L’Essentiel sur l’amour. Épreuve de français/philosophie. Prépas scientifiques 2019-2020, Paris, Ellipses, mai 2018, 160 pages, 16€. ISBN : 9782340024229.

Retrouvez ces informations sur le site des éditions Ellipses. Vous y trouverez également un extrait et la table des matières. 

Je vous propose également un extrait du chapitre sur Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare (© Ellipses). Les numéros de pages renvoient à l’édition au programme.

VI. 4. Métaphores de l’amour 

            De nombreuses métaphores de l’amour peuplent la pièce et font varier le point de vue sur ce thème fondamental. La métaphore est une image qui consiste à identifier deux termes par le biais d’une comparaison dont on a supprimé l’outil grammatical de comparaison. Le discours amoureux est souvent inspiré de l’imaginaire médiéval ou encore pétrarquiste. Sans être exhaustive, la liste suivante permet de comprendre la diversité des visions de l’amour dans le langage littéraire de la pièce. 

          L’épée. Thésée a courtisé Hippolyta avec son « épée » (p. 49) : il veut dire par là qu’il l’a reçue pour femme après l’avoir combattue. Mais cette « épée », outre la métaphore de l’amour contraint, est aussi un symbole phallique, qui va tout à fait dans le sens des obsessions qui semblent être celles de Thésée : ses « désirs » (p. 47). 

          Le destin. Hermia fait (p. 61) le parallèle entre son amour pour Lysandre, malmené par son père et par le destin, et les décisions du ciel, en rappelant que « les amants fidèles ont toujours été contrariés » (le terme « cross’d » renvoie au prologue de Roméo et Juliette). Les images pour ainsi dire juridiques (« un arrêt de la destinée ») puis clairement christiques (« une croix coutumière »[1]) culminent avec l’image très concrète des« souhaits » et des « larmes », considérés comme le « pauvre cortège de l’amour », c’est-à-dire le lot coutumier des amoureux. 

          Les flèches. Cupidon, ses flèches, son arc et les blessures qu’ils provoquent, parfois à l’aveuglette, sont récurrents dans le texte : « la flèche enflammée du jeune Cupidon », son « trait », « la flèche d’amour » l’illustrent parfaitement. Elles ne sont pas sans évoquer également une dimension érotique, du fait de la pénétration. 

            Les yeux. Les yeux, fameuses fenêtres de l’âme par lesquelles on imaginait encore à l’époque de Shakespeare que l’amour entrait dans le corps, font l’objet de très nombreux parallèles. La comparaison la plus fréquente est celle avec les astres. Pour Héléna, les yeux d’Hermia « sont des étoiles polaires » (p. 63), image toute pétrarquiste. Ils deviennent donc un guide, de même que l’étoile polaire sert de repère pour les marins. 

           La maladie d’amour. Image éculée encore qu’on retrouve dans la chanson contemporaine, les affres de la maladie d’amour se retrouvent très tôt dans l’histoire de la littérature. Dans Le Songe, Héléna parle de la beauté d’Hermia, qui lui a volé Démétrius, en ces termes : « La maladie est contagieuse » (p. 63). À l’acte II, Héléna et Démétrius renchérissent sur ce thème : au second, qui lui assène qu’il est malade quand il la voit, la première répond : « Et moi je suis malade quand je ne te vois pas » (p. 101). Enfin, un lien est tissé entre la maladie du cœur et la langueur physique : Obéron, pour désigner Héléna à Puck, la lui décrit ainsi : « Elle a le mal d’amour, et le teint pâle,/Car les soupirs d’amour coûtent cher au jeune sang. » (p. 157). 

          Le fer et l’acier. Les qualités magnétiques des métaux, qui s’attirent ou se repoussent, sont une image topique, c’est-à-dire courante, de l’imaginaire amoureux et de la poésie des sentiments. L’acier est métaphore de la fidélité et s’oppose ainsi à la dureté de l’aimant (notons le jeu de paronomase, donc de proximité des mots, avec le substantif « amant »…), qui toutefois l’attire : « Vous m’attirez, aimant au cœur dur,/Mais pourtant ce n’est pas du fer que vous attirez. Car mon cœur/Est franc comme l’acier » (p.99). 

