Cette page concerne l’écrit de la voie A/L du concours de l’ENS de Paris.

Les liens mènent vers les rapports du jury de cette épreuve, année après année, pour toutes les années où le rapport est disponible en version numérique, c’est-à-dire à partir de 2002. Les rapports du jury plus anciens sont disponibles à la Bibliothèque d’Ulm et sont parfois parcellaires pour les plus anciens.

Cette épreuve a changé de nature lors de la session 1992 (voir infra ad locum).

Même si c’est chose rare, très rare même, dans les thèmes d’Ulm, n’oubliez pas qu’il faut savoir traduire les titres (les titres donnés aux extraits, pas ceux des œuvres dont ils sont tirés !).

De nombreuses ressources pour le thème latin sont réunies sur cette page et un peu partout sur le site.

Le meilleur des conseils pour cette épreuve : lisez Cicéron et César ; révisez la grammaire à fond ; ayez foi en Gaffiot !

SUJETS

Session 1963

MNÉMOSYNE, MÈRE DES MUSES

Alain, Propos de littérature 

Session 1964

BIENFAISANCE ET LIBERTÉ

Jean-Jacques Rousseau,
Rêveries du promeneur solitaire, Quatrième promenade

Session 1965

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Session 1966

Chateaubriand, Les Martyrs

Session 1967 

Michel de Montaigne, Les Essais

Session 1968

LE BONHEUR ET LES PLAISIRS

Il est à remarquer qu’on ne voit rien de pur ni de sincère, qu’il y a du bien et du mal en toutes les choses de la vie, qu’il faut les prendre et les dispenser à notre usage, que le bonheur de l’un serait souvent le malheur de l’autre, et que la vertu fuit l’excès comme le défaut. Peut-être qu’Aristide l’Athénien et Socrate n’étaient que trop vertueux, et qu’Alcibiade et Phédon ne l’étaient pas assez ; mais je ne sais si, pour vivre content et comme un honnête homme du monde, il ne vaudrait pas mieux être Alcibiade et Phédon qu’Aristide ou Socrate.

Quantité de choses sont nécessaires pour être heureux, mais une seule suffit pour être à plaindre ; et ce sont les plaisirs de l’esprit et du corps qui rendent la vie douce et plaisante, comme les douleurs de l’un et de l’autre la font trouver dure et fâcheuse. Le plus heureux homme du monde n’a jamais tous ces plaisirs à souhait. Les plus grands de l’esprit, autant que j’en puis juger, c’est la véritable gloire et les belles connaissances, et je prends garde que ces gens-là ne les ont que bien peu, qui s’attachent beaucoup aux plaisirs du corps.

Chevalier de Méré

Session 1969

Albert Camus, L’Homme révolté 

Session 1970

Bossuet, Discours sur l’histoire universelle

Session 1971 

Gaston Boissier, Cicéron et ses amis

Session 1972

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Session 1973

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Session 1974

Abbé de Rancé, Lettre de M. de Blancas

Session 1975

RÉACTIONS AU PREMIER RECUL DE LA PESTE (1)

Quoique cette brusque retraite de la maladie fût inespérée, nos concitoyens ne se hâtèrent pas de se réjouir. Les mois qui venaient de passer, tout en augmentant leur désir de libération, leur avaient appris la prudence et les avaient habitués à compter de moins en moins sur une fin prochaine de l’épidémie. Cependant, ce fait nouveau était sur toutes les bouches, et, au fond des cours, s’agitait un grand espoir inavoue. Tout le reste passait au second plan. Les nouvelles victimes de la peste pesaient bien peu auprès de ce fait exorbitant : les statistiques avaient baissé. Un des signes que l’ère de la santé, sans être ouvertement espérée, était cependant attendue en secret, c’est que nos concitoyens parlèrent volontiers dès ce moment, quoique avec les airs de l’indifférence, de la façon dont la vie se réorganiserait après la peste.

Tout le monde était d’accord pour penser que les commodités de la vie passée ne se retrouveraient pas d’un coup et qu’il était plus facile de détruire que de reconstruire. On estimait simplement que le ravitaillement lui-même pourrait être un peu amélioré, et que, de cette façon, on serait débarrassé du souci le plus pressant. Mais, en fait, sous ces remarques anodines, un espoir insensé se débridait du même coup et à tel point que nos concitoyens en prenaient parfois conscience et affirmaient alors, avec précipitation, qu’en tout état de cause, la délivrance n’était pas pour le lendemain.

Et, en effet, la peste ne s’arrêta pas le lendemain, mais, en apparence, elle s’affaiblissait plus vite qu’on n’eût pu raisonnablement l’espérer.

Albert Camus, La Peste

(1) Ne pas traduire le titre.

Session 1976

CONSOLATION DE SÉNÈQUE LE PHILOSOPHE
À LAZARE LE RESSUSCITÉ

Mon cher Lazare,

Aux dernières fêtes de Néron, votre air soucieux a été remarqué.

Je sais que des personnes de votre famille désirent vous entraîner sur les côtes de la Gaule, où elles comptent prendre une attitude insigne dans le nouveau mouvement d’esprit. La détermination est grave.

Vous ne m’avez pas caché le culte que vous gardez à la mémoire de votre malheureux ami, et, d’après sa biographie que vous m’avez com-muniquée, je me rends parfaitement compte qu’il dut avoir beaucoup d’autorité : il était complètement désintéressé, puis il aimait les misérables, ce qui est divin. Il m’eût un peu choqué par sa dureté envers les puissants; en outre, je ne puis guère aimer ceux sur qui je n’ai pas de prise, ces amis frottés d’huile qui me possèdent et que je ne possède pas. Avec ces réserves, je comprends que vous l’aimiez beaucoup, d’autant qué c’est pour vous une façon de monopole. Vous avez en effet sur la plupart de ses fidèles cette supériorité d’avoir été mêlé ei intimement à sa vie qu’en l’exaltant c’est encore vous que vous haussez.

Vous le voyez, mon cher Lazare, je me représente d’une façon très précise l’intéressant état de votre âme à l’égard de Jésus : vous l’aimez.

La question est de savoir si vous voulez conformer vos actes à votre sentiment.

Confesserez-vous que sa vie et sa doctrine sont les meilleures qu’on ait vues ? Lui chercherez-vous des disciples, ou vous contenterez-vous de le servir passionnément dans votre sanctuaire intérieur ? Telle est la position exacte de votre débat. Il vous faut peser si ce vous sera un mode de vie plus abondant en voluptés de partir avec Mesdemoiselles vos sœurs pour être fanatique, en Gaule, ou de demeurer à faire de l’ironie et du dilettantisme avec Néron.

