημένον, ὅπως ἀκούοιτο ὡς ἐπὶ πλεῖστον τοῦ ὁμίλου, ἔλεγε τοιάδε·

« Οἱ μὲν πολλοὶ τῶν ἐνθάδε ἤδη εἰρηκότων ἐπαινοῦσι τὸν προσθέντα τῷ νόμῳ τὸν λόγον τόνδε, ὡς καλὸν ἐπὶ τοῖς ἐκ τῶν πολέμων θαπτομένοις ἀγορεύεσθαι αὐτόν. ᾿Εμοὶ δ’ ἀρκοῦν ἂν ἐδόκει εἶναι ἀνδρῶν ἀγαθῶν ἔργῳ γενομένων ἔργῳ καὶ δηλοῦσθαι τὰς τιμάς, οἷα καὶ νῦν περὶ τὸν τάφον τόνδε δημοσίᾳ παρασκευασθέντα ὁρᾶτε καὶ μὴ ἐν ἑνὶ ἀνδρὶ πολλῶν ἀρετὰς κινδυνεύεσθαι, εὖ τε καὶ χεῖρον εἰ πόντι πιστευθῆναι […]. »

Thucydide,
La Guerre du Péloponnèse, II, 34-35
(270 mots)

Corrigé proposé par le jury

Durant le même hiver, les Athéniens, suivant la tradition, organisèrent des funérailles publiques pour ceux qui étaient morts les premiers au cours de cette guerre. Cela se déroule cette façon : ils exposent les os des défunts deux jours auparavant sous une tente dressée pour l’occasion, et chacun, s’il le souhaite, apporter une offrande à celui qui est proche. Puis lorsque vient le moment du transfert, des chars transportent des cercueils de cyprès, un seul par tribu ; car à l’intérieur se trouvent les os selon la tribu à laquelle chaque mort appartenait. Et un lit vide est installé et transporté, le lit des disparus, ceux que l’on n’a pas retrouvés pour les emporter. Accompagne alors le convoi qui veut parmi les citoyens comme les étrangers ; et les femmes de la famille participent également, pleurant jusqu’au tombeau. On place donc les restes dans le monument public, qui est situé dans le plus beau faubourg de la cité, et où l’on ensevelit toujours les morts de la guerre – à l’exception de ceux de Marathon : pour ceux-là, jugeant leur mérite exceptionnel, on fit aussi leur tombeau à cet endroit même. Et une fois qu’on les a recouverts de terre, un homme choisi par la cité, reconnu pour ne pas être sot dans son jugement et particulièrement estimé, fait en leur honneur l’éloge qui convient ; enfin, après cet hommage les gens s’en vont. Voilà comment les Athéniens rendent les honneurs funèbres. Et pendant toute la guerre, chaque fois que les circonstances le leur demandaient, ils suivaient cet usage. En l’honneur donc de ces premiers morts, Périclès, le fils de Xanthippe, fut choisi pour prononcer l’oraison. Et lorsque le moment se présenta, s’avançant du tombeau jusqu’à une estrade élevée faite pour l’occasion, de façon à être entendu le plus loin possible par la foule, il prononça ce discours : « La plupart des hommes qui ont déjà parlé en de telles circonstances louent celui qui a introduit ce discours dans l’usage au motif qu’il était beau de rendre hommage ainsi en public à ceux qui sont morts au combat et ensevelis. Pour moi, j’estimerais suffisant qu’à des hommes dont la valeur s’est traduite en actes on rendît également hommage par des actes, comme vous voyez qu’on le fait aujourd’hui dans les mesures officielles proses ici pour leur sépulture, et il me semblerait bon que la confiance que l’on accorde aux vertus d’une multitude ne coure pas le risque de dépendre d’un seul homme, selon qu’il parle plus ou moins bien. »

Session 2019

PHÈDRE S’ADRESSE AU CHOEUR DES TRÉZÉNIENNES

Λέξω δὲ καὶ σοὶ τῆς ἐμῆς γνώμης ὁδόν·
ἐπεί μ’ ἔρως ἔτρωσεν, ἐσκόπουν ὅπως
κάλλιστ’ ἐνέγκαιμ’ αὐτόν. Ἠρξάμην μὲν οὖν
ἐκ τοῦδε, σιγᾶν τήνδε καὶ κρύπτειν νόσον.
Γλώσσῃ γὰρ οὐδὲν πιστόν, ἣ θυραῖα μὲν
φρονήματ’ ἀνδρῶν νουθετεῖν ἐπίσταται,
αὐτὴ δ’ ὑφ’ αὑτῆς πλεῖστα κέκτηται κακά.
Τὸ δεύτερον δὲ τὴν ἄνοιαν εὖ φέρειν
τῷ σωφρονεῖν νικῶσα προυνοησάμην.
Τρίτον δ’, ἐπειδὴ τοισίδ’ οὐκ ἐξήνυτον
Κύπριν κρατῆσαι, κατθανεῖν ἔδοξέ μοι,
κράτιστον – οὐδεὶς ἀντερεῖ – βουλευμάτων.
Ἐμοὶ γὰρ εἴη μήτε λανθάνειν καλά
μήτ’ αἰσχρὰ δρώσῃ μάρτυρας πολλοὺς ἔχειν.
Τὸ δ’ ἔργον ᾔδη τὴν νόσον τε δυσκλεᾶ,
γυνή τε πρὸς τοῖσδ’ οὖσ’ ἐγίγνωσκον καλῶς,
μίσημα πᾶσιν. Ὡς ὄλοιτο παγκάκως
ἥτις πρὸς ἄνδρας ἤρξατ’ αἰσχύνειν λέχη
πρώτη θυραίους. Ἐκ δὲ γενναίων δόμων
τόδ’ ἦρξε θηλείαισι γίγνεσθαι κακόν·
Ὅταν γὰρ αἰσχρὰ τοῖσιν ἐσθλοῖσιν δοκῇ,
ἦ κάρτα δόξει τοῖς κακοῖς γ’ εἶναι καλά.
Μισῶ δὲ καὶ τὰς σώφρονας μὲν ἐν λόγοις,
λάθρᾳ δὲ τόλμας οὐ καλὰς κεκτημένας·
αἳ πῶς ποτ’, ὦ δέσποινα ποντία Κύπρι,
βλέπουσιν ἐς πρόσωπα τῶν ξυνευνετῶν
οὐδὲ σκότον φρίσσουσι τὸν ξυνεργάτην
τέραμνά τ’ οἴκων μή ποτε φθογγὴν ἀφῇ ;
Ἡμᾶς γὰρ αὐτὸ τοῦτ’ ἀποκτείνει, φίλαι,
ὡς μήποτ’ ἄνδρα τὸν ἐμὸν αἰσχύνασ’ ἁλῶ,
μὴ παῖδας οὓς ἔτικτον· ἀλλ’ ἐλεύθεροι
παρρησίᾳ θάλλοντες οἰκοῖεν πόλιν
κλεινῶν Ἀθηνῶν, μητρὸς οὕνεκ’ εὐκλεεῖς.
Δουλοῖ γὰρ ἄνδρα, κἂν θρασύσπλαγχνός τις ᾖ,
ὅταν ξυνειδῇ μητρὸς ἢ πατρὸς κακά.

Euripide,
Hippolyte, v. 391-425
(35 vers – 216 mots)

Corrigé proposé par le jury

Je vais te dire aussi le chemin qu’a suivi ma pensée : lorsque l’amour m’eut blessée, j’examinai comment le supporter le mieux. Je commençai donc par taire mon mal et par le cacher. En effet, la langue n’a rien de fiable / on ne peut nullement se fier à la langue, qui sait donner de bons conseils à autrui [ou : « au-dehors »], mais qui s’attire à elle-même de très nombreux maux. Je résolus en second lieu de (sup)porter dignement ma folie, et de la vaincre par ma vertu. En troisième lieu, comme je ne parvenais pas, de la sorte, à l’emporter sur Cypris, je pris le parti de mourir – la meilleure des décisions, sans conteste. En effet, puisse-t-il m’être donné de ne pas rester ignorée de tous lorsque j’agis honorablement, et, lorsque j’agis mal, de ne pas avoir de nombreux témoins ! Or, cette conduite et ce mal, j’en connaissais l’infamie, et en outre je savais bien que j’étais femme, objet de haine pour tous. Puisse-t-elle périr ignominieusement, celle qui, la première, se prit à déshonorer sa couche avec d’autres hommes ! Et c’est dans les maisons nobles que ce mal a commencé parmi les femmes : lorsque le déshonneur est approuvé des grands, assurément il sera tenu pour honorable par les vilains. Or, je hais aussi les femmes vertueuses en paroles, mais qui, en cachette, ont d’ignobles audaces : comment donc se peut-il, souveraine Cypris, déesse de la mer, qu’elles regardent leur compagnon de lit en face et ne frissonnent / tremblent pas [ou, mieux : « sans frissonner / trembler »] à l’idée que l’obscurité, leur complice, et le toit de leur demeure ne prennent voix un jour ? Car nous, amies, c’est là précisément ce qui nous tue : (la crainte) que l’on ne me prenne un jour à déshonorer mon mari, et les enfants que j’ai mis au monde. Non, puissent-ils, libres, la parole franche, florissants, habiter la cité de la glorieuse Athènes [ou plutôt, moins littéralement : « la glorieuse cité d’Athènes »] et se glorifier de leur mère ! Car même si l’on est de coeur intrépide, cela rend un homme esclave, lorsqu’il a conscience des fautes d’une mère ou d’un père.

Session 2018

LE PHILOSOPHE ARISTOTE SE PROPOSE ICI D’EXPLORER
LA QUESTION SUIVANTE : FAUT-IL CHANGER LES LOIS ?