          L’épagneul. L’amour absolu d’Héléna la pousse à se montrer entièrement soumise à Démétrius. « Je suis votre épagneul », lui dit-elle. Tant qu’elle peut profiter de la présence de l’être aimé, elle est prête à subir tous les maux de sa part (« Plus vous me battez, plus je me couche à vos pieds »). La note de Gisèle Venet rappelle que l’épagneul est le « symbole du masochisme amoureux » et sert à « signifier l’obstination de l’amant transi face à la beauté cruelle ». Mais Shakespeare renverse l’image en la mettant dans la bouche d’une femme. L’amour même de l’autre devient un lieu métaphorique où elle s’abaisse : « Quelle place plus humble puis-je mendier dans votre amour/(Une place pourtant que j’estime hautement)/Que d’être traitée comme vous traitez votre chien ? » (p. 101). 

            Le serpent. « Il me semblait qu’un serpent dévorait mon cœur » (p. 121), s’écrit Hermia, à la toute fin du deuxième acte, en se réveillant d’un mauvais rêve et en se retrouvant abandonnée de Lysandre. Ce serpent peut représenter le malheur qui s’abat pour elle aussi bien que l’amour qui lui dévore le cœur. Dans la Genèse, le premier livre de la Bible, il est le symbole du mal et de la corruption. Il a également été interprété comme une métaphore sexuelle. 

          Les animaux. Les métaphores animales fourmillent dans le texte. Dans une sorte de monde inversé, Héléna remarque à juste titre que son amour fou renverse les habitudes amoureuses : « La colombe poursuit le griffon » (p. 103). Lysandre, rendu fou d’amour pour Héléna à cause de la fleur, préfère échanger le « corbeau » qu’est désormais Hermia à ses yeux contre la « colombe » qu’est devenue Héléna (p. 119). Hermia, qui croit que Démétrius a tué Lysandre, traite le premier violemment en le repoussant : « Va-t’en, chien, va-t’en, roquet ! » (p. 153). Thésée, au début de l’acte IV, découvre les amoureux endormis après leurs aventures. Il les fait réveiller et leur dit que la « Saint-Valentin est passée », en les nommant « oiseaux des bois » (p. 211) : il faut comprendre qu’il renvoie à la croyance selon laquelle les oiseaux formaient leur couple le 14 février, le jour de la Saint-Valentin. L’intrigue se passe au début du mois de mai, donc il souligne, non sans une pointe d’humour (ou d’étonnement), que les amoureux sont quelque peu en retard. 

          Le bijou trouvé. Après les rebondissements chaotiques de leur relation, Démétrius et Héléna finissent par reproduire le même idéal amoureux que Lysandre et Hermia, à ce détail – d’importance ! – près que ce sont la fleur magique et l’intervention des fées et non la pureté de leurs sentiments qui les mènent à cet amour. C’est bien pour cela qu’Héléna dit, tiraillée entre la joie et la stupéfaction : « Et Démétrius est pour moi comme un bijou trouvé,/Il est à moi, et il n’est pas à moi » (p. 217). Le paradoxe qu’elle met en avant est l’enjeu même de leur amour. 

          Le lit d’amour. Parfaitement cohérent avec lui-même, Thésée, mû par ses désirs, n’a qu’une hâte à la fin de la pièce : consommer le mariage. Son injonction répétée (« Au lit, les amoureux, c’est presque l’heure des fées », puis « Chers amis, au lit », p. 263) donne à ce lit le caractère sacré du lieu de l’amour charnel, donc du plaisir, puis de la fécondité. 

          La liste est encore longue, de la « fente » du mur (p. 243), qui évoque le sexe féminin, à « l’éclair dans la nuit charbonneuse » (p. 59), qui renvoie au fameux coup de foudre, en passant par les images banales qui associent la femme à une « déesse » ou une « nymphe » (p. 161). Quand, à plusieurs reprises, Lysandre ou Démétrius appellent Héléna Hélène, ils la lient à la beauté d’Hélène, qui, dans la mythologie grecque, causa la guerre de Troie. 


[1] Cela se réfère à la Passion du Christ, le martyre de Jésus qui, dans la Bible chrétienne, rejoint le mont Golgotha chargé d’une immense croix sur laquelle il est crucifié. 

Paul Jean Gervais, La Folie de Titania (1897)