AGRÉGATION DE GRAMMAIRE

Session 1931

Thème grec

Le projet d’Alexandre ne réussit que parce qu’il était sensé. Le mauvais succès des Perses dans les invasions qu’ils firent de la Grèce, les conquêtes d’Agésilas et la retraite des Dix-Mille avaient fait connaître au juste la supériorité des Grecs dans leur manière de combattre et dans le genre de leurs armes ; et l’on savait bien que les Perses étaient trop grands pour se corriger. Ils ne pouvaient plus affaiblir la Grèce par des divisions : elle était alors réunie sous un chef qui ne pouvait avoir de meilleurs moyens pour lui cacher sa servitude que de l’éblouir par la destruction de ses ennemis éternels et par l’espérance de la conquête de l’Asie. Un empire cultivé par la nation du monde la plus industrieuse, et qui travaillait les terres par principe de religion, fertile et abondant en toutes choses, donnait à un ennemi toutes sortes de facilités pour y subsister. On pouvait juger par l’orgueil de ses rois, toujours vainement mortifiés par leurs défaites, qu’ils précipiteraient leur chute en donnant toujours des batailles, et que la flatterie ne permettrait jamais qu’ils pussent douter de leur grandeur. Et non seulement le projet était sage, mais il fut sagement exécuté.


Charles Louis de Secondat, dit Montesquieu (1689-1755), 
De l’esprit des lois (Livre X, chapitre XIII)
(209 mots)

Session 1938

Thème grec

Pour ce que l’une des principales parties de la sagesse est de savoir en quelle façon et pour quelle cause chacun se doit estimer ou mépriser, je tâcherai ici d’en dire mon opinion. Je ne remarque en nous qu’une seule chose qui nous puisse donner juste raison de nous estimer, à savoir l’usage de notre libre arbitre et l’empire que nous avons sur nos volontés ; car il n’y a que les seules actions qui dépendent de ce libre arbitre pour lesquelles nous puissions avec raison être loués ou blâmés ; et il nous rend en quelque façon semblables à Dieu, en nous faisant maîtres de nous-mêmes, pourvu que nous ne perdions point par lâcheté les droits qu’il nous donne. Ainsi, je crois que la véritable générosité, qui fait qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut légitimement estimer, consiste partie en ce qu’il connaît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé, sinon par ce qu’il en use bien ou mal ; et partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures : ce qui est suivre parfaitement la vertu.

René Descartes (1596-1650),
Les Passions de l’âme (Articles 152-153)
(241 mots)

AGRÉGATION DES LETTRES

Session 1939

Thème grec

La nécessité de mourir faisait toute la constance des philosophes. Ils croyaient qu’il fallait aller de bonne grâce où l’on ne saurait s’empêcher d’aller ; et, ne pouvant éterniser leur vie, il n’y avait rien qu’ils ne fissent pour éterniser leur réputation et sauver du naufrage ce qui n’en peut être garanti. Contentons-nous, pour faire bonne mine, de ne nous pas dire à nous-mêmes tout ce que nous en pensons, et espérons plus de notre tempérament que de ces faibles raisonnements qui nous font croire que nous pouvons nous approcher de la mort avec indifférence. La gloire de mourir avec fermeté, l’espérance d’être regretté, le désir de laisser une belle réputation, l’assurance d’être affranchi des misères de la vie, et de ne dépendre plus des caprices de la fortune, sont des remèdes qu’on ne doit pas rejeter. Mais on ne doit pas croire aussi qu’ils soient infaillibles. Ils font, pour nous assurer, ce qu’une simple haie fait souvent à la guerre pour assurer ceux qui doivent approcher d’un lieu d’où l’on tire. Quand on en est éloigné, on s’imagine qu’elle peut mettre à couvert ; mais quand on en est proche, on trouve que c’est un faible secours.


François de La Rochefoucauld (1613-1680),
Réflexions ou sentences et maximes morales (Maxime 504)
(218 mots)

Session 1941

Thème grec

Le citoyen n’avait pas de besoins et passait la journée en plein air. A quoi occupait-il son loisir ? N’ayant à servir ni roi ni prêtre, il était libre et souverain pour sa part dans la cité. C’est lui qui choisissait ses magistrats et ses pontifes ; il pouvait lui-même à son tour être élu aux sacerdoces et aux charges ; fût-il corroyeur ou forgeron, il jugeait dans les tribunaux les plus grands procès politiques et décidait dans les assemblées des plus grandes affaires de l’État. En somme, les affaires publiques et la guerre, voilà son office. Il est tenu d’être politique et soldat ; le reste est à ses yeux d’importance médiocre : selon lui, toute l’attention d’un homme libre doit s’appliquer à ces deux emplois. Et il a raison, car en ce temps-là la vie humaine n’est pas protégée comme au nôtre et les sociétés humaines n’ont pas la solidité qu’elles ont acquise chez nous. La plupart de ces cités, assises et éparses sur les côtes de la Méditerranée, sont entourées de Barbares qui volontiers feraient d’elles leur proie ; le citoyen est obligé d’être sous les armes ; […] sinon, Gaulois, Libyens, Samnites, Bithyniens, camperaient bien vite sur les débris de l’enceinte forcée et des temples mis en cendres. […] Quand les risques sont si grands, il est naturel qu’on s’occupe des intérêts de l’État et qu’on sache se battre ; on est politique sous peine de mort.

Hippolyte Taine (1828-1893),
Philosophie de l’art
(254 mots)

Session 1942

Thème grec

La terre qu’on habite ensemble sert de lien entre les hommes et forme l’unité des nations.La société humaine demande qu’on aime la terre où l’on habite ensemble ; on la regarde comme une mère et comme une nourrice commune, et cela unit… Les hommes en effet se sentent liés par quelque chose de fort, lorsqu’ils songent que la même terre qui les a portés et nourris étant vivants, les recevra en son sein quand ils seront morts… C’est un sentiment naturel à tous les peuples. Thémistocle, Athénien, était banni de sa patrie comme traître : il en machinait la ruine avec le roi de Perse, à qui il s’était livré ; et toutefois, en mourant, il oublia Magnésie, que le roi lui avait donné, quoiqu’il y eût été si bien traité, et ordonna à ses amis de porter ses os dans l’Attique, pour les y inhumer secrètement, à cause que la rigueur des décrets publics ne permettait pas qu’on le fît d’une autre sorte. Dans les approches de la mort, où la raison revient et où la vengeance cesse, l’amour de la patrie se réveille : il croit satisfaire à sa patrie ; il croit être rappelé de son exil après sa mort, et, comme ils parlaient alors, que la terre serait plus bénigne et plus légère à ses os.

Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704),
La Politique tirée de l’Écriture sainte
(228 mots)