Ἔχει γάρ, ὥσπερ εἴπομεν, ἀπορίαν, καὶ δόξειεν ἂν βέλτιον εἶναι τὸ κινεῖν. Ἐπὶ γοῦν τῶν ἄλλων ἐπιστημῶν τοῦτο συνενήνοχεν, οἷον ἰατρικὴ κινηθεῖσα παρὰ τὰ πάτρια καὶ γυμναστικὴ καὶ ὅλως αἱ τέχναι πᾶσαι καὶ αἱ δυνάμεις, ὥστ’ ἐπεὶ μίαν τούτων θετέον καὶ τὴν πολιτικήν, δῆλον ὅτι καὶ περὶ ταύτην ἀναγκαῖον ὁμοίως ἔχειν. Σημεῖον δ’ ἂν γεγονέναι φαίη τις ἐπ’ αὐτῶν τῶν ἔργων· τοὺς γὰρ ἀρχαίους νόμους λίαν ἁπλοῦς εἶναι καὶ βαρβαρικούς. Ἐσιδηροφοροῦντό τε γὰρ οἱ Ἕλληνες, καὶ τὰς γυναῖκας ἐωνοῦντο παρ’ ἀλλήλων, ὅσα τε λοιπὰ τῶν ἀρχαίων ἐστί που νομίμων εὐήθη πάμπαν ἐστίν, οἷον ἐν Κύμῃ περὶ τὰ φονικὰ νόμος ἐστίν, ἂν πλῆθός τι παράσχηται μαρτύρων ὁ διώκων τὸν φόνον τῶν αὑτοῦ συγγενῶν, ἔνοχον εἶναι τῷ φόνῳ τὸν φεύγοντα. Ζητοῦσι δ’ ὅλως οὐ τὸ πάτριον ἀλλὰ τἀγαθὸν πάντες· εἰκός τε τοὺς πρώτους, εἴτε γηγενεῖς ἦσαν εἴτ’ ἐκ φθορᾶς τινος ἐσώθησαν, ὁμοίους εἶναι καὶ τοὺς τυχόντας καὶ τοὺς ἀνοήτους, ὥσπερ καὶ λέγεται κατὰ τῶν γηγενῶν, ὥστε ἄτοπον τὸ μένειν ἐν τοῖς τούτων δόγμασιν. Πρὸς δὲ τούτοις οὐδὲ τοὺς γεγραμμένους ἐᾶν ἀκινήτους βέλτιον. Ὥσπερ γὰρ καὶ περὶ τὰς ἄλλας τέχνας, καὶ τὴν πολιτικὴν τάξιν ἀδύνατον ἀκριϐῶς πάντα γραφῆναι· καθόλου γὰρ ἀναγκαῖον γραφήναι, αἱ δὲ πράξεις περὶ τῶν καθ’ ἕκαστόν εἰσιν. Ἐκ μὲν οὖν τούτων φανερὸν ὅτι κινητέοι καὶ τινὲς καὶ ποτὲ τῶν νόμων εἰσίν. Ἄλλον δὲ τρόπον ἐπισκοποῦσιν εὐλαϐείας ἂν δόξειεν εἶναι πολλῆς. Ὅταν γὰρ ᾖ τὸ μὲν βέλτιον μικρόν, τὸ δ’ ἐθίζειν εὐχερῶς λύειν τοὺς νόμους φαῦλον, φανερὸν ὡς ἐατέον ἐνίας ἁμαρτίας καὶ τῶν νομοθετῶν καὶ τῶν ἀρχόντων· οὐ γὰρ τοσοῦτον ὠφελήσεται κινήσας, ὅσον βλαϐήσεται τοῖς ἄρχουσιν ἀπειθεῖν ἐθισθείς. Ψεῦδος δὲ καὶ τὸ παράδειγμα τὸ περὶ τῶν τεχνῶν· οὐ γὰρ ὅμοιον τὸ κινεῖν τέχνην καὶ νόμον· ὁ γὰρ νόμος ἰσχὺν οὐδεμίαν ἔχει πρὸς τὸ πείθεσθαι παρὰ τὸ ἔθος, τοῦτο δ’ οὐ γίνεται εἰ μὴ διὰ χρόνου πλῆθος, ὥστε τὸ ῥᾳδίως μεταϐάλλειν ἐκ τῶν ὑπαρχόντων νόμων εἰς ἑτέρους νόμους καινοὺς ἀσθενῆ ποιεῖν ἐστι τὴν τοῦ νόμου δύναμιν.

Aristote,
Parties des animaux, 1268b-1269a
(314 mots)

Session 2017

En 362 av. J.-C., alors que le roi spartiate Agésilas a décidé de s’avancer au-devant de l’ennemi thébain à Mantinée, le général thébain Épaminondas décide de marcher sur Sparte.

Ὁρῶν (1) δὲ οὔτε πόλιν αὑτῷ προσχωροῦσαν οὐδεμίαν τόν τε χρόνον προϐαίνοντα, ἐνόμισε πρακτέον τι εἶναι. Εἰ δὲ μή, ἀντὶ τῆς πρόσθεν εὐκλείας πολλὴν ἀδοξίαν προσεδέχετο. Ἐπεὶ οὖν κατεμάνθανε περὶ μὲν τὴν Μαντίνειαν τοὺς ἀντιπάλους πεφυλαγμένους, μεταπεμπομένους δὲ Ἀγησίλαόν τε καὶ πάντας τοὺς Λακεδαιμονίους, καὶ ᾔσθετο ἐξεστρατευμένον τὸν Ἀγησίλαον καὶ ὄντα ἤδη ἐν τῇ Πελλήνῃ (2), δειπνοποιησάμενος καὶ παραγγείλας ἡγεῖτο τῷ στρατεύματι εὐθὺς ἐπὶ Σπάρτην. Καὶ εἰ μὴ Κρὴς θείᾳ τινὶ μοίρᾳ προσελθὼν ἐξήγγειλε τῷ Ἀγησιλάῳ προσιὸν τὸ στράτευμα, ἔλαϐεν ἂν τὴν πόλιν ὥσπερ νεοττιὰν παντάπασιν ἔρημον τῶν ἀμυνομένων. Ἐπεὶ μέντοι προπυθόμενος ταῦτα ὁ Ἀγησίλαος ἔφθη εἰς τὴν πόλιν ἀπελθών, διαταξάμενοι οἱ Σπαρτιᾶται ἐφύλαττον, καὶ μάλα ὀλίγοι ὄντες· οἵ τε γὰρ ἱππεῖς αὐτοῖς πάντες ἐν Ἀρκαδίᾳ ἀπῆσαν καὶ τὸ ξενικὸν καὶ τῶν λόχων δώδεκα ὄντων οἱ τρεῖς. Ἐπεὶ δ’ ἐγένετο Ἐπαμεινώνδας ἐν τῇ πόλει τῶν Σπαρτιατῶν, ὅπου μὲν ἔμελλον ἔν τε ἰσοπέδῳ μαχεῖσθαι καὶ ἀπὸ τῶν οἰκιῶν βληθήσεσθαι, οὐκ εἰσῄει ταύτῃ, οὐδ’ ὅπου γε μηδὲν πλέονες μαχεῖσθαι τῶν ὀλίγων πολλοὶ ὄντες. Ἔνθεν δὲ πλεονεκτεῖν ἂν ἐνόμιζε, τοῦτο λαϐὼν τὸ χωρίον κατέϐαινε εἰς τὴν πόλιν. Τό γε μὴν ἐντεῦθεν γενόμενον ἔξεστι μὲν τὸ θεῖον αἰτιᾶσθαι, ἔξεστι δὲ λέγειν ὡς τοῖς ἀπονενοημένοις οὐδεὶς ἂν ὑποσταίη. Ἐπεὶ γὰρ ἡγεῖτο Ἀρχίδαμος (3) οὐδὲ ἑκατὸν ἔχων ἄνδρας, καὶ διαϐὰς ὅπερ ἐδόκει τι ἔχειν κώλυμα (4) ἐπορεύετο πρὸς ὄρθιον ἐπὶ τοὺς ἀντιπάλους, ἐνταῦθα δὴ οἱ πῦρ πνέοντες, οἱ νενικηκότες τοὺς Λακεδαιμονίους, οἱ τῷ παντὶ πλείους καὶ προσέτι ὑπερδέξια χωρία ἔχοντες, οὐκ ἐδέξαντο τοὺς περὶ τὸν Ἀρχίδαμον, ἀλλ’ ἐγκλίνουσι. Καὶ οἱ μὲν πρῶτοι τῶν Ἐπαμεινώνδα ἀποθνῄσκουσιν· ἐπεὶ μέντοι ἀγαλλόμενοι τῇ νίκῃ ἐδίωξαν οἱ ἔνδοθεν πορρωτέρω τοῦ καιροῦ, οὗτοι αὖ ἀποθνῄσκουσι· περιεγέγραπτο γάρ, ὡς ἔοικεν, ὑπὸ τοῦ θείου μέχρι ὅσου νίκη ἐδέδοτο αὐτοῖς. Καὶ ὁ μὲν δὴ Ἀρχίδαμος τροπαῖόν τε ἵστατο ἔνθα ἐπεκράτησε καὶ τοὺς ἐνταῦθα πεσόντας τῶν πολεμίων ὑποσπόνδους ἀπεδίδου.

Xénophon,
Helléniques, VII, 5, 9-13
(289 mots)

(1) Sous-entendre Épaminondas comme sujet de la proposition.
(2) La ville de Pellène était située en Laconie.
(3) Archidamos, général spartiate.
(4) Κώλυμα : défense, protection.

Corrigé proposé par le jury

Mais voyant qu’aucune cité ne le rejoignait et que le temps passait, il estima qu’il fallait faire quelque chose. Faute de quoi, au lieu de la gloire qu’il s’était acquise auparavant, il devait s’attendre à un grand déshonneur. Quand donc il apprit que les ennemis avaient pris position près de Mantinée et qu’ils y faisaient venir Agésilas ainsi que tous les Lacédémoniens, comprenant qu’Agésilas s’était mis en campagne et se trouvait déjà à Pellène, il dîna, donna ses ordres et fit marcher son armée directement sur Sparte. Et si un Crétois, poussé par une divine providence, n’était pas venu annoncer à Agésilas que l’armée s’avançait, Épaminondas aurait pris la ville comme un nid d’oiseaux absolument sans défense. Or comme Agésilas en avait été informé à temps, il revint à Sparte avant lui et les Spartiates se déployèrent et prirent position malgré leur tout petit nombre. Toute leur cavalerie, en effet, se trouvait en Arcadie, ainsi que leurs mercenaires et trois bataillons sur douze. Or lorsque Épaminondas arriva dans la cité des Spartiates, là où il aurait à combattre de plainpied et à se faire tirer dessus depuis les habitations, il n’y entra pas, pas plus que là où il aurait à combattre, malgré le petit nombre des ennemis, sans l’emporter par le nombre. Mais s’étant emparé de la position d’où il estimait qu’il pouvait l’emporter, il descendit vers Sparte. En tout cas, quant à ce qui passa ensuite, s’il est possible de l’imputer à la divinité, il est aussi possible de dire que personne ne pourrait résister à des hommes désespérés. En effet, alors qu’Archidamos était à la tête d’une armée d’à peine une centaine d’hommes et qu’après avoir passé ce qui semblait constituer une protection, il remontait la pente en direction de l’ennemi, alors les Thébains qui brûlaient d’ardeur, qui avaient déjà vaincus les Lacédémoniens, qui l’emportaient en tout et qui, plus est, bénéficiaient de l’avantage du terrain, ne soutinrent pas l’assaut des hommes d’Archidamos : ils plient ! Alors meurt l’avant-garde d’Épaminondas mais quand, exaltés par la victoire, ceux de la ville les poursuivirent au-delà de ce qu’il fallait, ce sont eux qui meurent à leur tour. En effet la divinité, semble-t-il, avait circonscrit jusqu’où la victoire leur était concédée. Archidamos fit donc dresser un trophée là où il avait été vainqueur et accorda une trêve pour la restitution des corps des ennemis qui étaient tombés là. 

