L’Essentiel sur la démocratie. Épreuve de français/philosophie. Prépas scientifiques 2020-2021, Paris, Ellipses, mai 2019, 160 pages, 16€. ISBN : 9782340030473.

Retrouvez ces informations sur le site des éditions Ellipses. Vous y trouverez également un extrait et la table des matières. 

Je vous propose également un extrait du chapitre sur Les Cavaliers et L’Assemblée des femmes d’Aristophane (© Ellipses). Les numéros de pages renvoient à l’édition au programme.

Gynécocratie, communisme et utopie

            La gynécocratie (ou gynocratie) est un régime politique au sein duquel ce sont les femmes qui exercent le pouvoir. Dans le régime entièrement patriarcal qu’est Athènes, il est évident que la domination masculine est un principe solidement ancré et que le pouvoir n’aurait donc jamais pu arriver entre les mains des femmes. L’Assemblée des femmes n’est donc qu’une utopie, mot tiré lui aussi du grec : ou signifie « ne… pas » (c’est le mot de négation) et topos se traduit par « lieu ». C’est donc un espace imaginaire, inventé, irréel. Ce n’est pas sans malice qu’Aristophane aime à renverser, au cœur de ses pièces, l’ordre établi dans sa société. La pièce est typique de l’esthétique aristophanienne : l’un des membres de la communauté estime que cette dernière doit changer et vient à son secours avec un plan déluré. Dans L’Assemblée des femmes, aucune intervention divine n’a lieu : l’univers humain est examiné à l’aune de l’humanité. Les hommes et les femmes font partie du peuple, sont simples, ni pauvres ni exceptionnellement riches. L’œuvre d’Aristophane présente plusieurs pièces prenant pour sujets des femmes. Entre autres, il avait écrit une pièce intitulée Le Campement des femmes, une autre dont le titre était Les Lemniennes (ou Les Femmes de Lemnos), toutes deux perdues. Il faut également citer Lysistrata et Les Thesmophories, qui nous sont parvenues. La différence avec les autres pièces citées est que dans L’Assemblée des femmes, la gent féminine obtient et conserve son pouvoir. 

Dans L’Assemblée des femmes, Aristophane s’attaque, sous couvert de fantaisie, à plusieurs grands problèmes : la question du bien commun, la différence de richesse entre riches et pauvres, le caractère égoïste de certains individus, le respect (ou non !) des lois et la participation à l’Assemblée comme une façon de gagner sa vie. La révolution que les femmes mettent en place questionnent directement les notions fondamentales que sont la famille, la propriété, le mariage. Derechef, tout cela est politique, en ce que tout concerne la polis, cette cité-État qui sert de base fondamentale à la pensée grecque de l’époque. Les références ou allusions aux espaces politiques sont nombreuses dans la pièce : Pnyx, tribunaux, assemblées, portiques, et ainsi de suite. En mettant en scène un régime utopiste où les femmes et le « communisme » – au sens étymologique de mise en commun des biens et des personnes – régneraient, Aristophane bat en brèche de manière fort plaisante, en procédant par hyperboles, les idées que certains philosophes avaient dû développer à son époque sur ce genre de mise en commun. Le communisme sexuel et sa hiérarchie sont le summum de la fantaisie et ont vocation à faire rire. Le ridicule implique la réflexion et la dénonciation va de pair avec la prise de conscience. En donnant vie aux conséquences irrationnelles et drolatiques prises par une cité imaginée, Aristophane interroge les bases mêmes du vivre-ensemble et le fonctionnement de la communauté civique que les Athéniens doivent construire. Politique, société et économie sont intimement liées : rappelons que Praxagora souhaite faire de la polis un seul et unique oikos, une seule demeure, gérée par les femmes. Oikos, « demeure », et nomos, « loi », ont donné notre mot « économie ». Ce sont donc de réelles questions communautaires que veut poser le poète comique. L’absurdité des conséquences ne doit pas voiler la réalité et l’importance des réflexions à mener : la parodie du politique est encore politique. 

Un double mouvement s’opère dans L’Assemblée des femmes : la valorisation des femmes au détriment des hommes. D’un côté, les femmes font en effet preuve d’un bon sens qui semble manquer à la gent masculine dans la gestion de la cité. Elles veulent ménager le paix, soucieuses du sort de leurs fils. Leur ingéniosité trouve des ressources insoupçonnées pour s’emparer du pouvoir et pour offrir à la cité un nouveau modèle, plus juste. Même quand elles trompent les autres, quand elles se déguisent, c’est pour le bien de tous. De l’autre côté, la manie des procès des hommes, leurs beuveries à l’assemblée, les contradictions de leur politique (p. 314 : « le désordre des affaires de la cité »), leur égoïsme enfin, les dépeignent comme des profiteurs davantage intéressés par leur propre satisfaction que par le bien de l’État. Sans compter qu’ils sont bien trop sensibles aux belles paroles… et aux beaux garçons !