Que vous restiez dans cette cour trop cultivée ou partiez vers des régions mal civilisées, de vous à moi, dans l’un ou l’autre cas, ça pourra mal finir.

Maurice Barrès, Le Jardin de Bérénice

Session 1977

RÉVÉLATIONS D’UN HABITANT DE LA LUNE (1)

Enfin le ciel, fléchi de mes douleurs, voulut qu’un jour, comme j’étais attaché au bout d’une corde, avec laquelle le charlatan me faisait sauter pour divertir le badaud, un de ceux qui me regardaient, après m’avoir considéré fort attentivement, me demanda en grec qui j’étais. Je fus bien étonné d’entendre là parler comme en notre monde. Il m’interrogea quelque temps ; je lui répondis, et lui contai ensuite généralement toute l’entreprise et le succès de mon voyage.

Il me consola, et je me souviens qu’il me dit : « Eh bien, mon fils, vous portez enfin la peine des faiblesses de votre monde. Mais sachez qu’on ne vous traite qu’à la pareille, et que, si quelqu’un de cette terre avait monté dans la vôtre avec la hardiesse de se dire un homme, vos docteurs le feraient étouffer comme un monstre ou comme un singe possédé du diable. »

Il ajouta qu’aussitôt qu’il m’avait envisagé, le cœur lui avait dit que j’étais un homme, parce qu’il avait autrefois voyagé au monde dont je venais ; que mon pays était la lune, que j’étais Gaulois et qu’il avait demeuré en Grèce ; qu’on l’appelait le démon de Socrate, qu’il avait, depuis la mort de ce philosophe, gouverné et instruit, à Thèbes, Épaminondas, qu’ensuite, étant passé chez les Romains, la justice l’avait attaché au parti du jeune Caton ; puis, qu’après son trépas, il s’était donné à Brutus ; que tous ces grands personnages n’ayant rien laissé au monde à leurs places que l’image de leur vertu, il s’était retiré avec ses compagnons dans les temples, tantôt dans les solitudes.

Cyrano de Bergerac, Voyage dans la lune

(1) Traduire le titre.

Session 1978

SÉNÈQUE DEVAIT-IL SE RETIRER APRÈS LE MEURTRE D’AGRIPPINE ? (1)

Sénèque fut appelé à la cour de Néron sur l’éclat de ses talents et de ses vertus, par une femme ambitieuse qui avait à se réconcilier avec la nation, et à qui toute la rigidité des principes du philosophe était mal connue, ou qui s’était promis de la briser. Lorsqu’il cessa d’être l’instituteur du souverain, il en devint le ministre. Il ne se hâta point de désespérer d’un jeune prince qu’il avait placé, et qu’il se promettait de ramener au rang des grands souverains. Qui est-ce qui ignore que le véritable attachement a sa source dans les soins qu’on a pris et dans les services qu’on a rendus ? Le cœur d’un instituteur vertueux pour son élève est le même que celui d’un père pour son enfant ; et si l’élève est empereur, s’il tient en ses mains le bonheur et le malheur de l’univers, un crime, j’ose en faire la question, le plus grand des crimes, amené par un fatal enchainement de circonstances où il faut qu’une mère périsse par son fils, ou le fils par sa mère, suffira-t-il pour affranchir l’instituteur de ses fonctions, le ministre de ses devoirs ? Je vois l’homme honnête et sensible se désoler, s’éloigner, tourner ses regards en arrière, s’arrêter, revenir sur ses pas, et craindre de se retirer trop tôt. L’homme pénétrant sent l’importunité de sa présence et de ses conseils; l’homme ferme garde son poste, voit approcher sa perte et la brave.

Denis Diderot, Essai sur les règnes de Claude et de Néron

(1) Traduire le titre.

Session 1979

SI L’ON PEUT DISPOSER DE SA VIE (1)

C’est un des sophismes du Phédon, rempli d’ailleurs de vérités sublimes. Si ton esclave se tuait, dit Socrate à Cébès, ne le punirais-tu pas, s’il t’était possible, pour t’avoir injustement privé de ton bien ? Bon Socrate, que nous dites-vous ? N’appartient-on plus à Dieu quand on est mort ? Ce n’est point cela du tout, mais il fallait dire : si tu charges ton esclave d’un vêtement qui le gêne dans le service qu’il te doit, le puniras-tu d’avoir quitté cet habit pour mieux faire son service ? Notre vie n’est rien aux yeux de Dieu; elle n’est rien aux yeux de la raison, elle ne doit rien être aux nôtres, et quand nous laissons notre corps, nous ne faisons que poser un vêtement incommode. Est-ce la peine d’en faire un si grand bruit ? Milord, ces déclamateurs ne sont pas de bonne foi.

Quant au Phédon qui leur a fourni le seul argument spécieux qu’ils aient jamais employé, cette question n’a été traitée que très légèrement et comme en passant. Socrate condamné par un jugement inique à perdre la vie dans quelques heures, n’avait pas besoin d’examiner bien attentivement s’il lui était permis d’en dis-poser. En supposant qu’il ait tenu réellement les discours que Platon lui fait tenir, croyez-moi, Milord, il les eût médités avec plus de soin dans l’occasion de les mettre en pratique; et la preuve qu’on ne peut tirer de cet immortel ouvrage aueune objection contre le droit de disposer de sa propre vie, c’est que Caton le lut par deux fois tout entier, la nuit même qu’il quitta la terre.

Jean-Jacques Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse,
troisième partie, lettre XXI, de Saint-Preux à Milord Édouard.

(1) Traduire le titre.

Session 1980

LE MEILLEUR ROI EST-IL CONQUÉRANT OU PACIFIQUE ? (1)

Pour la troisième question, on demanda lequel des deux est préférable, d’un côté un roi conquérant et invincible dans la guerre, de l’autre un roi sans expé rience de la guerre, mais propre à polices sagement les peuples dans la paix.

La plupart répondirent que le roi invincible dans la guerre était préférable. « À quoi sert, disaient-ils, d’avoir un roi qui sache bien gouverner en paix, s’il ne sait pas défendre le pays quand la guerre vient ? Les ennemis le vaincront et réduiront son peuple en servitude. » D’autres soutenaient, au contraire, que le roi pacifique serait meilleur, parce qu’il craindrait la guerre, et l’éviterait par ses soins. D’autres disaient qu’un roi conquérant travaillerait à la gloire de son peuple aussi bien qu’à la sienne, et qu’il rendrait ses sujets maîtres des autres nations, au lieu qu’un roi pacifique les tiendrait dans une honteuse lâcheté.