Session 2016

CE QUE DOIVENT FAIRE LES ATHÉNIENS FACE AUX MENÉES
DE PHILIPPE DE MACÉDOINE DONT L’ORATEUR VIENT DE MONTRER LES DANGERS

Τί οὖν εὖ φρονούντων ἀνθρώπων ἐστίν ; Εἰδότας ταῦτα καὶ ἐγνωκότας, τὴν μὲν ὑπερϐάλλουσαν καὶ ἀνήκεστον ταύτην ῥᾳθυμίαν ἀποθέσθαι, χρήματα δ’ εἰσφέρειν καὶ τοὺς συμμάχους ἀξιοῦν καὶ ὅπως τὸ συνεστηκὸς τοῦτο συμμενεῖ στράτευμα ὁρᾶν καὶ πράττειν, ἵν’, ὥσπερ ἐκεῖνος ἕτοιμον ἔχει δύναμιν τὴν ἀδικήσουσαν καὶ καταδουλωσομένην ἅπαντας τοὺς Ἕλληνας, οὕτω τὴν σώσουσαν ὑμεῖς καὶ βοηθήσουσαν ἅπασιν ἕτοιμον ἔχητε. Οὐ γὰρ ἔστι βοηθείαις χρωμένους οὐδέποτ’ οὐδὲν τῶν δεόντων πρᾶξαι, ἀλλὰ κατασκευάσαντας δεῖ δύναμιν, καὶ τροφὴν ταύτῃ πορίσαντας καὶ ταμίας καὶ δημοσίους, καὶ ὅπως ἔνι τὴν τῶν χρημάτων φυλακὴν ἀκριϐεστάτην γενέσθαι οὕτω ποιήσαντας, τὸν μὲν τῶν χρημάτων λόγον παρὰ τούτων λαμϐάνειν, τὸν δὲ τῶν ἔργων παρὰ τοῦ στρατηγοῦ. Κἂν οὕτω ποιήσητε καὶ ταῦτ’ ἐθελήσηθ’ ὡς ἀληθῶς, ἄγειν εἰρήνην δικαίαν καὶ μένειν ἐπὶ τῆς αὑτοῦ Φίλιππον ἀναγκάσετε, οὗ μεῖζον οὐδὲν ἂν γένοιτ’ ἀγαθόν, ἢ πολεμήσετ’ ἐξ ἴσου. 

Εἰ δέ τῳ δοκεῖ ταῦτα καὶ δαπάνης μεγάλης καὶ πόνων πολλῶν καὶ πραγματείας εἶναι, καὶ μάλ’ ὀρθῶς δοκεῖ· ἀλλ’ ἐὰν λογίσηται τὰ τῇ πόλει μετὰ ταῦτα γενησόμενα, ἂν ταῦτα μὴ ’θέλῃ, εὑρήσει λυσιτελοῦν τὸ ἑκόντας ποιεῖν τὰ δέοντα. Εἰ μὲν γάρ ἐστί τις ἐγγυητὴς θεῶν – οὐ γὰρ ἀνθρώπων γ’ οὐδεὶς ἂν γένοιτο ἀξιόχρεως τηλικούτου πράγματος – ὡς, ἐὰν ἄγηθ’ ἡσυχίαν καὶ ἅπαντα προῆσθε, οὐκ ἐπ’ αὐτοὺς ὑμᾶς τελευτῶν ἐκεῖνος ἥξει, αἰσχρὸν μέν, νὴ τὸν Δία καὶ πάντας θεούς, καὶ ἀνάξιον ὑμῶν καὶ τῶν ὑπαρχόντων τῇ πόλει καὶ πεπραγμένων τοῖς προγόνοις, τῆς ἰδίας ἕνεκα ῥᾳθυμίας τοὺς ἄλλους πάντας Ἕλληνας εἰς δουλείαν προέσθαι· καὶ ἔγωγ’ αὐτὸς μὲν τεθνάναι μᾶλλον ἂν ἢ ταῦτ’ εἰρηκέναι βουλοίμην· οὐ μὴν ἀλλ’ εἴ τις ἄλλος λέγει καὶ ὑμᾶς πείθει, ἔστω, μὴ ἀμύνεσθε, ἅπαντα πρόεσθε.

Démosthène,
Sur les affaires de Chersonèse, 46-49
(260 mots)

Corrigé proposé par le jury

Quelle est donc la conduite propre à des hommes sensés ? Alors qu’ils savent cela et en ont pris conscience, il leur faut renoncer à cette extraordinaire et incurable insouciance, verser des contributions financières et exiger que leurs alliés en fassent autant, veiller et s’appliquer à ce que cette armée constituée demeure permanente, afin que, de même que lui, Philippe, a une force militaire à sa disposition, prête à causer du tort et à imposer la servitude à tous les Grecs sans exception, vous, de la même façon, vous en ayez une à votre disposition, prête à les sauver et à les aider tous sans exception. Car il est impossible que l’on fasse jamais rien de ce qu’il faut en ayant recours à des expéditions de secours ; bien au contraire, il faut organiser une force militaire, lui fournir des approvisionnements et des trésoriers publics, agir de la façon qui permette d’assurer le contrôle des finances le plus rigoureux, recevoir de ces trésoriers leurs rapports sur les finances, du général le sien sur les opérations. Si vous agissez ainsi et si vous désirez vraiment cela, vous obligerez Philippe à observer une paix juste et à rester chez lui, situation en comparaison de laquelle il ne saurait y avoir de plus grand bien, sinon vous combattrez sur un pied d’égalité. Cependant, si l’on pense que cela exige une grande dépense, beaucoup de peines et de travail, on a vraiment tout à fait raison de le penser. Mais si l’on calcule ce qui arrivera ensuite à la cité dans le cas où l’on ne consent pas à cela, on découvrira le profit qu’il y a à faire de son plein gré ce qu’il faut. Le fait est que, à supposer même que parmi les dieux il en est un pour se porter garant – car nul homme, en tout cas, ne saurait répondre d’une affaire d’une si grande importance – garant de ce que, si vous demeurez tranquilles et abandonnez absolument tout, lui, à la fin, ne viendra pas vous attaquer vous-mêmes, certes, même en ce cas, il est honteux, par Zeus et par tous les dieux, et indigne de vous, de la puissance de la cité, des actions accomplies par vos ancêtres, d’abandonner, à cause de votre propre insouciance, tous les autres Grecs à la servitude. Quant à moi, personnellement, je préférerais être mort qu’avoir proposé cela ; néanmoins, si quelqu’un d’autre le propose et parvient à vous persuader, soit, ne vous défendez pas, abandonnez absolument tout.

Session 2015

PARABASE DU CHOEUR DES ΤHESMOPHORIEUSES :
DE LA SUPÉRIORITÉ DES FEMMES SUR LES HOMMES

ΧΟΡΟΣ

Ἡμεῖς τοίνυν ἡμᾶς αὐτὰς εὖ λέξωμεν παραϐᾶσαι.
Καίτοι πᾶς τις τὸ γυναικεῖον φῦλον κακὰ πόλλ’ ἀγορεύει, 
ὡς πᾶν ἐσμὲν κακὸν ἀνθρώποις κἀξ ἡμῶν ἐστιν ἅπαντα, 
ἔριδες, νείκη, στάσις ἀργαλέα, λύπη πόλεμος. Φέρε δή νυν, 
εἰ κακόν ἐσμεν, τί γαμεῖθ’ ἡμᾶς, εἴπερ ἀληθῶς κακόν ἐσμεν, 
κἀπαγορεύετε μήτ’ ἐξελθεῖν μήτ’ ἐκκύψασαν ἁλῶναι, 
ἀλλ’ οὑτωσὶ πολλῇ σπουδῇ τὸ κακὸν βούλεσθε φυλάττειν ; 
Κἂν ἐξέλθῃ τὸ γύναιόν ποι, κᾆθ’ εὕρητ’ αὐτὸ θύρασιν, 
μανίας μαίνεσθ’, οὓς χρῆν σπένδειν καὶ χαίρειν, εἴπερ ἀληθῶς 
ἔνδοθεν ηὕρετε φροῦδον τὸ κακὸν καὶ μὴ κατελαμϐάνετ’ ἔνδον. 
Κἂν καταδάρθωμεν ἐν ἀλλοτρίων παίζουσαι καὶ κοπιῶσαι, 
πᾶς τις τὸ κακὸν τοῦτο ζητεῖ περὶ τὰς κλίνας περινοστῶν. 
Κἂν ἐκ θυρίδος παρακύπτωμεν, τὸ κακὸν ζητεῖτε θεᾶσθαι· 
κἂν αἰσχυνθεῖσ’ ἀναχωρήσῃ, πολὺ μᾶλλον πᾶς ἐπιθυμεῖ 
αὖθις τὸ κακὸν παρακύψαν ἰδεῖν. Οὕτως ἡμεῖς ἐπιδήλως 
ὑμῶν ἐσμεν πολὺ βελτίους. Βάσανός τε πάρεστιν ἰδέσθαι. 
Βάσανον δῶμεν πότεροι χείρους. Ἡμεῖς μὲν γάρ φαμεν ὑμᾶς, 
ὑμεῖς δ’ ἡμᾶς. Σκεψώμεθα δὴ κἀντιτιθῶμεν πρὸς ἕκαστον, 
παραϐάλλουσαι τῆς τε γυναικὸς καὶ τἀνδρὸς τοὔνομ’ ἑκάστου. 
Ναυσιμάχης μέν <γ’> ἥττων ἐστὶν Χαρμῖνος (1)· δῆλα δὲ τἄργα. 
Καὶ μὲν δὴ καὶ Κλεοφῶν (2) χείρων πάντως δήπου Σαλαϐακχοῦς (3). 
Πρὸς Ἀριστομάχην δὲ χρόνου πολλοῦ, πρὸς ἐκείνην τὴν Μαραθῶνι, 
καὶ Στρατονίκην ὑμῶν οὐδεὶς οὐδ’ ἐγχειρεῖ πολεμίζειν. 
Ἀλλ’ Εὐϐούλης τῶν πέρυσίν τις βουλευτής ἐστιν ἀμείνων 
παραδοὺς ἑτέρῳ τὴν βουλείαν ; Οὐδ’ Ἄνυτος τοῦτό γε φήσει. 
Οὕτως ἡμεῖς πολὺ βελτίους τῶν ἀνδρῶν εὐχόμεθ’ εἶναι. 
Οὐδ’ ἂν κλέψασα γυνὴ ζεύγει κατὰ πεντήκοντα τάλαντα 
εἰς πόλιν ἔλθοι τῶν δημοσίων· ἀλλ’ ἢν τὰ μέγισθ’ ὑφέληται,
φορμὸν πυρῶν τἀνδρὸς κλέψασ’, αὐθημερὸν αὔτ’ ἀπέδωκεν.
                    Ἀλλ’ ἡμεῖς ἂν πολλοὺς τούτων 
                    ἀποδείξαιμεν ταῦτα ποιοῦντας, 
                    καὶ πρὸς τούτοις γάστριδας ἡμῶν 
                    ὄντας μᾶλλον καὶ λωποδύτας 
                    καὶ βωμολόχους κἀνδραποδιστάς.

Aristophane,
Les Thesmophories, v. 785-818
(34 vers – 265 mots)

(1) Charminos : stratège athénien qui vient d’essuyer une défaite lors d’un combat naval contre les Spartiates. 
(2) Cléophon : chef du parti démocratique. 
(3) Salabaccho : courtisane célèbre à Athènes.

Corrigé proposé par le jury

LE CHŒUR

Maintenant, faisons, nous, notre propre éloge dans la parabase.
Ah oui ! tout un chacun profère nombre de vilenies sur la gent féminine, prétendant que
Nous sommes le fléau absolu des hommes, que c’est de nous qu’absolument tout provient,
Les disputes, les querelles, l’affreuse sédition, le chagrin, la guerre. Allons donc !
Si nous sommes un fléau, pourquoi nous épousez-vous, s’il est bien vrai que nous sommes un fléau ?
Pourquoi nous interdisez-vous de sortir ou d’être prises à jeter un œil dehors,
Et pourquoi au contraire voulez-vous garder avec tant de zèle le fléau ?
Si votre petite femme est sortie quelque part, et qu’ensuite vous découvrez qu’elle est dehors,
Vous êtes dans une fureur noire, alors que vous devriez faire des libations et vous réjouir, s’il est bien vrai que
Vous avez véritablement découvert le fléau parti de la maison, et que vous ne l’avez pas rencontré à l’intérieur.
Si nous nous endormons ailleurs que chez nous, lasses à force de nous amuser,
Tout un chacun se met à rechercher ce fléau, en faisant le tour des lits.
Et si nous nous penchons à la fenêtre, vous cherchez à regarder le fléau ;
Et si, prise de honte, on se retire, chacun est encore davantage désireux
De voir le fléau se pencher à nouveau. C’est tellement évident
Que nous sommes, nous, bien meilleures que vous ! Et il y a à notre disposition une pierre de touche pour le voir.
Produisons la pierre de touche pour savoir lesquels sont les pires : nous, nous affirmons que c’est vous,
Et vous, nous. Eh bien, examinons, et plaçons-les en vis-à-vis, chacun,
Et comparons les noms de chaque homme et de chaque femme.
Charminos est assurément défait par Nausimachè : les faits sont évidents.
Par ailleurs, Cléophon aussi est en tout point inférieur à Salabaccho, pas vrai ?
Contre Aristomachè, celle-là qui était à Marathon, et contre Stratonikè,
Il y a beau temps qu’aucun de vous n’essaie même de se battre.
Et parmi ceux de l’année dernière, y a-t-il un membre du Conseil ayant transmis
Sa charge de conseiller à un autre, qui soit supérieur à Euboulè ? Même Anytos n’affirmera pas ça bien sûr !
C’est ainsi que nous nous flattons d’être, nous, bien meilleures que les hommes.
Une femme qui aurait volé environ cinquante talents au Trésor public ne se rendrait pas non plus
Sur l’Acropole avec un attelage ; mais si elle dérobe le plus qu’elle peut,
Si elle vole une corbeille de blé à son mari, elle la restitue le jour même !
Ah ! c’est que nous, nous pourrions en montrer beaucoup,
Parmi ceux-là, qui agissent ainsi,
Et qui, en plus, sont plus gourmands que nous,
Et qui sont voleurs,
Bouffons, esclavagistes !

Session 2014

DÉBAT SUR L’INVENTION DE TEUTH

ΣΩΚΡΑΤΗΣ. 

Ἤκουσα τοίνυν περὶ Ναύκρατιν τῆς Αἰγύπτου γενέσθαι τῶν ἐκεῖ παλαιῶν τινα θεῶν, οὗ καὶ τὸ ὄρνεον ἱερὸν ὃ δὴ καλοῦσιν ἶϐιν, αὐτῷ δὲ ὄνομα τῷ δαίμονι εἶναι Θεύθ· τοῦτον δὴ πρῶτον ἀριθμόν τε καὶ λογισμὸν εὑρεῖν καὶ γεωμετρίαν καὶ ἀστρονομίαν, ἔτι δὲ πεττείας τε καὶ κυϐείας, καὶ δὴ καὶ γράμματα. Βασιλέως δ’ αὖ τότε ὄντος Αἰγύπτου ὅλης Θαμοῦ περὶ τὴν μεγάλην πόλιν τοῦ ἄνω τόπου, ἣν οἱ Ἕλληνες Αἰγυπτίας Θήϐας καλοῦσι καὶ τὸν θεὸν Ἄμμωνα, παρὰ τοῦτον ἐλθὼν ὁ Θεὺθ τὰς τέχνας ἐπέδειξεν καὶ ἔφη δεῖν διαδοθῆναι τοῖς ἄλλοις Αἰγυπτίοις. Ὁ δὲ ἤρετο ἥντινα ἑκάστη ἔχοι ὠφελίαν· διεξιόντος δέ, ὅ τι καλῶς ἢ μὴ καλῶς δοκοῖ λέγειν, τὸ μὲν ἔψεγεν, τὸ δ’ ἐπῄνει. Πολλὰ μὲν δὴ περὶ ἑκάστης τῆς τέχνης ἐπ’ ἀμφότερα Θαμοῦν τῷ Θεὺθ λέγεται ἀποφήνασθαι, ἃ λόγος πολὺς ἂν εἴη διελθεῖν. Ἐπειδὴ δὲ ἐπὶ τοῖς γράμμασιν ἦν· « Τοῦτο δέ, ὦ βασιλεῦ, τὸ μάθημα, ἔφη ὁ Θεύθ, σοφωτέρους Αἰγυπτίους καὶ μνημονικωτέρους παρέξει· μνήμης τε γὰρ καὶ σοφίας φάρμακον ηὑρέθη. » Ὁ δ’ εἶπεν· « Ὦ τεχνικώτατε Θεύθ, ἄλλος μὲν τεκεῖν δυνατὸς τὰ τέχνης, ἄλλος δὲ κρῖναι τίν’ ἔχει μοῖραν βλάϐης τε καὶ ὠφελείας τοῖς μέλλουσι χρῆσθαι· καὶ νῦν σύ, πατὴρ ὢν γραμμάτων, δι’ εὔνοιαν τοὐναντίον εἶπες ἢ δύναται. Τοῦτο γὰρ τῶν μαθόντων λήθην μὲν ἐν ψυχαῖς παρέξει μνήμης ἀμελετησίᾳ, ἅτε διὰ πίστιν γραφῆς ἔξωθεν ὑπ’ ἀλλοτρίων τύπων, οὐκ ἔνδοθεν αὐτοὺς ὑφ’ αὑτῶν ἀναμιμνῃσκομένους· οὔκουν μνήμης, ἀλλὰ ὑπομνήσεως φάρμακον ηὗρες. Σοφίας δὲ τοῖς μαθηταῖς δόξαν, οὐκ ἀλήθειαν πορίζεις· πολυήκοοι γάρ σοι γενόμενοι ἄνευ διδαχῆς πολυγνώμονες εἶναι δόξουσιν, ἀγνώμονες ὡς ἐπὶ τὸ πλῆθος ὄντες, καὶ χαλεποὶ συνεῖναι, δοξόσοφοι γεγονότες ἀντὶ σοφῶν. »

ΦΑΙΔΡΟΣ.

Ὦ Σώκρατες, ῥᾳδίως σὺ Αἰγυπτίους καὶ ὁποδαποὺς ἂν ἐθέλῃς λόγους ποιεῖς.

Platon,
Phèdre 274c-275b
(271 mots)

Corrigé proposé par le jury

Socrate — Eh bien, j’ai entendu dire qu’a vécu dans la région de Naucratis en Égypte un des anciens dieux de ce pays, celui-là même à qui est consacré l’oiseau que précisément on appelle ibis, et que la divinité elle-même porte le nom de Theuth ; c’est lui justement, m’a-t-on dit, qui a le premier inventé le nombre et la calcul, ainsi que la géométrie et l’astronomie, et encore les jeux de trictrac et de dés, et surtout l’écriture. Or comme, d’autre part, le roi de l’Égypte tout entière était à cette époque-là Thamous, qui résidait dans la grande ville du haut pays, celle que les Grecs appellent Thèbes d’Egypte et dont ils nomment le dieu Ammon, Theuth vint le trouver pour lui présenter ses arts et lui dire qu’il fallait les transmettre aux autres Égyptiens. Thamous lui demanda quelle était l’utilité de chacun ; alors que l’autre lui en faisait un exposé détaillé, selon qu’il lui paraissait avoir raison ou tort dans ses propos, le roi blâmait ceci, louait cela. Nombreuses furent, dit-on, les observations que Thamous fit à Theuth sur chaque art, dans l’un et l’autre sens, observations dont un exposé détaillé exigerait un long discours.  Mais quand on en fut à l’écriture : « Voici, Roi, dit Theuth, la connaissance qui rendra les Égyptiens plus savants et plus aptes à la mémoire, car c’est là une invention qui est un remède pour la mémoire et le savoir. » Le roi répondit : « Theuth, grand maître ès arts, tel est capable de créer les procédés d’un art, tel autre est capable de juger quelle part de dommage ou d’utilité il comporte pour ceux qui sont appelés à s’en servir ; ainsi maintenant toi, qui es le père de l’écriture, tu l’as par bienveillance dotée d’un pouvoir contraire à celui qu’elle a. En effet, cette invention produira l’oubli dans l’âme de ceux qui l’auront apprise, faute pour eux d’exercer leur mémoire, vu que, par confiance envers l’écrit, c’est de l’extérieur, par des caractères qui leur sont étrangers, et non de l’intérieur, par un effort personnel, qu’ils vont chercher le moyen de se ressouvenir ; ce n’est donc pas pour la mémoire, mais pour la remémoration, que tu as trouvé un remède. Quant au savoir, c’en est l’illusion que tu procures à tes disciples, et non la réalité : car, après avoir beaucoup entendu de toi sans recevoir d’enseignement, ils auront l’air d’être remplis de connaissance, alors qu’ils en seront généralement dépourvus, et d’être pénibles à fréquenter, parce que, au lieu d’être savants, c’est savants d’illusion qu’ils seront devenus. »  

Phèdre — Socrate, tu as de la facilité pour créer des discours égyptiens ou du pays que tu veux !