On voulut savoir mon sentiment. Je répondis ainsi :

« Un roi qui ne sait gouverner que dans la paix ou dans la guerre, et qui n’est pas capable de conduire son peuple dans ces deux états, n’est qu’à demi roi. Mais si vous comparez un roi qui ne sait que la guerre à un roi sage qui, sans savoir la guerre, est capable de la sontenir dans le besoin par ses généraux, je le trouve préférable à l’autre. Un roi entièrement tourné à la guerre voudrait toujours la faire : pour étendre sa domination et sa gloire propre il ruinerait ses peuples. À quoi sert-il à un peuple que son roi subjugue d’autres nations, si on est malheureux sous son règne ? D’ailleurs les longues guerres entraînent toujours après elles beaucoup de désordres : les victorieux mêmes se dérèglent pendant ces temps de confusion. »

Fénelon,
Les Aventures de Télémaque, livre V

(1) Traduire le titre.

Session 1981

POURQUOI REFUSER LE RÉALISME DANS LES TRAGÉDIES MODERNES,
SI ON L’ACCEPTE DANS CELLES DES ANCIENNES ? (1)

Je vous répondrai qu’il faut être conséquent, et que, quand on se révolte contre ce spectacle, il ne faut pas souffrir qu’Œdipe se montre avec ses yeux crevés, et qu’il faut chasser de la scène Philoctète tourmenté de sa blessure, et exhalant sa douleur par des cris inarticulés. Les anciens avaient, ce me semble, une autre idée de la tragédie que nous, et ces anciens-là, c’étaient les Grecs, c’étaient les Athéniens, ce peuple si délicat, qui nous a laissé en tout genre des modèles que les autres nations n’ont point encore égalés. Eschyle, Sophocle, Euripide ne veillaient pas des années entières pour ne produire que de ces petites impressions passagères qui se dissipent dans la gaieté d’un souper. Ils voulaient profondément attrister sur le sort des malheureux ; ils voulaient, non pas amuser seulement leurs concitoyens, mais les rendre meilleurs. Avaient-ils tort ? Avaient-ils raison ? Pour cet effet, ils faisaient courir sur la scène les Euménides suivant la trace du parricide, et conduites par la vapeur du sang qui frappait leur odorat.

Ils avaient trop de jugement pour applaudir à ces imbroglios, à ces escamotages de poignards, qui ne sont bons que pour des enfants. Une tragédie n’est, selon moi, qu’une belle page historique qui se partage en un certain nombre de repos marqués.

Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien,
(Pléiade, p. 1032-1033) (2)

(1) Traduire le titre.
(2) À ne pas traduire.

Session 1982

ÉLOGE DE PAUVRETÉ

BERNAL. — Comme si, bien avant Grenade, on n’aimait pas l’or !

ALVARO. — On aimait l’or parce qu’il donnait le pouvoir et qu’avec le pouvois on faisait de grandes choses. Maintenant on aime le pouvoir parce qu’il donne l’or et qu’avec cet or on en fait de petites.

BERNAL. — À tort et à travers vous simplifiez tout cela.

ALVARO. — J’ai été élevé à apprendre qu’il faut volontairement faire le mauvais marche. Qu’il ne faut pas se baisser pour ramasser un trésor, même si c’est de votre main qu’il s’est échappé. Qu’il ne faut jamais étendre le bras pour prendre quelque chose. Que c’est cela, et peut-être cela plus que tout, qui est signe de noblesse. J’ai la douleur d’entendre dire qu’à l’heure où l’aigle du roi Charles n’a de serres que pour aller chercher de l’or, fût-ce dans des entrailles humaines, c’est chez les Indiens qu’on retrouve cette haute et sainte indifférence à l’égard des choses d’ici-bas.

BERNAL. — Il ne faut pas céder son bien avec trop de facilité; il y a là autant d’amour de soi que si on le disputait Aprement. Et puis, celui qui n’aime pas l’argent est méprisé. C’est ansi.

ALVARO. — Pour moi, il y a quinze ans que Dieu m’a fait cette grâce particulière, de me rendre pauvre. Mais ce n’est rien ; je veux être plus pauvre encore.

Non, vous ne me ravirez pas ma pauvreté ! Déja je vis dans une distraction perpétuelle de l’unique nécessaire.

Henry de Montherlant, Le Maître de Santiago

Session 1983

RÉPONSE A L’ACCUSATION D’HYPOCRISIE (1)

Je n’ai pas, il est vrai, cette foi dont j’entends se vanter tant de gens d’une probité si médiocre, cette foi robuste qui ne doute jamais de rien, qui croit sans façon tout ce qu’on lui présente à croire, et qui met à part ou dissimule les objections qu’elle ne sait pas résoudre. Je n’ai pas le bonheur de voir dans la révélation l’évidence qu’ils y trouvent, et si je me détermine pour elle, c’est parce que mon cœur m’y porte, qu’elle n’a rien que de consolant pour moi, et qu’à la rejeter les difficultés ne sont pas moindres ; mais ce n’est pas parce que je la vois démontrée, car très sûrement elle ne l’est pas à mes yeux. Je ne suis même pas assez instruit à beaucoup près pour qu’une démonstration qui demande un si profond savoir, soit jamais à ma portée. N’est-il pas plaisant que moi qui propose ouvertement mes objections et mes doutes, je sois l’hypocrite, et que tous ces gens si décidés, qui disent sans cesse croire fermement ceci et cela, que ces gens si sûrs de tout, sans avoir pourtant de meilleures preuves que les miennes, que ces gens, enfin, dont la plupart ne sont guère plus savants que moi, et qui, sans lever mes difficultés, me reprochent de les avoir proposées, soient les gens de bonne foi ? Pourquoi serais-je un hypocrite, et que gagnerais-je à l’être ? J’ai attaqué tous les intérêts particuliers, j’ai suscité contre moi tous les partis, je n’ai soutenu que la cause de Dieu et de l’humanité, et qui est-ce qui s’en soucie? Ce que j’en ai dit n’a pas même fait la moindre sensation, et pas une âme ne m’en a su gré.

Jean-Jacques Rousseau, Lettre à C. de Beaumont, Archevêque de Paris (2),
édition de la Pléiade, p. 963.

(1) Traduire le titre.
(2) À ne pas traduire.