Session 2013

UN CITOYEN SE DÉFEND D’ÊTRE UN OLIGARQUE

Ἐγὼ τοίνυν ἡγοῦμαι, ὅσοι μὲν ἐν τῇ δημοκρατίᾳ ἄτιμοι ἦσαν ἢ τῶν ὄντων ἀπεστερημένοι ἢ ἄλλῃ τινὶ συμφορᾷ τοιαύτῃ κεχρημένοι, προσήκειν αὐτοῖς ἑτέρας ἐπιθυμεῖν πολιτείας, ἐλπίζοντας τὴν μεταϐολὴν ὠφέλειάν τινα αὑτοῖς ἔσεσθαι· ὅσοι δὲ τὸν δῆμον πολλὰ κἀγαθὰ εἰργασμένοι εἰσί, κακὸν δὲ μηδὲν πώποτε, ὀφείλεται δὲ αὐτοῖς χάριν κομίσασθαι παρ’ ὑμῶν μᾶλλον ἢ δοῦναι δίκην τῶν πεπραγμένων, οὐκ ἄξιον τὰς περὶ τούτων ἀποδέχεσθαι διαϐολάς, οὐδ’ ἐὰν πάντες οἱ τὰ τῆς πόλεως πράττοντες ὀλιγαρχικοὺς αὐτοὺς φάσκωσιν εἶναι.

Ἐμοὶ τοίνυν, ὦ ἄνδρες δικασταί, οὔτ’ ἰδίᾳ οὔτε δημοσίᾳ συμφορὰ ἐν ἐκείνῳ τῷ χρόνῳ οὐδεμία πώποτε ἐγένετο, ἀνθ’ ἧστινος ἂν προθυμούμενος τῶν παρόντων κακῶν ἀπαλλαγῆναι ἑτέρων ἐπεθύμουν πραγμάτων. Πετριηράρχηκά τε γὰρ πεντάκις, καὶ τετράκις νεναυμάχηκα, καὶ εἰσφορὰς ἐν τῷ πολέμῳ πολλὰς εἰσενήνοχα, καὶ τἆλλα λελῃτούργηκα οὐδενὸς χεῖρον τῶν πολιτῶν. Καίτοι διὰ τοῦτο πλείω τῶν ὑπὸ τῆς πόλεως προσταττομένων ἐδαπανώμην, ἵνα καὶ βελτίων ὑφ’ ὑμῶν νομιζοίμην, καὶ εἴ πού μοί τις συμφορὰ γένοιτο, ἄμεινον ἀγωνιζοίμην. Ὧν ἐν τῇ ὀλιγαρχίᾳ ἁπάντων ἀπεστερούμην· οὐ γὰρ τοὺς τῷ πλήθει ἀγαθοῦ τινος αἰτίους γεγενημένους χάριτος παρ’ αὑτῶν ἠξίουν τυγχάνειν, ἀλλὰ τοὺς πλεῖστα κακὰ ὑμᾶς εἰργασμένους εἰς τὰς τιμὰς καθίστασαν, ὡς ταύτην παρ’ ἡμῶν πίστιν εἰληφότες. Ἃ χρὴ πάντας ἐνθυμουμένους μὴ τοῖς τούτων λόγοις πιστεύειν, ἀλλὰ καὶ ἐκ τῶν ἔργων σκοπεῖν ἃ ἑκάστῳ τυγχάνει πεπραγμένα. Ἐγὼ γάρ, ὦ ἄνδρες δικασταί, οὔτε τῶν τετρακοσίων ἐγενόμην· ἢ τῶν κατηγόρων ὁ βουλόμενος παρελθὼν ἐλεγξάτω· οὐ τοίνυν οὐδ’ ἐπειδὴ οἱ τριάκοντα κατέστησαν, οὐδείς με ἀποδείξει οὔτε βουλεύσαντα οὔτε ἀρχὴν οὐδεμίαν ἄρξαντα. Καίτοι εἰ μὲν ἐξόν μοι ἄρχειν μὴ ἐϐουλόμην, ὑφ’ ὑμῶν νυνὶ τιμᾶσθαι δίκαιός εἰμι· εἰ δὲ οἱ τότε δυνάμενοι μὴ ἠξίουν μοι μεταδιδόναι τῶν πραγμάτων, πῶς ἂν φανερώτερον ἢ οὕτως ψευδομένους ἀποδείξαιμι τοὺς κατηγόρους ; 

Lysias,
Plaidoyer pour un citoyen accusé d’avoir détruit la démocratie, 11-14
(271 mots)

Corrigé proposé par le jury

Pour ma part, je pense que tous ceux qui, sous la démocratie, étaient privés de droits civiques, dépouillés de leurs biens ou victimes d’une infortune de ce genre désiraient naturellement un autre régime, dans l’espoir que le changement leur serait d’un quelconque profit ; en revanche, tous ceux qui ont fait beaucoup de bien au peuple, et jamais aucun mal, et qui doivent obtenir votre reconnaissance plutôt que d’être punis de leurs actes, il ne convient pas d’accueillir les calomnies lancées contre eux, même si tous ceux qui s’occupent des affaires de la cité disent qu’ils sont des oligarques. Eh bien, moi, juges, à cette époque, je n’ai jamais subi aucune infortune, ni d’ordre privé, ni publique, pour laquelle, par envie d’être délivré des maux présents, j’aurais désiré une autre situation politique. J’ai exercé la triérarchie cinq fois, participé à quatre combats navals, versé de nombreuses contributions en temps de guerre et me suis acquitté des autres liturgies aussi bien que n’importe quel citoyen. Or j’ai dépensé plus que ce qui était imposé par la cité afin d’être considéré par vous comme encore meilleur et, si par hasard il m’arrivait quelque infortune, pour me défendre dans de meilleurs conditions. Mais de tout cela, j’étais privé sous l’oligarchie : en effet, ils ne jugeaient pas normal que ceux qui étaient à l’origine d’un bienfait pour le peuple obtiennent d’eux de la reconnaissance : au contraire, ils élevaient aux honneurs ceux qui vous avaient fait le plus de mal, en considérant qu’ils tenaient là un gage de notre loyauté. Vous devez tous, si vous songez à cela, ne pas accorder créance aux propos de ces gens-là, mais examiner d’après les actions dont chacun se trouve être l’auteur. Pour ma part, juges, je n’ai jamais fait partie des Quatre-Cents ; ou bien que n’importe lequel de mes accusateurs s’avance et m’en convainque. De plus, personne ne prouvera que, après l’arrivée des Trente au pouvoir, j’ai été membre du conseil ni que j’ai exercé quelque magistrature que ce soit. Or, si, alors qu’il m’était possible d’en exercer une, je m’y suis refusé, il est juste qu’aujourd’hui je sois récompensé par vous. Et si les dirigeants d’alors ne jugeaient pas normal de me faire participer aux affaires, comment pourrais-je prouver plus clairement que de cette façon que mes accusateurs mentent ?

Session 2012

ÊTRE CYCLOPE : LA BELLE VIE !

Le Cyclope répond aux supplications d’Ulyssse.

ὈΔΥΣΣΕΥΣ
                        Ἀλλ’ ἐμοι πιθοῦ, Κύκλωψ·
πάρες τὸ μάργον σῆς γνάθου, τὸ δ’ εὐσεϐὲς
τῆς δυσσεϐείας ἀνθελοῦ· πολλοῖσι γὰρ
κέρδη πονηρὰ ζημίαν ἠμείψατο.
ΣΙΛΗΝΟΣ
Παραινέσαι σοι (1) βούλομαι· τῶν γὰρ κρεῶν
μηδὲν λίπῃς τοῦδ’· ἢν δὲ τὴν γλῶσσαν δάκῃς
κομψὸς γενήσῃ καὶ λαλίστατος, Κύκλωψ.
ΚΥΚΛΩΨ
Ὁ πλοῦτος, ἀνθρωπίσκε, τοῖς σοφοῖς θεός,
τὰ δ’ ἄλλα κόμποι καὶ λόγων εὐμορφίαι.
Ἄκρας δ’ ἐναλίας ἃς καθίδρυται πατὴρ 
χαίρειν κελεύω· τί τάδε (2) προὐστήσω λόγῳ ;
Ζηνὸς δ’ἐγὼ κεραυνὸν οὐ φρίσσω, ξένε,
οὐδ’ οἶδ’ ὅ τι Ζεύς ἐστ’ ἐμοῦ κρείσσων θεός.
Οὔ μοι μέλει τὸ λοιπόν· ὣς δ’ οὔ μοι μέλει,
ἄκουσον. Ὅταν ἄνωθεν ὄμϐρον ἐκχέῃ,
ἐν τῇδε πέτρᾳ στέγν’ ἔχω σκηνώματα,
ἢ μόσχον ὀπτὸν ἤ τι θήρειον δάκος
δαινύμενος, εὖ τέγγων τε γαστέρ’ ὑπτίαν,
ἐπεκπιὼν γάλακτος ἀμφορέα, πέπλον
κρούω, Διὸς βρονταῖσιν εἰς ἔριν κτυπῶν.
Ὅταν δὲ βορέας χιόνα Θρῄκιος χέῃ,
δοραῖσι θηρῶν σῶμα περιϐαλὼν ἐμὸν
καὶ πῦρ ἀναίθων – χίονος οὐδέν μοι μέλει.
Ἡ γῆ δ’ ἀνάγκῃ, κἂν θέλῃ κἂν μὴ θέλῃ,
τίκτουσα ποίαν τἀμὰ πιαίνει βοτά.
Ἁγὼ οὔτινι θύω πλὴν ἐμοί, θεοῖσι δ’ οὔ,
καὶ τῇ μεγίστῃ, γαστρὶ τῇδε, δαιμόνων.
Ὡς τοὐμπιεῖν γε κἀμφαγεῖν τοὐφ’ ἡμέραν
Ζεὺς οὗτος ἀνθρώποισι τοῖσι σώφροσιν,
λυπεῖν δὲ μηδὲν αὑτόν. Οἳ δὲ τοὺς νόμους
ἔθεντο ποικίλλοντες ἀνθρώπων βίον,
κλαίειν ἄνωγα· τὴν δ’ἐμὴν ψυχὴν ἐγὼ
οὐ παύσομαι δρῶν εὖ – κατεσθίων γε σέ.
Ξένιά τε λήψῃ τοίαδ’, ὡς ἄμεμπτος ὦ,
πῦρ καὶ πατρῷον τόνδε χαλκόν, ὃς ζέσας
σὴν σάρκα διαφόρητον ἀμφέξει καλῶς.
Ἀλλ’ ἕρπετ’ εἴσω, τῷ κατ’ αὔλιον θεῷ
ἵν’ ἀμφὶ βωμὸν στάντες εὐωχῆτέ με.

Euripide,
Le Cyclope, v. 309-346
(38 vers –  241 mots)

(1) Il s’adresse au Cyclope.
(2) Ulysse a tenté de fléchir le Cyclope en rappelant que les Grecs ont défendu le royaume de Poséidon.

Corrigé proposé par le jury

Ulysse — Allons, crois m’en, Cyclope : oublie la voracité de ta mâchoire, et choisis la piété de préférence à l’impiété. Nombreux en effet sont ceux à qui des gains mal acquis ont valu un châtiment.

Silène — Je veux te donner un conseil : des chairs de cet homme-ci, ne laisse pas un morceau ; et si tu croques sa langue, c’est habile que tu deviendras, et le roi des bavards, Cyclope !

Le Cyclope — La richesse, petit homme, est un dieu pour les sages ; le reste n’est que vains mots et belles paroles. Quant aux caps marins que mon père a érigés, qu’ils aillent au diable ! Pourquoi as-tu mis cela en avant dans ton discours ?  Ma foi, la foudre de Zeus ne me fait pas trembler, étranger, et en quoi Zeus est un dieu plus puissant que moi, je n’en sais rien. Le reste m’est bien égal ; et à quel point cela m’est égal, écoute-le : lorsque de là-haut il déverse une pluie d’orage, ayant au creux de ce rocher un abri qui me couvre, je dévore un veau grillé, ou bien quelque bête sauvage, et, humectant comme il faut ma panse bien calée à l ‘horizontale, une fois que j’ai vidé d’un trait une amphore de lait, je fais résonner ma tunique, en faisant un bruit à rivaliser avec le tonnerre de Zeus. Et lorsque Borée, le vent de Thrace, verse de la neige, j’enveloppe mon corps de peaux de bêtes et j’allume un feu – la neige, je n’en ai rien à faire. Quant à la terre, par force, qu’elle le veuille ou non, en donnant naissance à l’herbe elle engraisse mes bestiaux. Et ces bestiaux, moi, je ne les sacrifie à personne d’autre qu’à moi – et non aux dieux – ainsi qu’à la plus grande des divinités, la panse que voici. Car bien boire, à la vérité, et bien manger jour après jour, voilà le Zeus des gens sensés – et aussi ne pas se causer de chagrin. Quant à ceux qui ont établi les lois, en enjolivant la vie des hommes, je ne leur souhaite pas du bien. Moi, je ne cesserai pas de bien traiter ma petite personne – en te dévorant, toi, justement ! Et voici le genre de présents d’hospitalité que tu vas recevoir, pour que je sois irréprochable : le feu et le chaudron paternel qui, une fois mis à bouillir, sera parfait pour contenir ta chair dépecée. Allons, entrez à l’intérieur, afin qu’en honneur du dieu de l’antre, debout autour de l’autel, vous me régaliez !

Session 2011

DISCOURS CONTRE LE SUICIDE, 
ADRESSÉ PAR UN CHEF MILITAIRE JUIF À SES COMPATRIOTES

Γενναῖον γὰρ ἀνελεῖν ἑαυτόν, φήσει τις. Οὐ μὲν οὖν, ἀλλ’ ἀγενέστατον, ὡς ἔγωγε καὶ κυϐερνήτην ἡγοῦμαι δειλότατον, ὅστις χειμῶνα δεδοικὼς πρὸ τῆς θυέλλης ἐϐάπτισεν ἑκὼν τὸ σκάφος. Ἀλλὰ μὴν ἡ αὐτοχειρία καὶ τῆς κοινῆς ἁπάντων ζῴων φύσεως ἀλλότριον καὶ πρὸς τὸν κτίσαντα θεὸν ἡμᾶς ἐστιν ἀσέϐεια. Τῶν μέν γε ζῴων οὐδέν ἐστιν ὃ θνήσκει μετὰ προνοίας ἢ δι’ αὐτοῦ· φύσεως γὰρ νόμος ἰσχυρὸς ἐν ἅπασιν τὸ ζῆν ἐθέλειν· διὰ τοῦτο καὶ τοὺς φανερῶς ἀφαιρουμένους ἡμᾶς τούτου πολεμίους ἡγούμεθα καὶ τοὺς ἐξ ἐνέδρας τιμωρούμεθα. Τὸν δὲ θεὸν οὐκ οἴεσθε ἀγανακτεῖν, ὅταν ἄνθρωπος αὐτοῦ τὸ δῶρον ὑϐρίζῃ ; Καὶ γὰρ εἰλήφαμεν παρ’ ἐκείνου τὸ εἶναι καὶ τὸ μηκέτι εἶναι πάλιν ἐκείνῳ δίδομεν. Τὰ μέν γε σώματα θνητὰ πᾶσιν καὶ ἐκ φθαρτῆς ὕλης δεδημιούργηται, ψυχὴ δὲ ἀθάνατος ἀεὶ καὶ θεοῦ μοῖρα τοῖς σώμασιν ἐνοικίζεται· εἶτ’ ἐὰν μὲν ἀφανίσῃ τις ἀνθρώπου παρακαταθήκην ἢ διαθῆται κακῶς, πονηρὸς εἶναι δοκεῖ καὶ ἄπιστος, εἰ δέ τις τοῦ σφετέρου σώματος ἐκϐάλλει τὴν παρακαταθήκην τοῦ θεοῦ, λεληθέναι δοκεῖ τὸν ἀδικούμενον ; Καὶ κολάζειν μὲν τοὺς ἀποδράντας οἰκέτας δίκαιον νενόμισται, κἂν πονηροὺς καταλείπωσι δεσπότας, αὐτοὶ δὲ κάλλιστον δεσπότην ἀποδιδράσκοντες τὸν θεὸν οὐ δοκοῦμεν ἀσεϐεῖν ; Ἆρ’ οὐκ ἴστε ὅτι τῶν μὲν ἐξιόντων τοῦ βίου κατὰ τὸν τῆς φύσεως νόμον καὶ τὸ ληφθὲν παρὰ τοῦ θεοῦ χρέος ἐκτινύντων, ὅταν ὁ δοὺς κομίσασθαι θέλῃ, κλέος μὲν αἰώνιον, οἶκοι δὲ καὶ γενεαὶ βέϐαιοι, καθαραὶ δὲ καὶ ἐπήκοοι μένουσιν αἱ ψυχαί, χῶρον οὐράνιον λαχοῦσαι τὸν ἁγιώτατον, ἔνθεν ἐκ περιτροπῆς αἰώνων ἁγνοῖς πάλιν ἀντενοικίζονται σώμασιν· ὅσοις δὲ καθ’ ἑαυτῶν ἐμάνησαν αἱ χεῖρες, τούτων Ἃιδης μὲν δέχεται τὰς ψυχὰς σκοτεινότερος, ὁ δὲ τούτων πατὴρ θεὸς εἰς ἐγγόνους τιμωρ-εῖται τοὺς τῶν πατέρων ὕϐρεις.

Flavius Josephe,
La Guerre des juifs, VIII, 368-375
(262 mots)

Corrigé proposé par le jury

Il est noble en effet de s’ôter soi-même la vie, dira-t-on. Certainement pas ! C’est au contraire des plus dépourvu de noblesse ; tout comme, pour ma part, je tiens également pour le dernier des lâches le pilote qui, par crainte du gros temps, fait délibérément couler son navire avant la tempête. Mais de plus le suicide est, à la fois, un acte étranger à la commune nature de tous les vivants sans exception, et une impiété à l’égard de Dieu qui nous a créés. En tout cas, parmi les animaux, il n’en est aucun qui meure pour l’avoir préalablement décidé ou de son fait ; car c’est chez tous sans exception une loi puissante de la nature que la volonté de vivre ; c’est pourquoi à la fois nous tenons pour des ennemis ceux qui s’efforcent de nous arracher ouvertement la vie et nous nous vengeons de ceux qui cherchent insidieusement à nous la prendre. Et ne pensez-vous pas que Dieu est profondément indigné quand un homme traite avec insolence son don ? Et de fait nous avons reçu de lui l’existence et c’est à lui, en retour, que nous remettons le terme de notre existence. Si, sans nul doute, les corps, chez tous les êtres, ont été façonnés mortels et à partir d’une matière corruptible, en revanche, l’âme est éternellement immortelle et réside comme une partie de Dieu dans les corps ; en outre, s’il arrive que l’on fasse disparaître un bien confié en dépôt par un homme ou que l’on en fasse un usage malhonnête, on passe pour un scélérat et un homme indigne de foi ; mais si effectivement l’on chasse de son corps le bien confié en dépôt par Dieu, se figure-t-on avoir échappé au regard de celui auquel on fait du tort ? On estime juste de punir les serviteurs fugitifs, même dans le cas où ce sont des maîtres scélérats qu’ils abandonnent ; et nous-mêmes, en fuyant Dieu, un maître des plus parfait, ne passons-nous pas pour être impies ? Ne savez-vous pas que, pour ceux qui quittent la vie conformément à la loi de la nature et s’acquittent entièrement de la dette qu’ils ont contractée envers Dieu, lorsque celui qui l’a octroyé veut recouvrer son prêt, éternelle est leur gloire, à l’abri sont leurs maisons et leurs familles, pures et secourables demeurent leurs âmes, après qu’elles ont obtenu en partage un emplacement dans le ciel, le lieu le plus sacré, d’où, à la suite de la révolution des âges, elles retournent habiter de nouveau des corps exempts de souillure ? En revanche, pour tous ceux dont les mains ont exercé une furieuse violence contre eux-mêmes, un Hadès plus ténébreux accueille leurs âmes, et Dieu, leur père, se venge sur les descendants des insolents outrages des ancêtres.

Session 2010

Socrate explique que, des deux manières d’aimer, il faut privilégier l’amour qui s’adresse à l’âme sur l’amour qui s’adresse au corps.