Session 1984

Le 26 mai. Pourquoi m’inquiéter en me demandant sans cesse : que ferai-je de ma vie ? Je l’ai appliquée à bien des choses, et elle n’a eu de prise sur aucune ; avec une apparence d’aptitude, je demeure inutile et je souffre dans une position presque sans ressource. Mais qui sait si, tout superflu que je semble dans la société, Dieu ne soutire pas de moi quelque bien que j’ignore, s’il ne m’a pas donné à l’insu de moi-même quelque vertu, quelque influence secrète pour le bien des hommes ? Toutes les fois que je serai poursuivi par cette fatale pensée de mon inutilité et de mon impuissance, je me réfugierai dans celle-ci : que la Providence tire de moi quelque profit et me fait servir à un usage caché, n’exigeant de moi que mon consentement et ma foi à cette mission qu’elle n’a pas voulu me révéler. Par cet acquiescement de ma volonté, je féconde le bien imperceptible que j’accomplis, j’y sème des mérites qui germeront secrètement et fleuriront en récompenses célestes dans les champs d’un monde meilleur. Les voies qui mènent les créatures de la terre au ciel ne se ressemblent pas : quelques unes paraissent s’écarter étrangement, qui néanmoins aboutissent au centre commun ; chacune a ses détours, ses coudes, ses dédales mystérieux. Peut-être, parmi tous les chemins que suivent les hommes, y en a-t-il un plus grand nombre qu’on n’a coutume de le croire, qui débouchent dans le ciel, mais je suis persuadé que tous sont difficiles.

Maurice de Guérin, Le Cahier vert

N. B. Ne pas omettre de traduire la date.

Session 1985

BÉRÉNICE

Hé bien ! régnez, cruel ; contentez votre gloire ;
Je ne dispute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D’un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien; et pour jamais, adieu.
Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus !
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts.

TITUS

Je n’aurai pas, Madame, à compter tant de jours.
J’espère que bientôt la triste Renommée
Vous fera confesser que vous étiez aimée.
Vous verrez que Titus n’a pu sans expirer… (1)

BÉRÉNICE

Ah ! Seigneur, s’il est vrai, pourquoi nous séparer ?
Je ne vous parle point d’un heureux hyménée :
Rome à ne vous plus voir m’a-t-elle condamnée ?
Pourquoi m’enviez-vous l’air que vous respirez ?

Jean Racine, Bérénice, acte IV, scène 5

(1) La phrase est suspendue dans le texte de Racine.

Session 1986

Le sentiment qui résulta pour moi de ces visions et des réflexions qu’elles amenaient pendant mes heures de solitude était si triste, que je me sentais comme perdu. Toutes les actions de ma vie m’apparaissaient sous leur côté le plus défavorable, et dans l’espèce d’examen de conscience auquel je me livrais, la mémoire me représentait les faits les plus anciens avec une nettete singulière. Je ne sais quelle fausse honte m’empêcha de me présenter 5 au confessionnal; la crainte peut-être de m’engager dans les dogmes et dans les pratiques d’une religion redou-table, contre certains points de laquelle j’avais conservé des préjugés philosophiques. Mes premières années ont été trop imprégnées des idées issues de la Révolution, mon éducation a été trop libre, ma vie trop errante, pour que j’accepte facilement un joug qui, sur bien des points, offenserait encore ma raison. Je fremis en songeant quel chrétien je ferais si certains principes empruniés au libre examen des deux derniers siècles, si l’étude encore 10 des diverses religions ne m’arrêtaient sur cette pente. Je n’ai jamais connu ma mère, qui avait voulu suivre mon pere aux armées, comme les femmes des anciens Germains; elle mourut de fièvre et de fatigue dans une froide contrée de l’Allemagne, et mon père lui-même ne put diriger là-dessus mes premières idées.

Gérard de Nerval, Aurélia, Deuxième partie, IV

Session 1987

Je vous l’ai dit : depuis ma maladie, la connaissance abstraite et neutre du passé me semblait vaine, et si naguère j’avais pu m’occuper à des recherches philologiques, m’attachant par exemple à préciser la part de l’influence gothique dans la déformation de la langue latine, et négligeant, méconnaissant les figures de Théodoric, de Cassiodore, d’Amalasonthe et leurs passions admirables pour ne m’exalter plus que sur des signes et sur le résidu de leur vie, à présent ces mêmes signes, et la philologie tout entière, ne m’étaient plus que comme un moyen de pénétrer mieux dans ce dont la sauvage grandeur et la noblesse m’apparurent. Je résolus de m’occuper de cette époque davantage, de me limiter pour un temps aux dernières années de l’empire des Goths, et de mettre à profit notre prochain passage à Ravenne, theâtre de son agonie.

Mais, l’avouerai-je, la figure du jeune roi Athalaric était ce qui m’y attirait le plus. J’imaginais cet enfant de quinze ans, sourdement excité par les Goths, se révolter contre sa mère Amalasonthe, regimber contre son éducation latine, rejeter la culture comme un cheval entier fait un harnais gênant, et, préférant la société des Goths impolicés à celle du trop sage et vieux Cassiodore, goûter quelques années, avec de rudes favoris de son âge, une vie violente, voluptueuse et débridée, pour mourir à dix-huit ans, tout gâté, soûlé de débauches.

André Gide, L’Immoraliste
(Première partie, chap. IX)

Théodoric : Theodoricus, i, m.
Cassiodore : Cassiodorus, i, m.
Amalasonthe : Amalasuntha, ae, f.
Athalaric : Athalaricus, i, m.

Session 1988

Buffon, sur le cygne.

Session 1989

DE LA PRATIQUE DES ARTS

Tu dis que les fondateurs des empires ont presque toujours ignoré les arts. Je ne te nie pas que des peuples barbares n’aient pu, comme des torrents impétueux, se répandre sur la terre et couvrir de leurs armées féroces les royaumes les mieux policés. Mais, prends-y garde, ils ont appris les arts, ou les ont fait exercer aux peuples vaincus ; sans cela leur puissance aurait passé comme le bruit du tonnerre et des tempêtes. Tu crains, dis-tu, que l’on n’invente quelque manière de destruction plus cruelle que celle qui est en usage. Non : si une fatale invention venait à se découvrir, elle serait bientôt prohibée par le droit des gens, et le consentement unanime des nations ensevelirait cette découverte… Tu crois que les arts amollissent les peuples, et par là sont cause de la chute des empires. Tu parles de la ruine de celui des anciens Perses, qui fut l’effet de leur mollesse ; mais il s’en faut bien que cet exemple décide, puisque les Grecs, qui les subjuguèrent, cultivaient les arts avec infiniment plus de soin qu’eux. Quand on dit que les arts rendent les hommes efféminés, on ne parle pas du moins des gens qui s’y appliquent, puisqu’ils ne sont jamais dans l’oisiveté qui, de tous les vices, est celui qui amollit le plus le courage. Il n’est donc question que de ceux qui en jouissent. Mais, comme dans un pays policé ceux qui jouissent des commodités d’un art sont obligés d’en cultiver un autre, à moins que de se voir réduits à une pauvreté honteuse, il s’ensuit que l’oisiveté et la mollesse sont incompatibles avec les arts.

Montesquieu, Lettres persanes, CVII.