Xénophon,
Le Banquet, 8, 32-37

Corrigé proposé par le jury

Eh quoi, ne peut-on pas constater que les belles actions actuelles sont toutes accomplies, en vue d’un éloge, par ceux qui consentent et à peiner et à prendre des risques plutôt que par ceux qui sont accoutumés à préférer le plaisir à la gloire ? Pourtant Pausanias, l’amant d’Agathon le poète, plaidant en faveur de ceux qui se vautrent dans l’intempérance, a prétendu qu’une armée très vaillante pourrait même être formée de mignons avec leurs amants. En effet il disait penser que ceux-là auraient le plus de pudeur à s’abandonner les uns les autres, tenant des propos qui font s’étonner de ce que ceux qui sont accoutumés à n’avoir aucun souci du blâme et à n’éprouver aucune honte les uns envers les autres, que ces gens-là aient le plus de honte à faire quelque chose de honteux. Et il citait même des témoignages, à savoir que les Thébains aussi bien que les Éléens en avaient jugé ainsi : il affirmait en tout cas que, tout en dormant avec eux, ils rangeaient cependant leurs mignons en ordre de bataille à côté d’eux pour le combat, formulant là une preuve qui n’est en rien adaptée. En effet ces comportements sont chez eux conformes à la coutume, mais chez nous ils sont répréhensibles. D’autre part je crois, moi, que ceux qui rangent ainsi leurs aimés en ordre de bataille ressemblent à des gens qui se méfient, par crainte que les aimés, s’ils étaient à part, ne fassent pas les actions des hommes valeureux. Mais les Lacédémoniens, eux qui croient que celui dont l’attirance se porte aussi sur le corps ne peut plus atteindre rien qui ait beauté et valeur, rendent leurs aimés si parfaitement valeureux que, même avec des étrangers et s’ils ne sont pas rangés dans le même rang que leur amant, ils ont semblable honte à abandonner ceux qui sont à côté d’eux. En effet ils honorent comme déesse non l’Impudence mais la Pudeur. Et je crois que nous serions tous d’accord sur ce que je dis si nous recherchions ainsi de laquelle des deux manières est aimé le garçon auquel on ferait plus confiance pour lui laisser en dépôt de l’argent ou des enfants ou des marques de bienveillance. Moi, en effet, je pense que même celui qui use de la beauté physique de son aimé ferait plus confiance pour tout cela à celui dont l’âme inspire l’amour. Quant à toi, Callias, je crois qu’il est juste que tu rendes grâce aux dieux de ce qu’ils t’ont inspiré de l’amour pour Autolycos. En effet il est évident qu’il est ami de l’honneur, lui qui, pour être proclamé vainqueur au pancrace, supporte beaucoup de peines et beaucoup de souffrances. 

Session 2009

Sophocle,
Philoctète, v. 927-962

Corrigé proposé par le jury

Ô toi, fléau de feu, parfait monstre, très haïssable chef-d’œuvre d’affreuse perfidie, quels forfaits tu as commis envers moi, quel trompeur tu as été ! Tu ne rougis même pas de me regarder, moi, l’homme qui cherchait protection auprès de toi, moi, ton suppliant, misérable que tu es ? Tu m’as ôté la vie en te saisissant de mon arc. Rends-le, je t’en prie, rends-le, je t’en supplie, mon enfant ! Au nom des dieux de tes pères, ne me dessaisis pas de la vie ! Hélas, malheureux que je suis ! Mais il ne m’adresse même plus la parole, mais c’est comme s’il avait l’intention de ne jamais relâcher sa prise qu’il regarde ainsi de l’autre côté ! Ô ports, ô promontoires, ô compagnie des bêtes de la montagne, ô rochers escarpés, c’est auprès de vous – je ne connais pas d’autre auditoire à qui parler en effet – auprès de vous, mes témoins habituels, que je me plains de ces présents forfaits que perpétra envers moi le fils issu d’Achille : bien qu’il ait juré de me ramener chez moi, c’est à Troie qu’il cherche à m’emmener ! Et bien qu’il ait donné sa main droite, il s’est emparé de mon arc, l’arc sacré d’Héraklès, fils de Zeus, il le détient et aux Argiens il veut le montrer comme sien ! Comme s’il s’était saisi d’un homme valide, de force il cherche à m’emmener et il ne sait pas qu’il tue un mort ou une ombre de fumée, une image vaine, car il ne se serait pas saisi de moi si j’avais été dans toute ma force, puisque, même dans l’état où je suis aujourd’hui, il ne l’aurait pu s’il n’avait employé la ruse. Mais en réalité me voilà victime d’une tromperie, infortuné que je suis ! Que dois-je faire ? Allons, rends-le ! Maintenant du moins, il est encore temps, redeviens toi-même ! Que dis-tu ? Tu te tais ? Je suis perdu, infortuné que je suis ! Ô forme de mon rocher à deux portes, encore une fois de retour, je vais revenir vers toi, désarmé, sans nourriture, mais je vais me dessécher dans cette grotte, seul, ne tuant ni oiseau ailé ni bête qui foule le sol des montagnes avec l’arc que voici ; inversement c’est moi, malheureux que je suis, qui, par ma mort, offrirai un repas à ceux dont je me nourrissais, et les bêtes qu’auparavant je chassais, c’est à moi qu’elles vont désormais donner la chasse ; et comme prix du sang , je vais payer par mon sang, malheureux que je suis, par la faute de celui qui semble ne rien connaître de mauvais. Puisses-tu périr, non ! pas encore, pas avant que je n’aie appris si tu n’iras pas jusqu’à revenir sur ta décision ; sinon, puisses-tu mourir de male mort ! 

Session 2008

Plutarque, 
Comment les jeunes gens doivent lire les poètes, III, 17F-18D

Corrigé proposé par le jury

Et que l’on ne se contente pas de lui rebattre les oreilles avec ce poncif, que la poésie est une peinture parlante, et la peinture une poésie muette : apprenons-lui aussi que, lorsque nous voyons en peinture un lézard, un singe ou le portrait de Thersite, nous éprouvons plaisir et admiration, non parce qu’ils nous paraissent beaux, mais parce qu’ils nous paraissent ressemblants. Car par nature, ce qui est laid ne peut devenir beau ; mais l’imitation, qu’elle concern’e un objet sans valeur ou un objet précieux, mérite louange quand elle atteint à la ressemblance. Et au contraire, si elle offre une belle image d’un corps hideux, elle n’en donne une représentation ni convenable, ni ressemblante. Quelques-uns peignent même des scènes immorales, ainsi, Timomachos Médée tuant ses enfants, Théon Oreste tuant sa mère, Parrhasios Ulysse simulant la folie, et Chaïréphanes des femmes ayant avec des hommes des relations indécentes. C’est à ces exemples surtout qu’il faut habituer le jeune homme, en lui apprenant que nous ne louons pas l’acte dont est tirée l’imitation, mais l’art, si le modèle est correctement imité. Et puisque l’art poétique aussi rapporte aussi, en les imitant précisément, des actions viles, des passions et des mœurs scandaleuses, le jeune homme ne doit pas recevoir comme vrai ni approuver comme beau ce qui, dans ces œuvres, est admiré et réussi, mais se contenter de le louer comme bien conforme et fidèle au modèle représenté. En effet, c’est justement ainsi que, lorsque nous entendons le cri d’un porc, le grincement d’un treuil, le sifflement des vents et le fracas de la mer, nous en sommes importunés et nous éprouvons une impression pénible, mais si quelqu’un les imite à la perfection, comme Parménon imitait le porc et Théodore les treuils, nous sommes heureux de les entendre ; et nous fuyons comme un spectacle déplaisant un homme malade et couvert d’ulcères, mais nous nous réjouissons de voir le Philoctète d’Aristophon et la Jocaste de Silanion représentés à l’image d’êtres exténués et mourants. De même, lorsque le jeune homme lit les paroles ou les actes que l’on attribue à Thersite le bouffon, Sisyphe le séducteur ou Batrachos le marchand de femmes, qu’on lui apprenne à louer l’habileté et l’art qui permettent de les imiter, mais à rejeter et blâmer les manières d’être et les actes qu’ils imitent.

Session 2007

Aristophane, 
La Paix, v. 195-235

Corrigé proposé par le jury

TRYGÉE Va donc, appelle-moi Zeus !

HERMÈS Hé! Hé! Hé! c’est que tu n’es même pas près d’approcher les dieux; car ils sont sur les routes : ils ont fini leur déménagement hier.

TRYGÉE Vers quel endroit de la terre?

HERMES Eh bien, de la terre !

TRYGÉE Oui, mais vers quel endroit ?

HERMES Très très loin, carrément, sous la voûte même du ciel.

TRYGÉE Mais toi, comment donc se fait-il que tu aies été abandonné ici tout seul ?

HERMES Je veille sur ce qui reste des ustensiles des dieux, petites marmites, petites étagères, et petites amphores.

TRYGÉE Mais pour quelle raison les dieux ont-ils déménagé ?

HERMÈS De colère contre les Grecs. Et puis, ici, à l’endroit où ils étaient eux-mêmes, ils ont installé la Guerre, en lui permettant de faire de vous, carrément, ce qu’elle veut ; quant à eux, ils ont élu domicile le plus haut possible pour ne plus vous voir vous battre et ne plus vous entendre les supplier du tout.

TRYGÉE Mais pourquoi nous ont-ils fait cela ? Dis-moi !

HERMÈS Parce que vous préfériez faire la guerre alors qu’eux, ils cherchaient souvent à conclure des trêves : quand les Laconiques remportaient un petit succès, ils parlaient ainsi : « Par les deux dieux, le petit Attique va le payer ! ». Mais quand à votre tour vous réussissiez un bon coup, vous les Atticoniques, et que les Laconiens venaient parler de paix, vous vous empressiez de dire : « On nous roule, par Athéna ! – Par Zeus, pas question d’y croire ! Ils reviendront bien encore, si nous gardons Pylos. »

TRYGÉE En tout cas, le style des discours est bien de notre pays !

HERMÈS Et à cause de ces discours, je ne sais pas si à l’avenir vous reverrez jamais la Paix.

TRYGÉE Mais où est-elle donc partie ?

HERMÈS La Guerre l’a jetée dans un antre profond.

TRYGÉE Dans quel genre d’antre ?

HERMES Dans celui-là, là en bas. Et tu vois encore combien elle a accumulé de pierres pardessus pour que vous ne puissiez jamais la reprendre.

TRYGÉE Dis-moi, et nous donc, que s’apprête-t-elle à nous faire ?

HERMÈS Je ne sais qu’une chose, c’est qu’elle a, hier soir, apporté avec elle un mortier d’une taille surnaturelle.

TRYGÉE Mais à quoi donc va-t-elle utiliser ce mortier ?

HERMÈS Elle projette de broyer les cités dedans. Mais j’y vais ; car, si tu veux mon avis, elle est justement sur le point de sortir; ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle fait du raffut là-dedans.

TRYGÉE Hélas ! misère de moi ! Vite, fuyons-la! C’est qu’il m’a bien semblé entendre moi aussi le son d’un mortier de guerre.