Session 1990

À QUOI SERVENT LES COMÈTES

On peut voir par là qu’une même comète a servi à plusieurs fins. Auguste par des vues de politique fut bien aise qu’on crût que c’était l’âme de César; car c’était un grand avantage pour son parti de croire qu’on poursuivait les meurtriers d’un homme qui était alors parmi les dieux. C’est la raison pourquoi il fit bâtir un temple à cette comète et déclara publiquement qu’il la regardait comme un très heureux présage. Ceux qui étaient dans son parti et qui n’avaient pas assez de crédulité pour se persuader ces conversions d’âmes en étoiles croyaient a tout le moins, ou faisaient accroire aux autres, que les dieux témoignaient par cette comète combien ils étaient en colère contre Brutus et Cassius. Ceux qui étaient encore républicains dans l’âme disaient au contraire que les dieux témoignaient par là combien ils désapprouvaient qu’on n’appuyât pas le parti des libérateurs de la patrie ; qui sans doute ne s’oubliaient pas de leur côté pour mettre à quelque usage cette comète selon la superstition d’alors. Enfin les poètes trouvaient là, non seulement de quoi faire de magnifiques descriptions, et de quoi intéresser toute la nature à la gloire de leur héros déifié, mais aussi de quoi flatter leur héros vivant, ce qui était le bon de l’affaire… Voyez le dernier chapitre des Métamorphoses d’Ovide, vous y verrez que si César a été élevé au rang des dieux. il en a l’obligation au mérite de son successeur qu’il avait adopté. autant qu’à son mérite propre.

Pierre Bayle, Pensées diverses sur la Comète,
Société des textes français modernes, Nizet, t. I, p. 213-214

Session 1991

UNE MYSTÉRIEUSE OCCUPATION

Puisque vous êtes maintenant à Paris, il faut que je vous demande ma part du temps que vous avez résolu d’y perdre à l’entretien de ceux qui vous iront visiter, et que je vous die que depuis deux ans que je suis dehors, je n’ai pas été une seule fois tenté d’y retourner, sinon depuis qu’on m’a mandé que vous y étiez. Mais cette nouvelle m’a fait connaitre que je pourrais être maintenant quelque part plus heureux que je ne suis ici; et si l’occupation qui m’y retient n’était, selon mon petit jugement, la plus importante en laquelle je puisse jamais être employe. la seule espérance d’avoir l’honneur de votre conversation, et de voir naître naturellement devant moi ces fortes pensées que nous admirons dans vos ouvrages, serait suffisante pour m’en faire sortir. Ne me demandez point. s’il vous plaît, quelle peut être cette occupation que j’estime si importante, car j’aurais honte de vous la dire: je suis devenu si philosophe, que je méprise la plupart des choses qui sont ordinairement estimées, et en estime quelques autres, dont on n’a point accoutumé de faire cas. Toutefois, parce que vos sentiments sont fort éloignés de ceux du peuple, et que vous m’avez souvent témoigné que vous jugiez plus favorablement de moi que je ne méritais. je ne laisserai pas de vous en entretenir plus ouvertement quelque jour, si vous ne l’avez point desagréable.

René Descartes, Lettre à Guez de Balzac (26 mars 1631)

Session 1992

Depuis cette session, et jusqu’à aujourd’hui, l’épreuve spécifique des optionnaires de lettres classiques consiste en une version latine suivie d’un court thème latin (d’abord en 4h puis en 5h). Auparavant, il leur fallait se frotter à un long thème latin (cf. ci-dessus), d’un côté, et à une version grecque, de l’autre, outre la version latine dite « commune ».

Il est si ordinaire à l’homme de n’être pas heureux, et si essentiel à tout ce qui est un bien d’être acheté par mille peines, qu’une affaire qui se rend facile devient suspecte. L’on comprend à peine, ou que ce qui coûte si peu puisse nous être fort avantageux, ou qu’avec des mesures justes l’on doive si aisément parvenir à la fin que l’on se propose.

La Bruyère, Les Caractères, XI, 21

Session 1993

La douleur matérielle est ce qu’on sent le moins dans les atteintes de la fortune, et quand les infortunés ne savent à qui s’en prendre de leurs malheurs, il s’en prennent à la destinée qu’ils personnifient et à laquelle lis prêtent des yeux et une intelligence pour les tourmenter à dessein. C’est ainsi qu’un joueur dépité par ses pertes se met en fureur sans savoir contre qui.

Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire

Session 1994

Elle faisait souvent à sa fille des peintures de l’amour; elle lui montrait ce qu’il a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements; et elle lui faisait voir, d’un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme.

Madame de Lafayette

Session 1995

Mon compagnon ne me conta pas cette nuit-là tout ce qui lui était arrivé sur la route. Et même lorsquil se fut décidé à me tout confier, durant des jours de détresse dont je reparlerai ce resta longtemps le grand secret de nos adolescences. Mais aujourd’hui que tout est fini, maintenant qu’il ne reste plus que poussière « de tant de mal , de tant de bien », je puis raconter son étrange aventure.

Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes

Session 1996

J’ai beau lire les philosophes, et chercher à me soulager par cette froide et muette conversation, j’éprouve, comme l’écrit un grand roi, que les maladies de l’âme n’ont point d’autres remèdes que les palliatifs, et je finis par répéter tristement ce que disent ces philosophes, que le vrai soulagement à nos peines, c’est l’espoir de n’avoir plus qu’un moment à vivre et à souffrir.

D’Alembert, Sur la tombe de Mademoiselle de Lespinasse

Session 1997

La présomption est un des grands vices qu’un homme puisse avoir dans les charges publiques, et, si l’humilité n’est requise en ceux qui sont destinés à la conduite des États, la modestie leur est tout à fait nécessaire, étant certain que plus un Esprit est grand, moins se trouve-t-il quelquefois capable de Société et de Conseil, qualités sans lesquelles ceux-mêmes à qui la nature a donné plus de lumières, sont peu propres au gouvernement.

Cardinal de Richelieu,
Testament politique, « Le conseil du prince »

Session 1998

Il nous importe sûrement fort peu qu’un homme ait été méchant ou juste il y a deux mille ans ; et cependant, le même intérêt nous affecte dans l’histoire ancienne que si tout cela s’était passé de nos jours. Que me font à moi les crimes de Catilina ? Ai-je peur d’être sa victime ? Pourquoi donc ai-je la même horreur de lui que s’il était mon contemporain ?

Jean-Jacques Rousseau, Émile, IV

Session 1999

On peut, dans une satire, montrer l’homme tant qu’on voudra du mauvais côté, mais, pour peu qu’on se serve de sa raison, on avouera que, de tous les animaux, l’homme est le plus parfait, le plus heureux, et celui qui vit le plus lonstemps. Au lieu de nous étonner et de nous plaindre du malheur et de la brièveté de la vie, nous devons nous étonner et nous féliciter de notre bonheur et de sa durée.

Voltaire, 25e Lettre philosophique

Session 2000

Je lui demandai en quoi consistait l’autorité du roi, et il me répondit : « Il peut tout sur les peuples, mais les lois peuvent tout sur lui. Il a une puissance absolue pour faire le bien, et les mains liées dès qu’il veut faire le mal. Les lois lui confient les peuples comme le plus précieux de tous les dépôts, à condition qu’ il sera le père de ses sujets. »

Fénelon, Les Aventures de Télémaque

Session 2001

Nous voyons dans le genre humain beaucoup de choses très mauvaises, quoiqu’on ne puisse nier qu’elles ne soient le pur ouvrage de la nature. Le moyen de s’assurer qu’une chose vient de la nature et non pas de l’éducation, est de voir qu’elle est générale parmi les hommes, quoique l’éducation l’ait traversée autant qu’elle a pu, et de savoir certainement que tous les efforts de l’éducation seraient incapables de la supprimer.

Pierre Bayle, Réponse aux questions d’un provincial

Session 2002

Lorsqu’on met sur la scène une simple intrigue d’amour entre des rois, et qu’ils ne courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur État, je ne crois pas que, bien que les personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie. Sa dignité demande quelque grand intérêt d’État, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour, telles que sont l’ambition ou la vengeance.

Corneille, Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique

Session 2003

Parmi toutes les grandeurs du monde, il n’y a rien de si éclatant qu’un jour de triomphe ; et j’ai appris de Tertullien que ces illustres triomphateurs de l’ancienne Rome marchaient avec tant de pompe, que, de peur qu’étant éblouis d’une telle magnificence, ils ne s’élevassent enfin au-dessus de la condition humaine, un esclave qui les suivait avait charge de les avertir qu’ils étaient hommes.

Bossuet, Sermon sur les devoirs des Rois

Session 2004

Une plus belle ressource pour le favori disgracié que de se perdre dans la solitude et ne faire plus parler de soi, c’est de se jeter, s’il se peut, dans quelque haute et généreuse entreprise, qui relève ou confirme du moins son caractère, et rende raison de son ancienne faveur : qu’il fasse qu’on le plaigne dans sa chute et qu’on en rejette une partie sur son étoile.

La Bruyère, Les Caractères, « Du souverain »

Session 2005

Un des principaux fruits de l’étude des empires et de leurs révolutions est d’examiner comment les hommes, séparés, pour ainsi dire, en plusieurs grandes familles, ont formé diverses sociétés ; comment ces sociétés ont cherché à se distinguer les unes des autres tant par les lois qu’elles se sont données que par les signes particuliers que chacune a imaginés pour que ses membres communiquent plus facilement ensemble.

D’Alembert, Discours préliminaire à l’Encyclopédie

Session 2006

Personne n’est ni tranquille, ni sage, ni bon, ni heureux, qu’autant qu’il connaît son instinct et le suit bien fidèlement. Que ceux qui sont nés pour l’action suivent hardiment le leur ; l’essentiel est de faire bien. S’il arrive qu’après cela le mérite soit méconnu et le bonheur seul honoré, il faut pardonner à l’erreur : les hommes ne sentent les choses qu’au degré de leur esprit.

Vauvenargues, Réflexions sur divers sujets

Session 2007

Le mépris des richesses était pour les philosophes un désir caché de venger leur mérite de l’injustice de la fortune, par le mépris des mêmes biens dont elle les privait ; c’était un secret pour se garantir de l’avilissement de la pauvreté ; c’était un chemin détourné pour aller à la considération, qu’ils ne pouvaient avoir pour les richesses.

La Rochefoucauld, Maxime 57

Session 2008

L’histoire vous a fait connaître par une longue suite de faits en quoi consiste le bonheur des états ; mais ce n’est point là le seul avantage que vous en retirerez. Elle vous apprendra encore par quels moyens et avec quel art on peut établir les bons principes chez un peuple qui les a toujours ignorés ou qui les a abandonnés.

Condillac, De l’étude de l’histoire, III, 3

[Quelle idée de ne pas mettre de majuscule à État !]

Session 2009

Conseils d’une mère à sa fille (1)

Elle faisait souvent à sa fille des peintures de l’amour ; elle lui montrait ce qu’il a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements et quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme.

Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves

(1) Traduire le titre.

Session 2010

Plus un déclamateur ferait d’efforts pour m’éblouir par les prestiges de son discours, plus je me révolterais contre sa vanité. Son empressement pour me faire admirer son esprit me paraîtrait le rendre indigne de toute admiration. Je cherche un homme sérieux qui me parle pour moi et non pour lui ; qui veuille mon salut et non sa vaine gloire.

Fénelon, Lettre à l’Académie

Session 2011

Sans désintéressement, point de vertu. Je demandais à un berger pourquoi ses chiens étaient si fidèles : c’est, me dit-il, parce qu’ils ne vivent que de pain. Si je les avais nourris de chair, ils seraient des loups. Je fus frappé de sa réponse. En général, mes amis, la plus sûre façon de réprimer les vices, c’est de restreindre les besoins.

Marmontel, Bélisaire, 13

Session 2012

Si mon dessein était d’écrire pour le public, je choisirais un sujet plus intéressant que celui de ma vie ; mais comme ce n’est que pour ma famille et mes amis, je crois que je ne puis rien faire de plus agréable pour eux et de plus commode pour moi, que de leur raconter naïvement les divers événements qui me sont arrivés.

Henri de Campion, Mémoires

Session 2013

Peu de gens se souviennent d’avoir été jeunes, et combien il leur était difficile d’être chastes et tempérants. La première chose qui arrive aux hommes après avoir renoncé aux plaisirs, ou par bienséance, ou par lassitude, ou par régime, c’est de les condamner dans les autres. Il entre dans cette conduite une sorte d’attachement pour les choses mêmes que l’on vient de quitter.

La Bruyère, Les Caractères

Session 2014

Il y avait parmi eux (1) une dame du pays, à qui je demandai si elle avait mangé des hommes ; elle me répondit très naïvement qu’elle en avait mangé. Je parus un peu scandalisé ; elle s’excusa en disant qu’il valait mieux manger son ennemi mort que de le laisser dévorer aux bêtes, et que les vainqueurs méritaient d’avoir la préférence.

Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « Anthropophages »

(1) Il s’agit de « quatre sauvages du Mississipi », amenés à Fontainebleau.