Session 2006

Eschine, 
Contre Timarque, 25-28

Corrigé proposé pour le jury

Ces illustres orateurs d’autrefois, Périclès, Thémistocle, Aristide – qui portait le surnom contraire à celui que mérite cet infâme Timarque –, avaient tant de retenue que la pratique qui nous est aujourd’hui à tous habituelle, de faire des discours avec le bras dehors, semblait alors un geste impudent qu’ils se gardaient bien de pratiquer. Je pense pouvoir vous en donner une preuve matérielle absolument décisive : je sais bien que, tous, vous avez navigué jusqu’à Salamine et y avez observé la statue de Solon ; vous pourriez vous-mêmes témoigner de ce que, sur la place publique de Salamine, Solon se dresse avec le bras à l’intérieur du vêtement. C’est là, Athéniens, un souvenir et une imitation du maintien de Solon, de l’attitude qu’il avait quand lui-même s’adressait au peuple des Athéniens. Eh bien, examinez, Athéniens, combien diffèrent de Timarque Solon et ces hommes illustres dont je viens à l’instant de rappeler le souvenir ! Eux, du moins, ils rougissaient de faire des discours avec le bras dehors ; lui – c’était il n’y a pas longtemps, l’autre jour – il a jeté bas son manteau et, dénudé, a offert un spectacle de pancrace en pleine assemblée. L’ivresse et la dépravation l’avaient mis dans un état physique si déplorable et si honteux que les gens sensés se cachaient la face, rougissant pour la cité à l’idée que nous usons de pareils conseillers. C’est en considération de tels cas que le législateur a expressément indiqué qui doit s’adresser au peuple et qui n’a pas le droit de faire des discours publics. Il n’écarte pas de la tribune celui dont les ancêtres n’ont pas exercé de commandement militaire, ni non plus celui qui pourvoit à sa subsistance en exerçant un métier. À ces gens-là, bien au contraire, il réserve même le meilleur accueil, et c’est pourquoi il réitère souvent cette question : « Qui veut parler en public ? ». Quels sont ceux qui, selon lui, n’ont pas le droit de faire des discours ? Ceux qui ont mené une vie honteuse : ceux-là, il ne les autorise pas à s’adresser au peuple. En quel passage le fait-il clairement connaître ? Lorsqu’il dit : « Enquête sur les orateurs : si prend la parole devant le peuple un homme qui frappe son père ou sa mère, ou ne les nourrit pas, ou ne leur offre pas un toit… ». Celui-là, il ne l’autorise pas à prendre la parole. Et, par Zeus, il fait bien, oui, je l’affirme. Pourquoi ? Parce que si quelqu’un a un comportement indigne envers ceux qu’il faut honorer à l’égal des dieux, quel traitement, dit le législateur, les autres hommes et la cité toute entière subiront-ils donc de sa part ?  

Session 2005

Corrigé proposé par le jury

Après être rentrée seule dans le palais, après avoir vu dans la cour son fils qui étendait des couvertures pour faire une litière bien creuse (ou : qui disposait des couvertures au fond d’une litière), afin de retourner au devant de son père, elle se cacha à un endroit où personne ne pourrait la voir; elle se jeta aux pieds des autels, elle resta à gémir qu’elle venait de tout perdre; elle pleurait chaque fois qu’elle touchait un des objets dont elle se servait naguère, la malheureuse. D’un endroit à l’autre, dans son palais, elle ne cessait de tourner; chaque fois qu’elle apercevait la silhouette d’un des serviteurs aimés, elle pleurait à sa vue, la malheureuse; elle invoquait son propre destin et sa maison désormais sans fils (ou : les lieux où elle serait désormais sans enfant). Quand elle eut cessé d’errer ainsi, tout à coup je la vois qui se précipite dans la chambre d’Héraclès ; et, dissimulant mes yeux dans l’ombre, je montais la garde ; je vois sa femme qui sur le lit d’Héraclès jette et étale des couvertures. Quand elle eut fini ces préparatifs, elle bondit sur le lit, resta assise au milieu de la chambre conjugale et laissa couler un flot de larmes brûlantes. Elle dit alors : “ O lit, chambre nuptiale qui fut mienne, adieu à jamais, adieu pour toujours; car jamais plus vous ne m’accueillerez sur ce lit en épouse. Elle ne dit que cela. D’une main ferme, elle dégrafe sa robe que fixait une agrafe d’or travaillé au-dessus des seins, et dénuda tout son flanc et son bras gauche. Je partis, je courus, moi, aussi vite que le permettaient mes forces. Et j’explique à son fils ce qu’elle est en train de préparer. Le temps que nous nous précipitions d’un endroit à l’autre, nous la voyons qui d’un poignard à double tranchant s’est frappée au flanc sous le foie et le diaphragme. À sa vue, son fils se mit à gémir : il venait de comprendre, le malheureux, que sa colère avait tissé tout cet ouvrage ; il avait appris trop tard des gens de la maison que c’était sans le vouloir qu’elle avait  agi ainsi, inspiré par le monstre Le pauvre enfant ne cessait alors de se lamenter, de pleurer sur sa mère ; il ne cessait de se jeter sur sa bouche ; mais en étendant son flanc à côté du sien, il restait allongé perdu dans ses plaintes.

Sophocle, 
Les Trachiniennes, v. 900-939  

Session 2004

Xénophon, 
Helléniques, I, 7, 20-27

Corrigé proposé par le jury

Vous savez tous, Athéniens, que le décret de Cannônos garde toute sa vigueur : il stipule que quiconque est coupable d’un délit envers le peuple athénien, doit présenter séparément sa défense devant le peuple et, s’il est reconnu coupable, être exécuté et précipité dans le barathre ; quant à ses biens, ils doivent être confisqués au profit de l’État et la dîme doit revenir à la déesse. C’est en conformité avec ce décret que je demande que soient jugés les stratèges, et, oui par Zeus, si du moins vous en êtes d’accord, Périclès, mon parent, en premier, car j’éprouve de la honte à faire plus de cas de lui que de la cité tout entière. Si vous préférez ceci, jugez alors en conformité avec la loi suivante, qui concerne les voleurs sacrilèges et les traîtres : quiconque trahit la cité ou dérobe les objets consacrés doit être jugé dans un tribunal et, s’il est condamné, ne pas recevoir de sépulture en Attique; quant à ses biens, ils doivent revenir à l’État. Utilisez celle de ces deux lois que vous voulez, Athéniens, pour juger ces hommes un par un, après avoir divisé la journée en trois parties, une où vous devez vous réunir et procéder au vote sur cette question, que vous les pensiez ou non coupables, une autre pour l’accusation, une autre pour la défense. Si vous procédez ainsi, les coupables recevront le plus grand châtiment et les innocents seront acquittés par vous, Athéniens, loin de périr injustement. Quant à vous, c’est en faisant acte de piété et de fidélité à votre serment conformément à la loi que vous jugerez, sans vous faire, dans cette guerre, les alliés des Lacédémoniens en mettant à mort ceux qui leur ont enlevé soixante-dix navires et qui sont aujourd’hui vainqueurs, oui, en tuant ces hommes-là, sans jugement, au mépris de la loi. Que craignez-vous donc au juste pour agir avec tant de précipitation ? Craignez-vous de ne pas mettre à mort ou de ne pas acquitter qui vous voulez, si vous jugez en conformité avec la loi, au lieu de la transgresser, à l’instar de Callixénos qui a persuadé le Conseil de proposer au peuple une procédure selon un vote unique ? Peut-être que si vous faites périr quelqu’un même s’il n’est pas coupable, vous le regretterez. Souvenez-vous alors que se repentir trop tard est alors douloureux et inutile, surtout si votre erreur a été cause précisément de la mort d’un homme.

2003 : Dion Cassius, Histoire romaine, XLIV, 26-27

2002 : Euripide, Hécube, v. 254-290

2001 : Libanios, Discours 2, 47-52 (à partir Πῶς ἀδίκημα γίγνεται…)   

Corrigé proposé par le jury

Pourquoi faire un crime de la compassion pour les malheureux ? Pour moi, en effet, je vois un signe de bonté dans le fait non seulement de s’affliger des malheurs privés, mais aussi de faire la même chose pour ceux qui arrivent à autrui. Et je sais bien des gens qui non seulement s’apitoient sur leurs contemporains en cas de malheur, mais qui mouillent leurs livres de larmes à la lecture des tragédies. Pourquoi donc ne les vilipendez-vous pas, eux aussi ? Car il est bien facile de leur dire : « Que vous importent les enfants de Niobé? Ou qu’une fille de Cadmos ait tué son fils? Laïos est-il votre père ? Oedipe votre frère ? Hécube votre mère? Créon de Corinthe votre oncle? Glauke votre cousine?’ Dernièrement, n’ai-je pas donné autant de larmes à l’Hippolyte d’Euripide que si j’avais été présent pour voir son malheur ? Pourquoi donc ne me reproche-t-on pas d’être ému par des malheurs antérieurs à la guerre de Troie ? Quant à vous, par Zeus, lorsque l’on porte en terre des jeunes gens, que leurs pères les suivent, ne pleurez-vous pas en accompagnant le cortège, et cela bien qu’aucun lien familial ne vous y contraigne? Il serait donc normal que vous trouviez des gens pour vous blâmer. Et pourtant, vous avez été mis au rang des gens de bien par la famille à qui vous avez rendu cet hommage. Et s’il n’y a rien de criminel à pleurer un mort qui ne vous est rien, pourquoi est-ce criminel de le faire pour des gens vivants qui souffrent, ce qui est bien plus cruel que la mort ? Et s’il est normal d’être triste lorsqu’une cité est dans le malheur, pourquoi pas aussi lorsque c’est un peuple ? Et si on l’est d’un seul, pourquoi pas aussi de plusieurs ? Alors moi, qui aime que les gens compatissent à mes souffrances, fussent-ils parfaitement étrangers au monde de la rhétorique, ne serai-je pas coupable si je ne m’emploie pas à leur rendre la pareille? Nous ne sommes pas Chypriotes, et, on le dira sous la protection d’Adrastée, nous n’avons pas vu notre cité détruite par le tremblement de terre et pourtant ce n’était que gémissements et lamentations, et on pouvait entendre dans la bouche de beaucoup des « Hélas! cités, où donc êtes vous ?” ; et personne ne nous a reproché, alors qu’une si vaste étendue de mer nous sépare de cette île, de nous sentir concernés par ce malh

2000 : Platon, Lysis, 209d1-210c1 (jusqu’à … καθ’ ὅ τι ἂν δύνωνται) 

1999 : Eschyle, Les Suppliantes, v. 911-945

1998 : Démosthène, Contre Timocrate, 155-159 (jusqu’à … καὶ συναπολογήσεται)

1997 : Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, III, 13, 2 – 14, 2

1996 : Eschyle, Les Euménides, v. 881-915

1995 : Aristote, Politique, 1318b6-1319a4          

1994 : Euripide, Oreste, v. 1062-1097

1993 : Platon, Les Lois, 634d7-635d5

1992 : Démosthène, Contre la loi de Leptine, 7-10 (à partir de … ἔμοιγ’ οὐδ’ ἐκεῖν’ εὔλογον…)

1991 : Euripide, Héraclès, v. 60-98                             

1990 : Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, VI, 33, 1-6    

1989 : Platon, La République, I, 343d-344b