Session 2015

J’ai vu des gens chez qui la vertu était si naturelle qu’elle ne se faisait pas même sentir : ils s’attachaient à leur devoir sans s’y plier, et s’y portaient comme par instinct. Bien loin de relever par leurs discours leurs rares qualités, il semblait qu’elles n’avaient pas percé jusques à eux. Voilà les gens que j’aime.

Montesquieu, Lettres persanes

Session 2016

Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n’aurais aucun droit, ni aucune raison, d’essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leurs propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moments, ou j’aurais pu l’être.

Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien

Session 2017

Je sais que votre occupation est importante et sérieuse. Vous voulez savoir ce que vous êtes et ce que vous serez un jour, quand vous cesserez d’être ici. Mais, dites-moi, je vous prie, vous peut-il tomber dans l’esprit que ces philosophes, dont vous lisez les écrits avec tant de soin, aient trouvé ce que vous cherchez ? Ils l’ont cherché comme vous, Monsieur, et ils l’ont cherché vainement.

Saint-Évremond, L’homme qui veut connaître toutes choses ne se connaît pas lui-même

Session 2018

De toutes les passions, celle qui est la plus inconnue à nous-mêmes, c’est la paresse ; elle est la plus ardente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible, et que les dommages qu’elle cause soient très cachés ; si nous considérons attentivement son pouvoir, nous verrons qu’elle se rend en toutes rencontres maîtresse de nos sentiments, de nos intérêts et de nos plaisirs […].

La Rochefoucauld, Maximes et Réflexions diverses

Session 2019

Que dirait-on d’un homme qui, voyant tous les jours son image dans le miroir et s’y regardant sans cesse, ne s’y reconnaîtrait jamais et ne dirait jamais : « Me voilà ! » ; ne l’accuserait-on pas d’une stupidité peu différente de la folie ? C’est néanmoins ce que font tous les hommes, et c’est même l’unique secret qu’ils ont trouvé pour se rendre heureux.

Pierre Nicole, De la connaissance de soi-même

Session 2020

Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort : je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle, que, si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse.

Madame de Sévigné, Lettres

Session 2021

J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance et, parce qu’on me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre. Mais, sitôt que j’eus achevé tout ce cours d’études au bout duquel on a coutume d’être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d’opinion.

René Descartes, Discours de la méthode

Session 2022

Le dédain léger des Grecs, que je n’ai jamais cessé de sentir sous leurs plus ardents hommages, ne m’offensait pas ; je le trouvais naturel ; quelles que fussent les vertus qui me distinguaient d’eux, je savais que je serais toujours moins subtil qu’un matelot d’Égine, moins sage qu’une marchande d’herbes de l’Agora. J’acceptais sans irritation les complaisances un peu hautaines de cette race fière.

Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien

Session 2023

La vue continuelle des combats des gladiateurs rendait les Romains extrêmement féroces : on remarqua que Claude devint plus porté à répandre le sang à force de voir ces sortes de spectacles. L’exemple de cet empereur, qui était d’un naturel doux, et qui fit tant de cruautés, fait bien voir que l’éducation de son temps était différente de la nôtre.

Montesquieu

REMARQUES DU JURY

Vocabulaire

La langue qui sert de référence à cet exercice est celle de l’élite cultivée de la Rome de la fin de la république, telle qu’elle est illustrée par César et Cicéron, en particulier pour la syntaxe ; pour le lexique, quelques incartades jusqu’à Sénèque ou Pline peuvent être autorisées, mais pour les seuls termes techniques, et à la condition que les ressources offertes par les œuvres de César et Cicéron soient insuffisantes. Par conséquent, il est impératif de contrôler dans le dictionnaire de version (et en particulier dans le Gaffiot, qui propose beaucoup de citations classiques) que le mot et la construction choisis sont effectivement attestés chez ces auteurs. [RJ-2012]

Il est toujours recommandé d’utiliser un vocabulaire classique (de Térence à Tite-Live exclusivement, avec toutefois possibilité de recourir à des auteurs plus tardifs dans les domaines techniques), pour traduire le plus exactement possible le lexique français – faux-sens et mots non-classiques restent sanctionnables. [RJ-2005]

Morphologie

Le jury signale des erreurs trop récurrentes sur les points suivants :

• la déclinaison des pronoms.

• la conjugaison de posse.

• la conjugaison de facere et de ses composés.

• les semi-déponents.

Avant de décliner ou de conjuguer, il faut toujours être certain de la déclinaison, de la classe ou de la conjugaison à laquelle appartiennent noms, adjectifs et verbes.

De manière générale, les barbarismes sont bien trop présents et font perdre énormément de points : révisez votre morphologie ! L’expérience prouve qu’une note de thème correcte (normalement, un quart de la note finale d’option), s’obtient d’abord en évitant les barbarismes.

Syntaxe

Sed s’emploie après une négation.

• Le latin ne dit pas *et non mais nec (de même, on dit nec quisquam pour *et nemo et neque umquam pour *et numquam).

• Quisque est à n’utiliser que dans les emplois classiques. Sinon, on emploie unusquisque.

• L’expression du lieu et du temps peut paraître simple mais comporte quelques difficultés auxquelles il faut s’habituer.

• Attention à la construction des comparatifs et des superlatifs : il faut vérifier qu’ils sont attestés en langue classique ; si cela n’est pas le cas, il convient d’employer magis et maxime + adjectif. Rappelons également que le complément du superlatif ne se construit pas de la même manière que celui du comparatif : ex + ablatif ou génitif seul.

• Les conditions d’emploi du réfléchi, direct ou indirect, doivent être connues – et ne sont pas difficiles à apprendre.

• Dans la proposition infinitive, le sujet doit être obligatoirement exprimé, même s’il est identique à celui du verbe introducteur, et se met à l’accusatif.

• La syntaxe de l’interrogative indirecte doit être parfaitement maîtrisée. Le si latin ne traduit pas le si français dans « Je demande si… ». On emploie dans ce cas-là -ne ou num (suivi évidemment du subjonctif, obligatoire et systématique dans toute proposition interrogative indirecte). Chaque verbe de demande (rogare, petere, quaerere) a sa syntaxe, qu’il faut respecter en la vérifiant dans le Gaffiot au besoin.

• La concordance des temps ne doit plus poser de problème, même après deux ans de latin.

• L’emploi du subjonctif exprimant le potentiel et les deux types d’irréel doit être appris par cœur. Pour dire « mais en réalité » après un irréel, le latin emploie nunc uero ou nunc autem.

• Il faut prêter une attention toute particulière aux modes employés dans les propositions subordonnées. Un exemple frappant dans la deuxième phrase : on ne peut construire indifféremment quamquam et quamuis ; le premier demande l’indicatif, le second le subjonctif. Le mode employé en latin n’est pas toujours le même que le mode employé en latin.

Conseils divers

Un bon thème est une traduction qui rend, dans une syntaxe claire et classique (qui par conséquent prohibe le calque), le texte français aussi précisément que possible.

Les candidat·es sont invité·es à soigner davantage leur graphie, toute erreur en la matière pouvant coûter cher dans l’exercice du thème, et à aérer beaucoup plus leurs copies, en sautant des lignes (et même plusieurs d’un coup sans hésiter !).

COMMENT PROCÉDER ?
Le rapport du jury de 2014 était particulièrement détaillé à ce sujet.
— s’assurer de comprendre à la perfection le texte français : dans des textes aussi courts, souvent assez moraux, la justesse du vocabulaire est primordiale
— déterminer les liens logiques entre les phrases et les faire apparaître dans la traduction (l’absence de liaison est sanctionnée)
— transposer le texte en français « latinisable », en tenant compte des spécificités du latin (par exemple, éviter de faire d’une entité abstraite ou inanimée le sujet d’un verbe d’action, subordonner plutôt que juxtaposer, ne pas laisser un verbe transitif sans complément d’objet…)
— procéder à la traduction du texte ainsi transposé, segment par segment, en vérifiant systématiquement le classicisme du vocabulaire et des structures syntaxiques
— avoir une graphie parfaitement lisible
— le retraduire mentalement en français
— se relire scrupuleusement, en procédant de manière ciblée, par catégories grammaticales

• En thème, il convient de se demander sans cesse si la traduction est non seulement correcte, mais conforme aux usages du latin classique.

• Éviter un décalque gauche du texte français. Notamment, les substantifs abstraits doivent faire l’objet d’une attention particulière.

• La traduction doit ressembler à du latin : il faut donc prendre le temps de remettre les mots dans un ordre s’approchant des habitudes du latin et à utiliser des idiotismes courants.

• Les gallicismes comme « c’est qui, que… » ne doivent pas être traduits tels quels.

• Le sens de certains termes ont évolué : il faut s’assurer de bien saisir leur signification dans le contexte de l’extrait donné.

• Il n’y a pas lieu de mettre de coordination au début de la première phrase du thème.

• Il est inutile de traduire le titre de l’œuvre française dont le sujet est extrait.

• Il convient de bien soigner la graphie (les copies illisibles sont trop nombreuses et l’on sait que tout, en thème, peut se jouer à une lettre près…).

• Le voussoiement n’existe pas en latin classique.

• Il est bon de tenter de traduction les articles indéfinis.

• Lorsque le texte proposé présente des substantifs qu’il n’est pas possible de calquer du français, comme ici, à la fin du texte, « nos sentiments, nos intérêts et nos plaisirs », il est commode de rendre ces termes par des interrogatives introduites par quid. Toutefois, il convient de rappeler aux candidats que, lorsqu’ils ont l’excellente idée d’employer une interrogative indirecte, ils doivent toujours, d’une part, y employer lesubjonctif, mais aussi respecter scrupuleusement la concordance des temps.

Quelques bribes riches d’enseignement

Très concrètement, on est assuré de réussir honorablement en thème dès lors que l’on maîtrise parfaitement la syntaxe, que l’on veille bien au sens du français et que l’on respecte les règles du genre. [RJ-2022]

Les règles, pour réussir en thème, sont immuables : correction morphologique, rigueur syntaxique, intelligence de la transposition pour éviter le décalque maladroit ou la simplification excessive (qui équivaut souvent à une stratégie d’évitement de la difficulté), traduction de tous les mots (y compris des pronoms, trop souvent omis), enchaînement logique de toutes les phrases et de tous les segments de phrase (coordination externe et interne), soin porté au sens du français pour éviter à tout prix les contresens. [RJ-2020]

Il est vrai qu’en thème, la simplicité est souvent, avec la correction grammaticale, la meilleure des qualités. [RJ-2020]

Dans l’exercice de thème latin, le candidat ne doit pas tant viser au brio que démonter la solidité de sa connaissance de la langue latine. Pour ce faire, il convient toujours d’utiliser des tournures que l’on maîtrise et dont on a vérifié, dans le Gaffiot, qu’elles sont bien attestées à époque classique. [RJ-2018]

Une lettre manquante ou surnuméraire peut coûter cher et, plus encore qu’en version, il est d’une importance capitale de se conserver un temps suffisant pour relire, mot à mot, son travail. Il convient aussi de rendre son texte le plus lisible possible ; on ne peut toujours compter sur la bienveillance du jury pour distinguer un « a » d’un « o ». [RJ-2018]

Cette année encore, les copies ont confirmé que le thème réussit manifestement à tous les candidats qui maîtrisent les règles de la syntaxe latine et qui s’exercent régulièrement à la lecture cursive ou « petit latin » – un exercice dont le jury ne saurait trop recommander la pratique aux futurs candidats. [RJ-2015]

De fait, l’exercice de thème latin n’est pas un simple jeu de transposition terme à terme, mais nécessite de la part du candidat une capacité d’évaluation de la « latinité » du texte qu’il propose. […] Ce sens de la langue latine ne se développe pas par la consultation effrénée du dictionnaire de thème, ni même par l’apprentissage mécanique des tableaux morphologiques et des exemples de syntaxe (qui reste toutefois un préalable absolument indispensable), mais par la fréquentation assidue des auteurs latins eux-mêmes : à cet égard, le jury ne saurait trop recommander la pratique régulière du « petit latin », utile tant pour le thème que pour la version. [RJ-2013]

Le grand nombre de copies se contentant d’un simple décalque du texte français, dans une morphologie et une syntaxe plus qu’approximatives, montre qu’un manque de préparation à l’exercice n’est pas seul en cause : trop de candidats, ayant pourtant choisi comme spécialité les Lettres classiques, abordent cet exercice sans avoir acquis une familiarité suffisante avec le latin. [RJ-2012]

Négliger l’exercice du thème a empêché plusieurs candidats, qui avaient réussi certaines des meilleures versions, d’obtenir une des meilleures notes globales. [RJ-2010]

L’exactitude et la correction du lexique n’est pas le souci premier du jury. […] Les correcteurs sont plus sensibles à la capacité d’analyse dont aura fait preuve le candidat. Il s’agit en effet pour lui d’identifier d’abord précisément la structure des phrases fançaises, la nature des propositions et la qualité des enchaînements logiques, explicites ou non. [RJ-2005]

EN BREF. Le court thème est avant tout l’occasion pour le jury de vérifier que les candidats sont capables de mettre en œuvre une syntaxe et une morphologie correctes, en usant d’un vocabulaire classique, en veillant encore à rendre le texte français aussi exactement que possible, sans en simplifier le sens à l’excès. [RJ-2002]